Cette petite étude sur le « légitimisme » espagnol n’envisage la question que du coté espagnol. Chacun sait que le carlisme espagnol s’est « télescopé » avec le légitimisme français pendant de nombreuses années. Le lecteur établira lui-même la concordance entre les princes qui furent, à la fois, aînés de la Maison de France et aînés de la Maison d’Espagne. [VLR]
Table des matières
Le carlisme
Le terme carlisme désigne le mouvement espagnol qui s’est levé pour soutenir les droits dynastiques du prince Don Carlos, aîné de la famille.
Le carlisme, né dans les années 1830, se manifesta d’abord comme une querelle dynastique au sein de la Maison de Bourbon.
Les aînés des descendants de Philippe V (1683-1746) ― roi d’Espagne et petit-fils de Louis XIV ― se heurtèrent aux agissements de la branche cadette qui régnait à Madrid.
Cependant, assez rapidement, cette opposition se doubla d’un affrontement idéologique essentiel. On assistait alors, dans toute l’Europe, à une remise en cause des monarchies traditionnelles au profit des régimes libéraux dont les partisans préconisaient un compromis avec les idées révolutionnaires de 1789.
Avec des variantes, imputables aux spécificités historiques de chaque pays, cette lutte se poursuivit tout au long du XIXe siècle.
- En France, le roi des Français, Louis-Philippe Ier, qui incarnait cette idéologie du compromis, conseillait à ses fils de demeurer fidèles à l’esprit de 1789.
- En Espagne, elle a aussi continué, sous une forme ou une autre, jusqu’à nos jours. Le carlisme, son opposition, en demeure la preuve vivante.
L’origine historique du litige
Louis XIV, roi de France (1643-1715) donna donc au peuple espagnol un de ses petits-fils, Philippe, duc d’Anjou qui devait régner outre-Pyrénées sous le nom de Philippe V.
En 1713, ce monarque imposa à son nouveau royaume une « loi salique » écartant les femmes de la succession au Trône.
Cependant, son descendant, le roi Ferdinand VII (1784-1833) se trouvant sans héritier mâle, voulut, en 1830, modifier irrégulièrement l’ordre de dévolution de la Couronne au profit de sa fille Isabelle qui venait de naître, il ne convoqua pas les Cortès comme il en avait l’obligation.
Cette mesure lésait les droits de son propre frère Don Carlos (1788-1855) auquel la succession avait été promise. Aussi, ce prince se proclama, de sa propre autorité « roi d’Espagne » dès 1833, sous le nom de Charles V.
Dans le même temps, sa nièce Isabelle II (1833-1868) régna à Madrid sous la tutelle de sa mère la reine Marie-Christine (1806-1878). Dès ce moment, le gouvernement de la branche cadette va alterner entre le libéralisme et l’autoritarisme.
La Régente réduisit les libertés locales dont bénéficiaient, depuis des temps immémoriaux, de nombreuses provinces, spécialement celles du Nord et du Nord-Ouest : la Navarre, le Pays Basque, la Biscaye, l’Aragon, la Catalogne…
Trois traditions résumaient le particularisme de ces régions :
- la fidélité au catholicisme,
- la fidélité à l’autonomie politique locale et
- l’attachement aux libertés sociales héritées des générations passées.
À l’opposé, dans les milieux libéraux, ces « survivances » et ces revendications étaient considérées comme caduques.
Peu à peu, le conflit prenait corps et semblait inévitable.
Les guerres carlistes
La première guerre carliste
La première guerre carliste (1837-1839) se révéla malheureuse pour Don Carlos. Sans doute, le prétendant laissa-t-il échapper sa chance dès le début du conflit, lorsqu’il renonça à pénétrer dans Madrid alors que la ville se trouvait à sa merci.
Durant deux années, accrochages et batailles continuèrent, mais le soulèvement se termina par la Convention de Vergara qui consacra la défaite des légitimistes.
L’Angleterre, le Portugal et la France avaient soutenu le régime d’Isabelle II par l’envoi de contingents militaires.
En 1837, Louis-Philippe Iermit à la disposition de la Régente Marie-Christine plus de 4000 hommes appartenant à la jeune Légion Étrangère.1
De leur côté, de nombreux contre-révolutionnaires européens s’engagèrent sous la bannière de Charles V.
Une centaine d’entre eux venaient de chez nous et plusieurs portaient des patronymes qui s’étaient déjà illustrés au temps des guerres de Vendée et de Bretagne.
D’une certaine manière, pour eux, c’était le même combat qui continuait. Ils suivaient l’exemple de leurs pères.
En 1845, Don Carlos, qui avait connu l’exil après son échec de restauration, résigna sa charge en faveur de son fils Charles-Louis, « Charles VI », (1818-1861).
Rapidement, le jeune prince voulut renouer avec l’épopée.
La deuxième guerre carliste
La deuxième guerre carliste éclata. Elle devait se prolonger jusqu’en 1848 et s’achever, elle aussi, par une défaite.
Le « roi carliste » abdiqua au profit de son frère Don Juan, « Jean III », (1822-1887). Celui-ci, partisan des idées nouvelles était loin de partager les opinions de ses soutiens.
Aussi, dès 1868, il abandonna ses prérogatives en faveur de son fils Don Carlos, « Charles VII », (1848-1909), titré duc de Madrid.
La troisième guerre carliste
Les hostilités devaient reprendre quelques années plus tard, le nouveau prétendant espérant profiter des troubles occasionnés par le départ pour l’exil d’Isabelle II (1868) et la proclamation de laPremière République Espagnole (1873)2.
Alors, une troisième insurrection débuta qui ne prit fin qu’en 1876 et se solda, une fois encore, par un échec et l’éloignement du prince.
L’heure du combat doctrinal
Des convulsions sporadiques secouèrent encore le pays mais les armes finirent par se taire.
Les carlistes se tournèrent dès lors vers le débat doctrinal afin de faire triompher, plus pacifiquement, l’ordre « naturel et chrétien », au lieu et place de l’idéologie révolutionnaire qui semblait submerger le Vieux Continent.
Un légitimiste espagnol : Don Sarda y Salvany
Parmi les publications qui jouèrent un rôle important dans cette reconquête des esprits, il faut citer l’ouvrage du Père bénédictin Félix Sarda y Salvany : Le libéralisme est un péché.
Le religieux, acquis au carlisme, fit paraître son étude en 1884 et aussitôt les libéraux tentèrent de le faire condamner par Rome. Leurs manœuvres auprès du Saint-Siège échouèrent.
La pensée de l’auteur peut tenir dans les lignes suivantes :
Les dangers que court en ce temps la loi du peuple chrétien sont nombreux mais, disons-le, ils sont toujours enfermés dans un seul qui est leur plus grand dénominateur commun : le naturalisme… qu’il s’intitule rationalisme, socialisme, révolution ou libéralisme, par sa manière et son essence même, il sera toujours la négation franche ou artificieuse, mais radicale, de la foi chrétienne…
L’histoire contemporaine, en Espagne et ailleurs dans le monde, a démontré la justesse de cette observation.
La tradition carliste
Au XXe siècle, Jaime Ier(1870-1931), fils de Charles VII, garda les traditions de sa lignée mais, n’ayant pas d’héritier direct, la continuité dynastique se trouva assurée par son oncle Alphonse-Charles Ier (1849-1936).
Ce roi sans couronne nous intéresse vivement car on lui doit l’officialisation des grands principes de la « légitimité espagnole ».
Ces éléments capitaux pourraient se résumer en quelques lignes.
- La religion catholique, avec toutes les conséquences juridiques et sociales attachées à sa prééminence, fait partie de l’essence même de l’Espagne.
- L’autre élément incontournable tient à l’unité du Royaume qui ne peut être remise en cause. Sont pleinement reconnus les « états et corps » hérités de la tradition, de même que l’autonomie des provinces dans leur identité, leurs lois et libertés. Cela, étant sauve « l’unité de la Patrie ».
- Dans ce cadre, la monarchie traditionnelle tire sa légitimité de son origine historique mais aussi de sa façon d’exercer le pouvoir. C’est pourquoi les anciens principes doivent être restaurés partout où cela s’avère possible et les lois contemporaines remplacées par celles du « droit nouveau ».
Le prince Alphonse-Charles édicta ces règles fondamentales au moment d’abandonner la direction du mouvement à son neveu par alliance, le prince Xavier de Bourbon-Parme. Ce dernier devint, en effet, quelques mois plus tard, « Régent de la Communion Traditionnelle Carliste ».
Les Carlistes pendant la guerre civile espagnole
La barbarie républicaine
Cependant, au cours de trois années d’épreuves, de souffrances et d’héroïsme, l’Espagne allait connaître une terrible guerre civile qui devait secouer le monde entier.
Dans son Encyclique Divini Redemptoris, consacrée au communisme athée, le pape Pie XI dressa un tableau bien sombre de la situation en terre espagnole. Rappelant les assassinats des clercs et des civils ainsi que les exactions en tous genres, il s’écrie :
Et cette épouvantable destruction est perpétrée avec une haine, une barbarie, une sauvagerie qu’on n’aurait pas cru possible en notre temps.
Les combattants carlistes de 1936
Seule une véritable Croisade pouvait faire reculer la révolution. Alors les carlistes se mobilisèrent. Le 19 juillet 1936, les Requêtes3, descendus des montagnes de Navarre, se rassemblèrent, en armes, au nombre de 6 000 dans la région de Pampelune. Ils se pressaient autour du drapeau blanc frappé de la Croix de Bourgogne, témoignant des anciens combats.
Sur leur poitrine était cousue l’image sainte du Sacré-Cœur. Les volontaires portaient enfin le légendaire béret rouge. Ils répondaient à l’appel de leur Régent, prêts à consentir le sacrifice suprême pour Dieu, la Patrie et le Roi.
Les hommes s’étaient préparés au conflit depuis plusieurs années constituant dans la montagne de discrètes caches d’armes. Les carlistes avaient refusé de se plier aux exigences de la République anticléricale et révolutionnaire installée à Madrid. Cela même alors que certains membres du clergé, sans doute par naïveté, penchaient vers un compromis avec les maîtres du jour.
Une alliance de circonstance et non doctrinale
Certes, en apportant leur aide à la cause du général Franco, derrière lequel s’étaient regroupés des gens très divers, les légitimistes semblaient oublier leur propre souverain. Dans l’immédiat, la restauration la plus urgente était celle du bien commun. Au total, plus de 35 000 volontaires participèrent aux premiers combats, se faisant remarquer par leur courage et leur détermination.
En 1939, au jour de la victoire, les requêtes représentaient plus du quart des 100 000 hommes engagés au côté des forces armées nationalistes, soit 43 bataillons.
Dans la deuxième année du conflit, le Caudillo manifesta sa volonté de fondre, dans une nouvelle « Phalange », toutes les organisations qui le soutenaient. Cette décision, souvent mal acceptée, parut mettre fin à l’esprit de Croisade qui animait nombre de combattants.
Le combat légitimiste est universel
On a pu noter, tout au long de cet article, l’évidente parenté entre le mouvement carliste et les organisations qui, en France, se sont opposées à la Révolution, qu’il s’agisse des combattants de la Vendée et de la Bretagne ou des opposants à la Monarchie de Juillet, au Second Empire et à la République.
Par un clin d’œil de l’histoire, les fidèles de Charles X furent baptisés aussi « carlistes » : une évidente parenté, même involontaire.
Certes, le temps passe vite et les choses ont bien changé depuis la fin du XVIIIe siècle, mais le combat contre-révolutionnaire reste une exigence.
- Cf. Les Français dans la grande aventure du carlisme espagnol – Les amis de l’Hémicycle – 2009.↩
- La Première République Espagnole ne dura que deux ans (1873-1874) dans un pays demeuré majoritairement monarchiste.↩
- On donna le nom de « requêtes » aux volontaires carlistes qui participèrent aux trois guerres du XIXe siècle. Ce terme fut, à nouveau, utilisé lors de la guerre civile de 1936-1938 pour les carlistes qui combattirent aux côtés des nationalistes.↩