De la fusion orléaniste/légitimiste à la mort d’Henri V, par Guy Augé L’œcuménisme politique tue la tradition

1883 marquait la mort d’Henri V comte de Chambord, successeur direct de Charles X. Selon les Lois Fondamentales du Royaume, la Couronne passait à la branche aînée d’Anjou, mais la branche cadette d’Orléans, s’appuyant sur un très révolutionnaire principe des nationalités, réussit à rallier la majorité des légitimistes. Cet œcuménisme politique entre un légitimisme traditionnel et un orléanisme d’essence libérale ne devait échouer qu’à former le bloc conservateur de la IIIe République. Pire, « l’effacement du légitimisme intransigeant ne laissait plus subsister en France (y compris chez les monarchistes) que des traditions révolutionnaires. » Nous commençons ici la publication d’une importante étude de l’historien du droit Guy Augé intitulée Succession de France et règle de nationalité. [VLR]

Introduction de VLR

Avant-propos de l’ouvrage de Guy Augé : Succession de France et règle de nationalité, Ed. La Légitimité, Diffusion DUC, Paris, 1979, pp.5-8.

AVERTISSEMENT : Les titres ont été rajoutés par VLR pour faciliter la lecture en ligne.


Un prince calomnié : le comte de Chambord

Le 24 août 1883 mourait à Frohsdorf en exil volontaire et digne, après un long « règne moral » de près de quarante ans, le Comte de Chambord, Henri V.
Prince calomnié, encore mal connu ou méconnu, il fut victime de la propagande républicaine, hostile à toute formule monarchique, et, plus encore peut-être, des orléanistes, ces monarchistes libéraux qui avaient usurpé le trône de son grand-père Charles X en 1830.

Prendre possession de la légitimité au moyen de M. le Comte de Chambord et s’assurer ainsi sa succession, imposer au petit-fils de Charles X des conditions qu’il ne pouvait accepter, ou, s’il les subissait, qui rendraient son maintien impossible sur le trône ; l’amener ainsi à une abdication avant ou après : tel avait été, dès le principe, le plan aussi astucieusement conçu qu’habilement suivi par les principaux chefs du groupe orléaniste libéral, et dont quantité d’honnêtes royalistes furent les coopérateurs, pour ne pas dire les complices inconscients.
Arthur LOTH, L’échec de la restauration monarchique en 1873, Paris, 1910, p. 525.

On a ainsi volé au Comte de Chambord non seulement ce règne « réparateur et fort » qu’il ambitionnait, mais l’intelligence de sa vie et une partie de sa mort, — en tout cas sa succession politique.
– Une légende tenace voudrait en effet qu’il ait lui-même compromis les chances d’une restauration en 1871-73 par son attachement borné à « un lambeau de draperie blanche », ainsi qu’ironisait le duc de Broglie.
– Une autre légende, non moins répandue, affirme qu’en 1873, par le biais de la « fusion », Henri V, qui n’avait pas d’enfant, reconnut comme son héritier Louis-Philippe-Albert d’Orléans, Comte de Paris, chef de la branche cadette et française.
Légendes, certes1. Mais c’est assurément en vertu de ces fables qu’au lendemain de la mort du Prince la grande majorité des royalistes français rallia sans trop de scrupules ni de discernement le camp des Orléans.

La fusion de 1883 entre orléanistes et légitimistes

La fusion, qui n’avait jamais vraiment existé avant 1883, devint réalité après cette date. Au vieux dualisme des orléanistes et des légitimistes fit place un étonnant monisme fusionniste où l’on vit étrangement cohabiter d’authentiques chouans, des zouaves pontificaux, des voltairiens libéraux, les ducs orléanistes, M. de Charette et M. de Broglie.
De cette façon se constitua, avec les brillants résultats que l’on sait, le gros des forces conservatrices de la IIIe République commençante.
Ce ralliement des royalistes de tradition aux descendants du régicide et de l’usurpateur a de quoi surprendre : il existait entre les deux familles monarchistes un fossé doctrinal et un océan de haines ; de surcroît, nul n’ignorait que la Couronne de France se transmettait par primogéniture.
Or, en 1883, l’aîné de la Maison de Bourbon n’était pas le Comte de Paris ; cet aîné, c’était le chef de la branche carliste des Bourbons d’Espagne, autrement dit des Bourbons-Anjou (issus du petit-fils de Louis XIV qui fut Duc d’Anjou avant de monter sur le trône espagnol).
Comment se fait-il que les Bourbons-Anjou aient été délibérément écartés dans l’opinion publique à cette époque — et depuis lors dans une large mesure ?
La question mériterait au moins qu’on s’y arrêtât. Elle intéresse l’histoire d’abord, le droit certainement, et les doctrines politiques de surcroît. Car on doit bien voir que l’effacement du légitimisme intransigeant ne laissait plus subsister en France (y compris chez les monarchistes) que des traditions révolutionnaires.

Les arguments du fusionnisme

Les motifs évoqués contre les princes de la branche aînée sont divers et d’inégale importance.
On a fait valoir les renonciations de Philippe V au traité d’Utrecht pour lui et sa descendance : mais elles ont l’inconvénient majeur de violer la « théorie statutaire » et le principe de l’indisponibilité de la Couronne, dégagé par nos anciens légistes dès avant le « honteux traité de Troyes » de 1420.
On s’est réclamé de l’opinion du Comte de Chambord : mais, en dehors du fait qu’elle est plus que douteuse en faveur des Orléans, elle ne serait finalement, elle aussi, qu’un abus de pouvoir si elle venait à contredire la loi fondamentale.
C’est alors qu’on a songé, parmi les orléanistes et les fusionnistes, à une « règle de nationalité ». Merveilleux argument, qui pourrait faire taire toute discussion… si, du moins, l’on parvenait à lui donner consistance. Les Bourbons-Anjou sont bien les aînés des Bourbons, mais la Maison de Bourbon ne serait qu’une fiction, une famille éclatée politiquement, dont les aînés, devenus Espagnols, se trouveraient ipso facto écartés de toute prétention au trône de France.
On aperçoit le contour de l’argument massue imaginé par les nouveaux habiles.
– Peu importe qu’il fasse bon marché du « pacte de Famille ».
– Peu importe qu’il se heurte de plein fouet à ce laborieux appareil des renonciations, si péniblement arrachées en 1713 à Louis XIV, à Philippe V et à tous les autres successibles de France.
– Peu importe qu’il soit dérivé du révolutionnaire principe des nationalités. On trouvera bien quelque moyen de masquer son anachronisme en en rajoutant : il suffira, par exemple, de le faire remonter (pourquoi pas ? ) à Suger ou à Hugues Capet, d’y trouver le fondement ultime de la « loi salique », voire l’inspiration patriotique de Jeanne d’Arc !
Cette construction, ce faux-semblant juridique ressemble trop, depuis 1883, à une captation d’héritage politique pour ne pas mériter discussion et réfutation.

Contexte et objectif de cette étude

L’étude qu’on va lire n’a pas d’autre objet. Elle fut rédigée, sous sa forme initiale, en 1964, pour paraître en une série d’articles à suivre dans un périodique aujourd’hui disparu, Tradition française. Elle en conserve l’allure un peu répétitive, et aurait eu assurément besoin d’être davantage complétée et refondue.
Je comptais être en mesure de reprendre et de prolonger cette recherche. Hélas ! d’autres urgences ne m’ont pas permis d’y revenir aussi longuement et minutieusement qu’il aurait fallu. Si ces pages, qui ne sont pas exactement ce que j’aurais souhaité qu’elles fussent, paraissent néanmoins, c’est grâce à mon ami Alain Néry. Docteur es Lettres, familier lui-même de ces sujets dont nous nous sommes si souvent entretenus l’un l’autre au long d’un itinéraire spirituel commun, il a bien voulu m’aider dans la tâche ingrate de révision du manuscrit, et y intégrer quelques-unes de mes recherches postérieures — ou des siennes propres — sur le légitimisme post-chambordien2. Qu’il en soit vivement remercié. Mais il a mis tous ses scrupules à respecter dans leur forme les divers écrits ainsi rassemblés, que je n’aurais sans doute pas eu les mêmes égards à profondément remanier.
Du fait de cette composition, le texte que nous présentons ne se caractérise pas toujours par l’élégance de la forme et l’équilibre du plan. Tel quel, pourtant, nous espérons que ce petit livre, enrichi de quelques illustrations originales dues à la plume talentueuse de Pascal Beauvais, pourra éclairer un aspect somme toute assez mal connu, en tout cas controversé, du droit royal historique français.
Il n’était bien sûr pas question d’approfondir les règles de succession au trône de France, moins encore d’ébaucher une histoire du légitimisme (que l’on commence à mieux connaître au travers d’ouvrages récents ou en cours).
Plus circonscrit, notre but fut de soumettre à critique la thèse dite « orléaniste » — fort répandue dans le monde journalistique des idées reçues, et cependant bien médiocrement fondée en droit — selon laquelle la succession politique du Comte de Chambord devait revenir aux princes d’Orléans.

Plan de l’étude

Dans un premier chapitre, on trouvera exposé l’argument majeur de l’orléanisme (sujet propre de notre discussion) : la prétendue « règle de nationalité » qui écarterait du trône de France les « princes étrangers », rendant du même coup superflu l’autre argument, celui des renonciations d’Utrecht.
Un second chapitre s’efforce de réfuter les « preuves » habituellement alléguées à l’appui de la théorie orléaniste, en montrant qu’il ne faut pas confondre la « loi de sanguinité capétienne » (qui existe) avec une pseudo-« règle de nationalité » (parfaitement anachronique).
Enfin, un dernier chapitre, nourri d’une documentation pourtant très fragmentaire — la friche reste immense ! — montre l’évolution sentimentale et politique des rapports entre les princes de Bourbons-Anjou et la France depuis 1713 jusqu’à nos jours.
Si le vieux droit s’est estompé, il s’est toutefois survécu, alors que l’orléanisme, de son côté, n’a pas été exempt de contradictions.
La conclusion à laquelle nous aboutissons est claire et se lit, pour finir, sur un arbre généalogique : le légitime dépositaire de la tradition monarchique française est, à l’heure actuelle, Monseigneur le Prince Alphonse, Duc d’Anjou et de Cadix, chef de la Maison de Bourbon, aîné des Capétiens dynastes, et non pas le Comte de Paris, héritier de la contre-tradition orléaniste.
G. A.
Avril 1979

  1. Nous nous permettons de renvoyer pour plus ample démonstration à notre mémoire, La légitimité monarchique en France au XIXe siècle (Bibliothèque de la Faculté de droit de Paris, (B.F.D.), cote 23332,1964/1), ainsi qu’au remarquable livre d’Emmanuel BEAU de LOMÉNIE, La Restauration manquée, l’affaire du drapeau blanc, Paris, 1932 (que la Librairie française vient de rééditer opportunément).
  2. J’avais rédigé en 1967, pour la Faculté de droit de Paris, un mémoire de science politique intitulé « Les Blancs d’Espagne », contribution à l’étude d’une composante du royalisme français contemporain (B.F.D. 23 332, 1967/16). On trouvera l’indication de la thèse d’Alain NÉRY en bibliographie.
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