La valeur historique des Évangiles est démontrable. Les Évangiles exposent la vie, les enseignements, la mort et la résurrection de Jésus-Christ — Verbe et Fils de Dieu — qui réalise les prophéties de l’Ancien Testament. Ces récits décrivent comment la Deuxième personne du Dieu unique s’incarne et s’offre au supplice pour racheter les péchés des hommes. Ils sont écrits par quatre témoins, quatre hommes très différents qui :
– soit ont connu directement le Christ (le percepteur d’impôt Matthieu, et le pêcheur Jean),
– soit ont connu ses apôtres (le très simple Marc disciple de Pierre, et le médecin Luc qui mène une enquête minutieuse.)
La doctrine contenue dans les Évangiles se révèle d’une admirable cohérence, montre une prodigieuse profondeur, et dépasse de façon inexplicable la modestie de leurs auteurs. Aussi cette doctrine a-t-elle permis d’alimenter — d’une manière toujours renouvelée, mais jamais exhaustive — l’exégèse de savants et de saints au long des siècles. En outre, même un non-chrétien comme Mahomet reconnaît dans son Coran « l’Évangile, où il y a guide et lumière (5, 46) ». Pareillement, un père de la Révolution comme Jean-Jacques Rousseau doit concéder que « Oui, si la mort et la vie de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu1. »
Table des matières
Introduction de Vive le Roy
Le texte qui suit est un extrait du Cours d’apologétique chrétienne du Père W. Duviviers S. J., 19e édition, H. & L. Casterman, Paris-Leipzig-Tournay, p. 197-217.
AVERTISSEMENT : Les titres notés [VLR] ont été ajoutés par Vive le Roy pour faciliter la lecture en ligne.
En outre, Vive le Roy offre aux internautes une version PDF comparative des quatre Évangiles : la Synopse des quatre Évangiles du Père Lagrange O.P., Librairie Lecoffre, J. Gabalda et Cie éditeurs, Paris, 1946.
Introduction [VLR]
On admet aujourd’hui que les synoptiques (S. Matthieu, S. Marc et S. Luc) ont travaillé sur un document antérieur qu’on appelle Logia, ou recueil des paroles de Jésus-Christ, et que l’Évangile de S. Marc refléterait plus exactement. S. Jean écrivit sans doute son Évangile à Éphèse, avec une sublimité de vues qui dénote chez lui une élévation particulière tranchant sur la simplicité des autres.
Si l’incrédulité n’a rien omis pour ruiner, si possible, la certitude historique des livres de l’Ancien Testament, c’est à la certitude des Évangiles qu’elle devait s’efforcer de porter les coups les plus redoutables. Ébranler cette certitude, ce serait ébranler le Christianisme lui-mème. Ne sont-ce pas eux surtout qui racontent, avec la vie, les miracles, la mort, la résurrection de Jésus-Christ, l’institution de son Église ? Il importe donc d’établir sur des preuves solides l’autorité historique des saints Évangiles, c’est-à-dire leur authenticité, leur intégrité, leur véracité substantielle.
Authenticité des Évangiles [VLR]
Succession de systèmes rationalistes niant l’authenticité des évangiles [VLR]
Pour attaquer l’authenticité des Évangiles, la critique indépendante a, depuis un siècle surtout, essayé de toutes les armes.
D’abord ironique et menteuse avec Voltaire, on l’a vue affecter, chez Lessing et ses successeurs allemands, les formes les plus savantes.
Elle s’est faite tour à tour :
– naturaliste avec Eichhorn et Paulus,
– mythique avec Strauss, Pétriniste et Pauliniste avec Baur et l’École de Tübingue.
Aujourd’hui, elle est plutôt documentaire.
La critique en est-elle au dernier degré de son évolution ? Nous ne le croyons pas. Quoi qu’il en soit, il reste un fait acquis, qui ne saurait échapper à personne, c’est que, à mesure qu’ils se succèdent, les systèmes rationalistes tombent dans l’oubli ; il arrive même à plus d’un de leurs partisans de les trahir. L’authenticité de nos Évangiles n’en apparaît que plus inattaquable.
Des critiques sur les dates de composition des évangiles [VLR]
C’est ainsi que la critique avait tout mis en œuvre pour reculer la date de leur composition. D’aucuns faisaient remonter à 150 et jusqu’à 170 l’apparition de l’Évangile de S. Jean. Et voilà que Tischendorf n’hésite pas à écrire :
Nous nous croyons autorisé à placer vers la fin du Ier siècle, non pas la naissance ou la composition des Évangiles, mais leur réunion en corps canonique.
M. Harnack lui-même déclare que tous les hommes compétents finiront par reconnaître que …
… le cadre chronologique suivant lequel la tradition a disposé les anciens monuments du christianisme est exact dans toutes ses lignes principales, et, par suite, oblige l’historien à rejeter toute hypothèse en opposition avec ce cadre.
[L’exégète catholique Lepin ajoute :]
On peut dire qu’actuellement protestants et rationalistes sont unanimes à placer la composition des trois premiers Évangiles dans la seconde moitié du Ier siècle, et celle du quatrième Évangile dans les premières années du IIe.
Depuis S. Irénée, la tradition ecclésiastique s’est accordée à placer la composition des trois premiers Évangiles entre l’an 50 et l’an 70, et celle du quatrième entre 80 et 100. Et c’est la datation la plus généralement admise par les écrivains catholiques de nos jours.
… L’Église n’a pas de définition de foi touchant l’origine humaine de nos écrits sacrés, mais seulement touchant leur origine divine, c’est-à-dire leur caractère inspiré2.
THÈSE. — Les Évangiles ont été écrits au Ier siècle de l’ère chrétienne par les auteurs dont ils portent le nom, c’est-a-dire par les apôtres ou leurs disciples immédiats
L’accord unanime des auteurs chrétiens des premiers siècles sur l’authenticité des Évangiles [VLR]
Les témoignages positifs en faveur de cette authenticité sont si nombreux et si constants, qu’ils défient toute contradiction sérieuse. Nous avons, en effet, sur ce point :
Saint Irénée de Lyon (v.140-v.202)
Si nous remontons de la fin du IIe siècle vers les temps apostoliques, nous voyons se succéder sans interruption les témoignages les plus irrécusables rendus en faveur de l’authenticité de nos Saints Évangiles.
Le Verbe ayant apparu au milieu des hommes, écrit S. Irénée, nous a donné un quadruple Évangile animé d’un même esprit3.
En même temps qu’il nomme les quatre Évangélistes, le saint Évêque de Lyon leur fait dans ses ouvrages de continuels emprunts. C’est ainsi qu’on y trouve :
– 234 textes tirés de S. Matthieu, 13 de S. Marc, 125 de S. Luc, 94 de S. Jean ; et de plus,
– une analyse de l’Évangile de S. Luc, répondant point par point au livre que nous possédons sous ce nom.
Or, S. Irénée se rattache aux temps apostoliques par S. Polycarpe, dont il était le disciple, et qui eut lui-même S. Jean pour maître.
Clément d’Alexandrie (v.150-v.215)
À la même époque, Clément d’Alexandrie rend le même témoignage. Répondant à l’un de ses adversaires, au livre III de ses Stromates :
Cette parole, écrit-il, ne se lit pas dans les quatre Évangiles qui nous ont été transmis par la tradition, mais dans celui des Égyptiens.
Dans ses autres ouvrages, on relève de même un grand nombre de textes empruntés aux quatre Évangiles.
Tertullien (v.160-v.200)
Quant à Tertullien, on peut dire que son œuvre entière est remplie d’allusions aux textes sacrés. C’est à ce point que Reuss, savant allemand qui en a fait le recueil, a cru devoir le publier sous le titre significatif : Le Nouveau Testament tiré des écrits de Tertullien.
Le catalogue des livres sacrés de Muratori (v.170)
À cette même époque, vers 170, l’Église de Rome possédait un catalogue des livres sacrés dans lequel nous trouvons nos quatre Évangiles. C’est ce catalogue qui a été découvert, au XVIIIe siècle, dans la bibliothèque Ambrosienne, par Muratori, et qui a pris pour ce motif le nom de Canon de Muratori.
Ainsi donc au milieu du IIe siècle, en Gaule, en Asie, en Afrique, à Rome, nos Évangiles étaient connus, acceptés de tous, attribués aux Évangélistes du Ier siècle. Le fait de cette croyance si ferme et si universelle ne pourrait s’expliquer, si les Évangiles ne remontaient pas à une antiquité plus haute encore.
Il nous est d’ailleurs aisé de faire un pas de plus, et d’atteindre de plus près les origines.
Saint Justin de Naplouse (v.100-v.165, martyr)
S. Justin, philosophe païen qui se convertit au christianisme et qui subit le martyre entre 163 et 167, écrivit deux apologies en faveur des chrétiens. Son enseignement appartient donc à la première partie du IIe siècle. Or, il nous dit que de son temps …
… les mémoires des Apôtres, qu’on appelle les Évangiles, étaient lus dans les assemblées des chrétiens. » (Apol. I, 67).
Il dit aussi …
… que dans ces mémoires les Apôtres ont raconté les ordres donnés par Jésus concernant l’Eucharistie et le Sacerdoce. (Apol. I, 66).
Or, vingt fois encore, S. Justin fera mention de ces mémoires sans laisser soupçonner aucun doute sur leur provenance. (Dial. 103).
Théophile d’Antioche (†183) et Tatien le Syrien (120-173)
Vers l’an 170, Théophile et Tatien, tous deux écrivains ecclésiastiques, entreprenaient une Harmonie, ou ce que nous appellerions aujourd’hui une Concordance des Évangiles. Le titre de l’ouvrage de Tatien « Diatessaron », c’est-à-dire l’œuvre des quatre, témoigne, ce que nous savons d’ailleurs d’autre part, que cet auteur connaissait les quatre Évangiles. De l’ouvrage de Théophile, S. Jérôme a écrit …
… qu’il formait une combinaison des quatre Évangiles en un seul tout4.
Saint Clément de Rome († v.98)
Il ressort également des écrits des disciples immédiats des Apôtres, qu’on appelle Pères apostoliques5, qu’ils ont connu nos Évangiles canoniques. Bien que dans la 1re Lettre qui lui est attribuée (93 à 95), S. Clément de Rome ne renvoie jamais à l’Évangile, on ne peut nier qu’il y fasse de fréquentes allusions. Xav. Funck, auquel nous sommes redevables de la meilleure édition critique des Pères Apostoliques, a relevé dans cette 1re Lettre 24 passages dont 10 paraissent visiblement s’inspirer de S. Matthieu, 3 de S.,Marc, 4 de S. Luc et 7 de S. Jean.
Saint Ignace martyr († début IIe siècle)
On a remarqué de même que, sans traiter ex professo la question des Évangile, S. Ignace martyr, dans les 7 lettres qui nous restent de lui, (110-117), en appelle souvent aux « Archives », ou (le mot revient souvent sous sa plume), à « l’Évangile. »
J’ai entendu, écrit-il aux Philadelphiens (vin, 2), des gens qui disaient : si je ne trouve pas (cela) dans les Archives, dans l’Évangile, je ne crois pas. Et comme je leur disais : c’est écrit, ils me répondaient : c’est à prouver. Quant à moi, mes archives sont le Christ Jésus…
Funck relève dans les épîtres de S. Ignace, 16 citations de nos Évangiles.
Saint Polycarpe (v.70-v.167)
La seule épître de S. Polycarpe aux habitants de Philippes en contient 11. Dans les fragments de son Explication qui nous ont été conservés par Eusèbe, Papias, contemporain de S. Jean, mentionne expressément des Logia ou récits de S. Matthieu et de S. Marc.
La doctrine des douze Apôtres(fin Ier siècle)
Enfin, « La doctrine des douze Apôtres », dont les critiques font remonter la rédaction vers la fin du Ier siècle, et qui n’a été publiée qu’en 1883, non seulement parle jusqu’à quatre fois de l’Évangile, mais encore fait manifestement une vingtaine d’emprunts à S. Matthieu et au moins deux à S. Luc.
L’accord des hérétiques des premiers siècles sur l’authenticité des Évangiles [VLR]
Dès les temps apostoliques, les Gnostiques connaissaient nos Évangiles et s’en servaient fréquemment.
Marcion de Sinope (v.85-v.160)
Marcion, qui vivait à Rome entre 117 et 138, n’ignorait pas leur origine apostolique, mais il ne voulut admettre que celui de S. Luc, parce qu’il l’avait altéré pour en faire le fondement de sa religion nouvelle.
Valentin († v. 160)
Valentin, qui enseignait à Rome entre 138 et 161, acceptait l’autorité des quatre Évangiles, lorsque celui de S. Jean eût ses préférences marquées. Son disciple Héracléon composa même un commentaire sur cet évangile.
Basilide († début du IIe siècle)
Vers 120, nous voyons aussi, à Alexandrie, Basilide, qui non seulement cite trois des Évangiles comme Écriture sacrée, mais qui en fait même un commentaire dans l’esprit de sa gnose.
Ébionistes et Ophites
À l’exemple de ces hérésiarques, les Ébionistes et les Ophites s’appuient également sur l’Évangile.
Conclusion
Ce qui est surtout significatif, c’est de voir que ces hérétiques, dont le but était d’établir des systèmes qui contredisaient les Évangiles, ne trouvent pas d’autres moyens de réussir que de s’appuyer sur ces mêmes Évangiles et d’invoquer leur autorité. Tant l’authenticité de ces livres était incontestée, tant était grande l’autorité dont ils jouissaient déjà.
La voix discordante des Aloges
On signale, il est vrai, dans ce concert unanime une voix discordante, celle des Aloges, qui attribuaient à une fraude la composition de l’Évangile de S. Jean ; mais on sait que des raisons dogmatiques seules les portèrent à ne pas reconnaître la main d’un apôtre dans un écrit qui affirmait si nettement l’existence et les attributs du Verbe de Dieu. Ils en placent néanmoins l’origine à l’époque où vécut S. Jean. Preuve manifeste que le quatrième Évangile était aux mains de l’Église chrétienne dès la fin de l’âge apostolique6.
L’accord des auteurs païens sur l’authenticité des Évangiles [VLR]
Celse (IIe siècle)
Celse, dans son Discours véritable, écrit vers 178, attaque les Livres Saints et les Évangiles en particulier ; il accuse le Christ d’être un magicien et les apôtres d’être des imposteurs, mais il ne songe pas à nier l’autorité des livres qui transmettent ces récits.
Porphyre (234-305), Hiéroclès (IIe siècle), de Julien l’Apostat (v.331-363)
Il en est de même plus tard de Porphyre, d’Hiéroclès, de Julien l’Apostat. Ces ennemis acharnés et sagaces de la religion chrétienne s’efforcèrent, il est vrai, de tirer des Évangiles des objections contre la divinité de ces livres, mais ils n’entreprirent jamais d’attaquer leur authenticité. Cependant si la chose eût été possible, ils n’auraient pas manqué de recourir à ce moyen, car c’était évidemment le plus court et le plus efficace pour combattre l’Église du Christ.
Les Évangiles présentent tous les caractères intrinsèques d’authenticité [VLR]
Authenticité sur les mentalités, mœurs et croyances de l’époque [VLR]
Loin d’y rencontrer rien qui soit opposé aux lois, usages, institutions, langages, mœurs, caractères, goûts, préjugés, en un mot, à l’état social et religieux de la Judée à cette époque, tout est décrit avec une exactitude si scrupuleuse et des détails si précis, que des témoins oculaires seuls ont pu connaître et raconter ces faits.
Authenticité sur ce que les connaissances actuelles nous disent de l’époque [VLR]
On doit en dire autant de ce qui concerne l’histoire, la géographie, la topographie, la numismatique de ce temps.
Les anglais Lardner et Paley ont démontré que la conformité des Évangiles avec l’état de la société romaine, telle qu’elle nous est connue au temps d’Auguste, va jusqu’au moindre détail.
Or, il eût été absolument impossible à un écrivain postérieur de ne point se tromper, surtout sur certains points très compliqués et très obscurs de ce Ier siècle7. —
Il ressort manifestement d’une foule de passages, que les Juifs auxquels S. Matthieu adressa son Évangile habitaient Jérusalem avant sa ruine (an 70).
– La Jérusalem d’Agrippa y apparaît si vivante, que les rationalistes n’osent plus retarder la composition de cet Évangile au-delà des années qui suivirent immédiatement la destruction de la cité sainte : autrement, comment expliqueraient-ils que la ville disparue eût laissé un souvenir si vivace ?
– D’ailleurs si certains ennemis acharnés de nos Livres Saints ont voulu reporter la composition du premier Évangile après l’an 70, ce n’est pas qu’ils aient des motifs plausibles à faire valoir ; c’est principalement parce qu’ils y trouvent annoncée la ruine de Jérusalem et du Temple, et que, jugeant toute prophétie impossible, ils se voient contraints de déclarer celle-ci écrite après l’événement8.
Pourquoi il est impossible que ces livres ne soient pas authentiques [VLR]
Les preuves qui précèdent suffiraient à établir, d’une manière péremptoire, l’authenticité des Évangiles. On peut cependant aller plus loin et démontrer qu’il est impossible que ces livres ne soient pas authentiques.
En effet, il résulte des témoignages indiqués plus haut que ces livres étaient universellement reconnus pour authentiques au commencement du IIe siècle, et même au Ier9. Si donc il y avait eu imposture, elle aurait dû nécessairement être commise ou du vivant des apôtres ou peu de temps après leur mort.
Ces deux hypothèses sont également inadmissibles, car de vives réclamations se seraient élevées, ou de la part des apôtres, si attentifs à conserver la foi dans toute sa pureté, ou de la part de leurs disciples immédiats, ainsi que des païens et des hérétiques, intéressés à démasquer la fraude. Or, rien de pareil ne s’est produit. Les fidèles n’ont jamais hésité à recevoir ces écrits comme venant des apôtres ; tandis que l’apparition des évangiles apocryphes souleva aussitôt des réclamations chez les docteurs chrétiens les plus autorisés.
De tous ces arguments, on peut conclure que nos Évangiles sont authentiques. Les preuves sur ce point sont assez convaincantes pour que Renan lui-même ait pu être amené à faire cet aveu :
En somme, j’admets comme authentiques les quatre Évangiles canoniques. Tous, selon moi, remontent au Ier siècle, et ils sont à peu près des auteurs à qui on les attribue.
Intégrité des Évangiles
Une multitude de sources anciennes toutes cohérentes [VLR]
Pour prouver cette intégrité, il suffirait de citer les paroles suivantes du savant polyglotte Card. Wiseman10 :
Quoique chaque source où l’on puisse parvenir ait été épuisée ;
quoique les éclaircissements de textes donnés par les Pères de tous les siècles, ainsi que les versions de toutes les nations, arabe, syriaque, copte, américaine et éthiopienne, aient été mises à contribution pour leur manière d’interpréter le sens ;
quoique les manuscrits de tous les pays et de chaque siècle, depuis le XVIe en remontant jusqu’au IIIe, aient été si souvent compulsés par des essaims de savants jaloux d’enlever leurs trésors ;
quoique des critiques, après avoir épuisé les richesses de l’Occident, aient voyagé dans les contrées lointaines pour découvrir de nouveaux témoignages ;
quoiqu’ils aient visité, comme Scholz et Sébastiani, les profondeurs du mont Athos ou les bibliothèques des déserts de l’Égypte et de la Syrie ;
malgré tout cela, on n’a rien découvert, pas même une seule version qui ait pu jeter le moindre doute sur aucun des passages considérés auparavant comme certains et décisifs en faveur de quelque point de la doctrine sacrée.
On possède environ 500 manuscrits anciens des Évangiles, se succédant depuis le temps de Constantin jusqu’au XVIe siècle. Les principaux sont : le codex Vaticanus, l’Alexandrin, le palimpseste de S. Ephrem, et le codex Sinaïticus.
Or, tous ces manuscrits, même les plus anciens, s’accordent substantiellement entre eux. Ils sont nos témoins autorisés de l’intégrité des Évangiles jusqu’au IVe siècle. — Les versions de ces livres sacrés et les innombrables citations des Pères nous garantissent cette même intégrité pour les temps antérieurs.
À cette époque, ce n’est pas seulement en grec que nous possédons le texte des Évangiles ; c’est en latin, en copte, en syriaque. La version syriaque remonte, suivant toute vraisemblance, au milieu du IIe siècle ; la version latine n’est d’ailleurs pas moins ancienne. Or, toutes ces versions sont concordantes.
Les écrits des Pères sont tellement remplis de citations de l’Écriture, qu’il serait vrai de dire qu’avec les textes empruntés, on pourrait refaire le Nouveau Testament. Or, nous constatons que ces textes ne diffèrent pas de ceux des versions, et cet accord nous permet de conclure que le texte original des Évangiles n’était pas différent de celui que nous présentent nos manuscrits du IVe siècle.
Une altération impossible tant ces textes sont respectés et surveillés [VLR]
Au reste une altération, au moins substantielle des Évangiles, eût été impossible. nul livre ne se trouva, dès l’origine, plus respecté et plus répandu. En effet, quand aurait-elle pu avoir lieu ?
– Du temps des apôtres ? Ils ne l’auraient ni ignorée, ni soufferte.
– Après leur mort ? Leurs disciples s’en seraient aperçus et auraient protesté.
– Un peu plus tard ? Des copies de ces écrits étaient trop nombreuses et trop faciles à contrôler, pour qu’il ne s’élevât pas à leur sujet de violentes réclamations, soit de la part des chrétiens, soit de la part des hérétiques, soit enfin de la part des Juifs et des païens.
Or, rien de semblable n’a eu lieu. N’oublions pas que, au témoignage de Tertullien, les autographes des écrits apostoliques existaient encore au commencement du IIIe siècle, et que déjà au IIe siècle, comme nous l’affirme S. Justin, on lisait publiquement les Évangiles pendant la célébration de la Liturgie.
À l’heure qu’il est, dit A. Nicolas, il serait impossible d’altérer les Livres Saints, parce qu’ils sont entre les mains de tous les catholiques, pape, évêques, prêtres et fidèles ; parce qu’ils sont entre les mains des hérétiques et des Juifs ; parce qu’ils sont entre les mains des incrédules, et que les uns, à défaut des autres, flétriraient l’imposture dès son apparition. Or, ce qui est impossible aujourd’hui, à cause de cette triple rangée de surveillants incorruptibles, l’a toujours été, puisque la situation a toujours été la même.
Des variantes naturelles (erreurs de copiste ou de traduction) [VLR]
Sans doute il existe de nombreuses variantes, mais elles ne prouvent rien contre l’intégrité des Évangiles.
Il en va de même de tous les livres que l’antiquité nous a légués. On sait que les variantes des seules œuvres d’Horace ont fourni la matière de trois volumes.
Les Évangiles surtout devaient nécessairement se charger de variantes, aucun livre n’ayant été plus copié, traduit, commenté dans tous les temps et dans tous les lieux.
Dieu n’était pas obligé défaire une série ininterrompue de miracles, pour préserver les Évangiles de toute altération même accidentelle. — On peut même dire que loin d’infirmer l’intégrité des Livres Saints, ce grand nombre de variantes ne fait que la confirmer davantage : comme elles laissent intactes les parties essentielles de chaque phrase, il est bien clair qu’elles ne peuvent être attribuées qu’à des erreurs de copistes ou de traducteurs.
Véracité des Évangiles
Reste à prouver que les auteurs des Évangiles :
– n’ont pas pu se tromper sur les événements qu’ils rapportent ;
– qu’ils n’ont pas voulu tromper ;
– que lors même qu’ils auraient voulu tromper, ils n’auraient pas pu le faire.
De cet ensemble de preuves résultera l’incontestable exactitude de leurs récits.
Pourquoi les rédacteurs des Évangiles n’ont pas pu se tromper [VLR]
Ces écrivains n’ont pas pu se tromper, car ils ne racontent que ce qu’ils ont vu eux-mêmes ou appris de témoins oculaires tout à fait dignes de foi.
Il s’agissait d’ailleurs de faits récents, sensibles, matériels, accomplis au grand jour, souvent en présence d’une multitude considérable, et même des ennemis de Jésus qui cherchaient, non à les contester, mais à les expliquer par une intervention diabolique.
Ces faits étaient d’une importance capitale pour les institutions et la religion du peuple juif, et, par conséquent, du plus haut intérêt pour eux ; enfin ils étaient souvent extraordinaires et merveilleux : et, par là même, de nature à fixer l’attention.
Osera-t-on prétendre que les auteurs des Évangiles ont tous été aveugles et sourds ou hallucinés ? En ce cas, il faudrait en dire autant d’une foule d’autres contemporains, même parmi les ennemis de Jésus, puisque ceux-là aussi ont admis sans réclamation les récits évangéliques. Il est donc certain que ces écrivains n’ont pas pu se tromper.
Pourquoi les rédacteurs des Évangiles n’ont pas voulu tromper [VLR]
Ont-ils voulu tromper ?
Non : c’étaient des hommes simples, irréprochables, pleins de franchise et de loyauté. Il suffît de lire l’Évangile sans préjugés, pour être convaincu que ces historiens ne peuvent pas être des imposteurs : le ton honnête et candide de leurs récits est une sûre garantie de leur véracité.
Ils n’avaient, d’ailleurs, aucun intérêt à commettre un acte aussi odieux : l’homme ne se fait pas imposteur sans motif. Loin de pouvoir espérer quelque profit d’une fraude non moins préjudiciable aux Juifs qu’aux païens, ils n’avaient à attendre que ce qu’ils ont en effet recueilli : le mépris, les outrages, les persécutions et la mort. Qui ne sait que leur sincérité leur a coûté tout leur sang ? Pascal a eu raison de le dire :
J’en crois volontiers des témoins qui se font égorger.
Aussi bien, la critique actuelle s’accorde-t-elle absolument à reconnaître la véracité des Évangélistes.
Pourquoi les rédacteurs des Évangiles n’auraient pas pu tromper [VLR]
Enfin ils n’auraient pas pu tromper.
En effet, ils écrivaient les faits évangéliques alors que de très nombreux témoins de ces événements vivaient encore et n’auraient pas manqué de confondre l’imposture.
Les Juifs surtout avaient le plus grand intérêt à la démasquer. Les chefs de la Synagogue, impuissants à nier les faits, ont bien essayé d’étouffer la religion nouvelle en imposant silence aux apôtres ; mais ils se sont vus dans l’impossibilité de contester la vérité des récits évangéliques.
Si l’imposture avait été tentée, les protestations auraient été d’autant plus vives et plus nombreuses, qu’il s’agissait d’événements publics de la plus haute importance ; que les faits étaient présentés comme ayant eu lieu peu auparavant dans toute la Judée et dans la ville même de Jérusalem, en présence de témoins nombreux dont les noms sont cités ; que plusieurs de ces faits avaient eu pour acteurs des hommes haut placés, des ennemis de Jésus, intéressés à dévoiler la fourberie.
Pourquoi les rédacteurs des Évangiles n’ont pas pu inventer ce qu’ils rapportent [VLR]
Signalons, en outre, plusieurs absurdités qu’il faudrait admettre, si l’on prétendait que les écrivains du Nouveau Testament ont inventé ce qu’ils racontent.
1° Ils auraient imaginé un héros d’un caractère si grand et d’une vie si pure, que J.-J. Rousseau lui-même se voit contraint de l’admirer, et d’écrire que…
… si la mort et la vie de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu.
Ils lui auraient attribué, en l’inventant eux-mêmes, une doctrine d’une sainteté, d’une sublimité, d’une profondeur plus grande que tout ce que les philosophes païens les plus fameux ont jamais conçu.
Pour inventer un Newton, dit Parker, il faudrait être un Newton. Quel est l’homme qui pourrait avoir inventé un Jésus ? Jésus seul en était capable.
2° Contrairement à l’habitude des imposteurs, ces écrivains, en traçant la vie d’un héros imaginaire, seraient entrés dans les moindres détails de temps, de lieux, de personnes, fournissant ainsi de quoi leur opposer un solennel démenti. De plus, leur imposture eût été si bien dissimulée, qu’ils seraient parvenus à mettre dans tout leur récit une vraisemblance parfaite, une conformité absolue avec tout ce que nous connaissons des temps évangéliques.
3° Ces hommes, aussi ignorants que pervers, auraient écrit ces fables, écloses dans leur imagination, en un style d’une candeur, d’une simplicité vraiment inimitable. Nulle affectation, nulle emphase, aucune parole d’exagération dans les récits, rien qui sente la passion, ni le désir de plaire. Les faits les plus surprenants sont décrits avec simplicité, sans réflexions personnelles, sans autre préoccupation que de dire ce qui est. Ces historiens ne cachent ni la bassesse de leur origine, ni l’étroitesse de leurs idées, ni les réprimandes qu’ils ont reçues de leur maître. Bref, l’accent de vérité de toutes ces pages, sorties pourtant de plumes diverses, est si frappant qu’il emporte la conviction de tout homme sincère. Aussi le même Rousseau n’a pu s’empêcher de s’écrier :
Dirons-nous que l’histoire de l’Évangile est inventée à plaisir ? Mon ami, ce n’est pas ainsi qu’on invente ; et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Au fond, c’est reculer la difficulté sans la détruire ; il serait plus inconcevable que quatre hommes d’accord aient fabriqué ce livre, qu’il ne l’est qu’un seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs juifs n’eussent trouvé ni ce ton, ni cette morale ; et l’Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si inimitables, que l’inventeur en serait plus étonnant que le héros11.
4° Les divers écrivains des Évangiles, des Actes et des Épîtres, bien que séparés par les lieux et les années, se seraient si parfaitement rencontrés dans leurs récits imaginaires de formes bien différentes, qu’on ne peut constater entre eux aucune contradiction réelle. Quant aux discordances et aux contradictions apparentes qui se trouvent dans les narrations des quatre Évangéliste, elles prouvent qu’ils ne se sont pas concertés pour inventer les événements qu’ils racontent.
5° Tous ces écrivains auraient scellé de leur sang, sans y être poussés par aucun intérêt, soit terrestre, soit éternel, ce qu’ils savaient être une invention de leur part ; après eux, des milliers de martyrs seraient morts pour attester le même mensonge.
6° Ces mêmes hommes auraient, sans aucun secours humain, pleinement réussi dans leur fourberie, au point de renverser non seulement le judaïsme si ancien et si enraciné, mais encore le paganisme, qui avait pour lui les richesses, la science, le pouvoir, l’attrait d’une morale favorable aux passions ; ils seraient parvenus à prosterner le monde repentant aux pieds d’un criminel mis en croix ; ils auraient amené une infinité d’hommes à renoncer à tout ce qu’ils avaient cru et pratiqué jusqu’alors, pour adopter une religion qui offrait à l’esprit d’insondables mystères, et à la volonté une morale contraire à tous les instincts de la nature sensuelle.
7° Une religion qui a régénéré l’humanité, créé le monde moderne sur les ruines de l’ancien, inspiré ses mœurs, ses institutions, ses lois ; qui a été partout une source intarissable de vérités, de vertus, de bienfaits ; qui compte parmi ses disciples une infinité de savants et de saints ; qui, après tant de siècles, adoucit encore les plus inconsolables douleurs, n’aurait pour fondement qu’un mensonge inventé par quelques pêcheurs de Galilée.
8° Enfin Dieu aurait confirmé la fraude de ces imposteurs, en accomplissant des prophéties inventées par eux et faussement attribuées à Jésus, et en opérant d’innombrables miracles en faveur de leurs disciples : il aurait ainsi contribué à induire le genre humain en erreur.
En vérité, si toutes ces impossibilités s’étaient réalisées à la fois, ce serait le cas de nous écrier avec Richard de Saint-Victor :
Seigneur, si je suis dans l’erreur, c’est par vous que je suis trompé, car la religion chrétienne est confirmée par des signes si éclatants et si nombreux, qu’elle ne peut venir que de vous.
« Domine, si erro, a te ipso deceptus sum, nam ista in nobis tantis signis et talibus confirmata sunt, quæ non nisi per te fieri posint (12 »
Résumé et Conclusion
Pour résumer ce chapitre, nous aimons à citer une belle page de M. de Broglie (L’Église et l’Empire romain au IVe siècle) :
Les faits dont l’Évangile nous présente le spectacle ne se sont point passés, comme les fastes des religions antiques, dans quelque temps reculé, semi-héroïque et semi-barbare, sur quelque bord désert ou inconnu.
C’est au sein d’une société pleinement civilisée, dans la ville principale d’une province romaine, visitée la veille par Pompée et décrite le lendemain par Tacite, que Jésus-Christ a vécu, prêché, formé son Église et sacrifié sa vie.
Sa biographie n’arrive pas jusqu’à nous transmise de bouche en bouche par des rapsodes et grossie sur sa route par l’enthousiasme et la crédulité populaire. Quatre récits, simples dans leurs formes, précis et concordant dans leurs assertions, rédigés par des témoins oculaires ou contemporains, dans une langue parfaitement intelligible, tels sont les documents sur lesquels s’établit l’histoire de Jésus-Christ.
Un concert d’attestations anciennes, la prompte diffusion, la similitude des textes répandus dans le monde entier, la conformité des récits avec la chronologie contemporaine, tels sont les titres que font valoir à leur tour les écrits évangéliques, pour prendre rang parmi les monuments authentiques du passé.
La certitude des faits ne s’établit point sur d’autres fondements, la critique des textes n’a point d’autres exigences. Nous connaissons Jésus-Christ par ses disciples Jean et Matthieu ; S. Paul par Luc, le compagnon de ses voyages. Connaissons-nous Alexandre ou Auguste par d’autres récits que ceux de leurs compagnons d’armes ou de leurs courtisans ?
Parce que des faits intéressent la foi et surprennent la raison, parce qu’ils emportent après eux des conséquences morales, est-ce un motif légitime pour récuser à leur égard toutes les règles ordinaires du jugement humain ? Nous ne demandons pour l’Évangile d’autre faveur que de n’être pas mis hors du droit commun de la science et de l’érudition.
M. Wallon, en terminant son bel ouvrage sur la croyance due à l’Évangile, dit à son tour :
Si l’on montrait à l’égard des livres anciens ou modernes les exigences que l’on a pour le Nouveau Testament, l’histoire serait encore à faire, faute de témoins dûment constatés ; nous en serions toujours à l’âge mythologique.
Réponse générale aux objections contre l’autorité des Évangiles
Trois principaux types d’objections [VLR]
Comme il n’entre pas dans notre dessein de répondre, en ce qui concerne la véracité des Évangiles, à toutes les difficultés de détail, — on en trouve la solution dans des ouvrages spéciaux — nous nous bornerons à en éclaircir quelques-unes qui ont un caractère plus particulièrement historique.
Quelques réflexions, suivies elles-mêmes de courtes observations sur certains points plus importants, nous y aideront. C’est encore à M. de Broglie que nous empruntons les premières.
Toutes les objections qu’on formule d’ordinaire, soit contre l’authenticité des Évangiles, soit contre la vérité des faits qui y sont rapportés, se rangent nécessairement sous l’un des trois chefs suivants :
1° Le caractère miraculeux des faits racontés.
2° La discordance des divers récits évangéliques entre eux.
3° L’opposition entre certains faits rapportés par les évangélistes et les faits ou la chronologie de l’histoire contemporaine, telle qu’elle nous est donnée par les écrivains profanes.
Sur le caractère miraculeux des faits de l’Évangile [VLR]
Le caractère miraculeux des faits de l’Évangile ne prouve absolument rien contre leur authenticité et leur vérité, à moins que l’on ne prétende rejeter a priori, sans preuve aucune, tout miracle comme impossible.
Dès qu’on admet, comme le veulent la logique et le bon sens, la possibilité du miracle, il n’est plus permis d’invoquer contre les évangélistes les faits miraculeux qu’ils racontent : ces faits ont pu évidemment être constatés, comme tout autre fait, par les sens d’abord, et ensuite par le témoignage après qu’ils eurent cessé d’être présents.
Nous parlerons plus loin ex professa de la possibilité des miracles et de leur constatation.
Sur les dissemblances des Évangiles entre eux [VLR]
Quant aux dissemblances des Évangiles entre eux, elles se rangent en deux classes :
– dissemblances par omission, lorsqu’un évangéliste omet ce qu’un autre reproduit ou que l’un se tait quand l’autre parle ; et
– dissemblances par contradiction, quand plusieurs évangélistes font du même fait des récits qui paraissent inconciliables13.
Les dissemblances par omission
Les omissions sont de nulle valeur, et c’est le cas de la plupart des discordances que l’on signale dans les Évangiles. On sait d’ailleurs que les apôtres, dont l’enseignement, selon les usages des rabbins juifs et suivant l’ordre de Jésus, était essentiellement oral, ont écrit seulement par occasion, sans intention préconçue de former un corps complet de doctrine, ni de raconter tous les actes de Jésus. Les évangélistes déclarent même expressément qu’ils sont loin d’avoir écrit tout ce qu’ils savent à ce sujet.
Les dissemblances par contradiction
Les dissemblances par contradiction sont l’objet d’une difficulté plus sérieuse. Mais remarquons-le bien, les contradictions entre deux récits d’un même fait, fussent-elles dûment prouvées, nous permettent seulement de contester l’exactitude de certains détails de ce fait ; elles n’autorisent à rejeter ni la substance de ce fait, ni les autres faits sur lesquels les narrations s’accordent. Or, les apparentes contradictions entre les évangélistes concernent toutes des points insignifiants, des détails sans importance14.
Quant à l’ensemble de l’histoire et aux précieuses et touchantes vérités qui ressortent du simple exposé évangélique, l’accord reste complet. Jamais des écrivains divers n’ont si-bien peint la même personne ; jamais ils n’ont mieux marché dans cette unité parfaite qui est l’apanage de la vérité.
Sur le désaccord de l’Évangile avec l’histoire du temps [VLR]
En ce qui concerne le désaccord de l’Évangile avec l’histoire du temps, les mêmes remarques aboutissent au même résultat. Ces divergences, qui sont d’ailleurs en très petit nombre, sont encore des omissions ou des contradictions.
Les désaccords par omission
Les omissions ne prouvent rien, surtout parce qu’il s’agit, dans l’histoire évangélique, non de faits qui, à cette époque, devaient absolument être connus des historiens de Rome et figurer dans les annales contemporaines, mais de l’histoire d’un charpentier, habitant une ville de province et dont l’influence a été d’abord assez restreinte pour ne pas attirer l’attention de Suétone et de Tacite. Lorsque les Chrétiens se furent assez multipliés à Rome même pour éveiller l’attention des philosophes et de la police romaine, c’est-à-dire une trentaine d’années après la mort du Christ, alors seulement les grands annalistes ont dû en faire mention. C’est précisément en ce moment que Tacite nous montre les chrétiens (sectateurs du Christ) persécutés à Rome par Néron.
Les désaccords par contradiction
Restent les contradictions qui peuvent se rencontrer entre le très petit nombre de dates mentionnées dans l’histoire évangélique et la chronologie générale de l’histoire contemporaine. Comme nous l’avons dit, lors même qu’on ne parviendrait pas à les expliquer, ni à les faire disparaître par quelque supposition plausible, il en résulterait uniquement un doute sur la date de certains faits évangéliques, sur le nom de tel gouverneur de Judée à telle époque, et autres points semblables absolument secondaires. Mais les faits essentiels n’en resteraient pas moins debout : il ne serait pas moins indubitable que Jésus-Christ est venu au monde, qu’il a fait des miracles et des prophéties, qu’il est mort sur la croix, qu’il est ressuscité.
Or, ce ne sont point des faits secondaires, mais des faits capitaux et incontestables qui nous serviront à prouver la divinité de la mission de Jésus-Christ et de son œuvre, la religion chrétienne.
Qui pourrait raisonnablement trouver étrange que l’on éprouve parfois de l’embarras dans l’interprétation d’un texte, alors qu’il s’agit de peuples dont les mœurs, les usages, la langue sont si différents des nôtres. Bien des choses devaient être très claires, très compréhensibles pour les contemporains, qui sont obscures pour nous et semblent même impliquer contradiction. Les progrès de la linguistique, de la géographie, de l’épigraphie, de la numismatique en notre temps, nous ont déjà rendu cet important service d’éclairer quelques points restés jusqu’ici dans l’ombre.
Réponse à quelques objections particulières
L’objection des faux Évangiles [VLR]
Il y a eu de faux Évangiles : les nôtres pourraient l’être également.
Réponse :
1° Autant vaudrait dire : il y a de la fausse monnaie : donc il n’en existe pas de véritable. C’est le contraire qui est vrai, et Pascal a raison de dire :
Au lieu de conclure qu’il n’y a pas de vrais évangiles puisqu’il y en a de faux, il faut dire au contraire qu’il y a de vrais évangiles, puisqu’il y en a de faux, et qu’il n’y en a de faux, que parce qu’il y en a de vrais.
Les Évangiles apocryphes n’ont pu être que des contrefaçons des véritables auxquels, par cela même, ils rendent témoignage. En effet, si les auteurs des évangiles apocryphes ont osé, non sans succès, raconter de pareils faits, c’est que ces faits étaient plus ou moins en harmonie avec les Évangiles authentiques, dont ils prenaient la couleur et l’autorité ; c’est que les uns et les autres se trouvaient d’accord avec les événements, récents, avec la tradition, avec les monuments et les souvenirs contemporains de la Judée.
2° Nous avons des preuves certaines que les Évangiles dits apocryphes sont réellement tels ; il en va tout autrement pour nos quatre Évangiles : leur authenticité et leur vérité sont établies par des preuves positives. Autant ceux-ci réunissent les caractères de la plus absolue véracité, autant les autres, d’un caractère nettement mythique, sont marqués du cachet de l’invraisemblance ou de la mauvaise foi.
Ces compositions, dit Renan, ne doivent être en aucune façon mises sur le pied des Évangiles canoniques. Ce sont de plates et puériles amplifications, ayant le plus souvent les canoniques pour base, et n’y ajoutant jamais rien qui ait du prix15.
3° Ces Évangiles apocryphes n’ont jamais été admis par l’Église et ils ont bientôt disparu, tandis que nos quatre Évangiles ont toujours été distingués comme seuls authentiques, non seulement par l’Église, mais par les hérétiques et les païens eux-mêmes.
L’Église, dit Origène, a quatre Évangiles, l’hérésie en a un plus grand nombre16.
L’objection d’un mythe fondateur du christianisme à l’instar des autres religions [VLR]
Chez les Grecs et les Romains, chez les Germains et les Indiens, toute religion, dit Strauss17, commence par des mythes, c’est-à-dire des récits fabuleux, où, sous la figure d’un homme qui n’a jamais existé, on expose une idée morale, un fait physique, etc. Il en est de même, prétend-il, de la religion chrétienne, où ce qui convient à toute l’humanité est attribué à un héros unique, à Jésus-Christ.
Réponse :
1° Ce que nous avons dit — en parlant des conséquences absurdes qui résulteraient d’une imposture de la part des apôtres —, s’applique parfaitement à la supposition d’un mythe. Ce serait donc un mythe, un récit mensonger, qui aurait fondé une institution aussi réelle, aussi vivante, aussi indestructible que l’Église ; ce serait un mythe qui aurait amené la conversion du monde, et ce serait pour un mythe que ceux-mêmes qui en seraient les auteurs, se seraient laissé égorger, et après eux des millions d’hommes !
2° Que les autres religions soient basées sur des récits fabuleux, il n’y a pas lieu de s’en étonner, puisqu’elles sont fausses. On a eu soin d’en placer l’origine dans les temps préhistoriques, c’est-à-dire à une époque d’obscurité où l’imagination des poètes a pu librement se donner carrière. Il en est tout autrement du Christianisme : il appartement à une époque de pleine lumière historique, d’activité intellectuelle et même de scepticisme, à une époque, par conséquent, où le récit fabuleux n’aurait pas eu plus de chance de succès qu’il n’en aurait aujourd’hui.
Comment peut-on comparer les personnages mythiques des autres religions à la figure de Jésus-Christ, si vivante, si empreinte d’une douce et simple majesté ?
Qu’on mette en regard les récits mythiques, toujours nuageux, indécis, dans lesquels sont confondus les temps, les lieux et les personnes, et la narration si détaillée et si précise des actes du héros de L’Évangile : l’observateur le plus superficiel reconnaîtra dans l’Évangile le caractère indubitable de la vérité historique.
3° Appliquer le système mythique à Jésus-Christ, c’est détruire l’histoire entière.
Personne assurément ne doute de l’existence et des hauts faits de Napoléon Ier. Cependant, en recourant aux mythes, on démontrerait, d’une manière fort vraisemblable, que le grand conquérant des temps modernes n’a jamais existé. On peut voir dans un ouvrage de Marcadé : « Études de science religieuse », un essai de ce genre, en réponse à Strauss et à ses partisans.
Si l’on répond que les œuvres de Napoléon lui survivent et protestent énergiquement contre l’hypothèse d’un mythe, nous ne le nions pas ; mais l’Église et toute la société chrétienne, œuvres de Jésus-Christ, brillent, depuis plus de dix-neuf siècles, d’un bien autre éclat ; leur existence même prouve clairement que Jésus-Christ, tel qu’il nous apparaît dans l’Évangile, a été la plus grande et la plus puissante réalité qui ait jamais paru en ce monde18.
Conclusion
Les Évangiles possèdent donc, comme documents historiques, une autorité irréfragable19, et nous pouvons en toute confiance nous appuyer sur eux pour prouver la divinité de la mission de Jésus-Christ et de son œuvre, la religion chrétienne.
- J.-J. Rousseau, Émile, ou de l’éducation, Veuve Lepetit jeune, t. IV, Paris, 1810, p.178.↩
- Lepin, Jésus Messie et fils de Dieu, 2e édit., Letouey, Paris, Introduction, p. X, XXX, XXX et note. Cf. Études du 5 juillet 1897, l’Évangile et la critique ; avril 1900, La théorie documentaire dans le Nouveau Testament.↩
- Cont. Hær. III, XI, 7, 9.↩
- Cf. Epist. 121 ; Migne, t. XXII.↩
- Il nous est resté des Pères apostoliques un certain nombre d’écrits d’une authenticité absolument incontestable : la lettre célèbre adressée aux fidèles de Corinthe par S. Clément, contemporain de S. Pierre ; l’Épître attribuée (à tort) à S. Barnabé, fidèle compagnon et ami de S. Paul ; le livre du Pasteur, d’Hermas ; les Sept lettres de S. Ignace d’Antioche ; la Lettre de S. Polycarpe à l’Église de Philippes ; les Fragments de Papias, insérés dans l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe ; la Doctrina duodecim Apostolorum.↩
- Cf. Lepin, Jésus Messie et Fils de Dieu, d’après les Évangiles synoptiques, Letouzey, Paris, 1905, p. XII ; L’origine du quatrième Évangile, idem, 1906 ;
Wallon, De la croyance due à l’Évangile ;
MgrFreppel, Les Pères Apostoliques, t. I, p. 41, 45 ;
Gondal, La provenance des Évangiles ;
P. Didon, Jésus-Christ, Introduction ; Études, L’authenticité des Évangiles et les philosophes païens, 1857, 1. 1, p. 321 ;
Meignan, Les Évangiles et la critique au XIXe siècle ;
Poulin et Loutil, Les Évangiles et la critique, Paris, 1903 ; Dict. bibl., art. Évangiles ;
abbé Frémont, Lettres à l’abbé Loisy, 1904, L’authenticité de l’Évangile selon S. Jean n’est ni ne peut être scientifiquement ébranlée (Lettre 5e, p. 112) ; Histoire ancienne de l’Église, par Duchesne, Fontemoing, Paris, 1906, t. 1. p. 136.↩ - Le monde palestinien reflété en nos Évangiles n’est pas celui qui succéda à la ruine de Jérusalem, mais bien celui qui précéda la catastrophe arrivée en l’an 70.
Ce qu’on retrouve dans ces écrits, c’est la situation politique, sociale et religieuse, contemporaine du Sauveur, telle qu’elle a été reconstituée par la critique moderne. On y saisit sur le vif les révélations délicates du pouvoir romain et des autorités juives, le conflit des attributions judiciaires du Sanhédrin avec celle du procurateur de Rome.
Pharisiens, Sadducéens et Scribes s’agitent bien vivants autour de la personne de Jésus. Jérusalem nous y apparaît avec ses monuments encore debout, avec ses grands-prêtres révérés, avec sa vie religieuse en plein exercice.
Seuls, des contemporains ayant été mêlés à ce monde palestinien, ayant vécu au milieu des hommes et des choses, ont pu décrire avec pareille justesse un milieu à ce point compliqué.
Après le bouleversement profond causé par la catastrophe de l’an 70, une aussi exacte restitution d’un passé à jamais disparu eût été pour tout autre absolument impossible. Lepin, ouvr. cité, p. XXV.↩ - V. Vigouroux, Le Nouveau Testament et les découvertes modernes ; Meignan, L’Évangile et la critique au XIXe siècle ; Lepin, ouvr. cité.↩
- Ce n’est pas à dire que tous les livres fussent universellement connus et réunis en corps canonique. Ils n’ont pu se répandre immédiatement dans toutes les Églises ; mais ce qui est certain, c’est que chacun des livres du Nouveau Testament peut invoquer des témoignages garantissant son authenticité. — Voyez dans les Études du 20 décembre 1900 pourquoi les rationalistes attaquent spécialement l’Évangile de S. Jean, p. 800. Cf. Lepin. L’origine du quatrième Évangile, 1906.↩
- Disc. 10., Études orientales.↩
- Sur le style des Évangiles, voyez MgrLe Courtier : La Passion de J.-C., p. 40. V. dans la Revue pratique d’Apolog., n° du 1er janvier 1906, pourquoi Jésus-Christ n’a pas écrit.↩
- De Trinit. 1, 2. V. le Panégyrique de S. André, par Bossuet.↩
- Si l’on veut connaître et apprécier les différents systèmes auxquels on a eu recours pour expliquer les ressemblances et les divergences entre les Évangiles, on consultera utilement l’ouvrage de M. l’abbé Filliou Les Saints Évangiles, t. I, pp. 39 et suiv.↩
- Lorsqu’il s’agit d’un historien inspiré, on ne peut lui attribuer aucune erreur ; mais nous ne devons pas oublier que nous n’envisageons ici la véracité des Évangiles qu’au seul point de vue historique.↩
- Vie de Jésus, Introd., p. LXXXIII.↩
- « Dans tous les Évangiles apocryphes, qui, dans leur ensemble, appartiennent au IIIe, IVe, et même au Ve siècle, il n’est pas un seul fait merveilleux dont le récit puisse soutenir la comparaison avec les récits des miracles évangéliques. » Lepin, Revue pratique d’Apolog., 1er et 15 déc. 1905, 15 juin, 1er août et 1er sept. 1906 ; Vigouroux, Dict. de la Bible, 1899, t. II, col. 2114. Dans les articles indiqués, le même écrivain fait bien ressortir, par le contraste des récits, l’authenticité des Évangiles canoniques et la sincérité de leurs auteurs. Cf. Freppel, Les Pères apostoliques, p. 44 ; Abbé Variot., Évangiles apocryphes : Corluy S. J., Évangiles apocryphes, art. du Dict. apol. de Jaugey, p. 1172.↩
- Nous n’ignorons pas que les systèmes de Strauss et de Renan sont aujourd’hui universellement abandonnés par les rationalistes eux-mêmes.
Il n’est cependant pas inutile de rappeler ces objections qui naguère passaient pour triomphantes, car elles traînent encore dans des ouvrages de second ordre, et la presse irréligieuse ne manque pas de les exhumer de temps à autre.↩ - V. Lacordaire, 43e conf. 1846 ; Valroger, Introd, aux livres du Nouveau Testament.
Il est désormais inutile de parler de la Vie de Jésus, par Renan : c’est un pur roman subjectif, et aujourd’hui reconnu pour tel.↩ - autrement dit : certain, formel, inattaquable, incontestable, indéniable, indiscutable, indubitable, invincible, irrécusable, irréfutable, irrésistible.↩