En France, on distingue la personne du roi de la Couronne dont les lois de dévolution sont les garantes du bien commun. La royauté est une charge, un service public, et le roi remplit donc un office. À proprement parler, il n’hérite pas mais « succède ». Le successeur n’est pas désigné de choix humain mais par la Loi qui oblige tant les sujets que le roi lui-même. De par son caractère intangible, cette Loi (les Lois fondamentales du Royaume) était considérée par les Français comme un trésor inestimable, un véritable don du Ciel tant elle a assuré, pendant des siècles, son unité au pays en le préservant des luttes pour le pouvoir. [VLR]
Table des matières
La succession au Trône est réglée par le droit
La dévolution de la Couronne de France1 n’est pas une affaire passionnelle, réglée par les sentiments ou les ressentiments ; elle obéit à des lois fondamentales qui forment un droit spécifique, et que l’on doit objectivement étudier. Les jurisconsultes de naguère et les historiens du droit d’aujourd’hui parlent à cet égard d’une « théorie statutaire ». Cela signifie que cette dévolution est régie par un statut qui déroge au droit privé ou féodal.
Le roi est le successeur et non l’héritier
À rigoureusement parler, la royauté, en France, n’est pas héréditaire mais « successive » ou « statutaire ». L’hérédité n’y apparaît que comme moyen d’individualiser la personne du roi qui n’est ni élu, ni coopté. Mais il ne s’agit en tout cas plus d’une hérédité patrimoniale, telle qu’on avait pu la pratiquer sous la dynastie mérovingienne, par exemple.
Les idées romaines et chrétiennes ont bouleversé l’essence de la royauté, devenue un office, un « ministère », c’est-à-dire un service public en vue de la promotion du bien commun. Et la notion de Couronne, — ou d’État, comme on commence à dire à partir des XVIe-XVIIe siècles — se distingue, par sa continuité, de la personne temporaire des rois qui se succèdent.
Par conséquent, le nouveau roi est le successeur, non l’héritier de son prédécesseur ; il ne succède pas en tant que fils ou que plus proche « agnat », mais parce que la coutume générale du Royaume désigne impérativement et d’avance celui qui est en quelque sorte un « héritier nécessaire ».
N’étant point propriétaire du Royaume, le roi n’absorbe pas l’État en sa personne. Louis XIV n’a jamais prononcé le mot fameux qu’on lui prête ; tout au contraire, il a dit sur son lit de mort (et cette parole est attestée) :
Je m’en vais, Messieurs, mais l’État demeurera après moi ; continuez à le servir.
Il en résulte un certain nombre de conséquences qui sont la clef de la succession au trône.
La Couronne est indisponible
Tout d’abord, la Couronne de France est indisponible. Cela signifie que le roi, si puissant soit-il, ne peut pas changer l’ordre préétabli de dévolution.
Il ne peut pas, en premier lieu, abdiquer personnellement : un tel acte serait nul comme le fut la tentative de François Ier après la défaite de Pavie en 1525.
Il ne peut pas davantage écarter l’héritier nécessaire que l’hérédité désigne ; ainsi Charles VI ne put-il faire prévaloir le « honteux traité de Troyes » de 1420, qui prétendait exhéréder le Dauphin, futur Charles VII.
Le roi ne peut pas non plus contraindre un prince du sang à renoncer à ses droits, ni un prince du sang renoncer de son propre mouvement, sous quelque prétexte que ce soit. C’est pourquoi toutes les renonciations passées au traité d’Utrecht en 1713 sont nulles, et ont toujours été considérées comme telles par nos ancêtres, de même, du reste, que sont nulles les renonciations de Philippe Égalité, Duc d’Orléans, sous la Révolution.
Ajoutons pour mémoire que le roi n’a pas, non plus, inversement, la capacité d’habiliter à régner des personnes que la Loi fondamentale n’appelle pas au trône : « on naît prince du sang, on ne le devient pas », et le monarque, fut-il Louis XIV, est « dans l’heureuse impuissance » de violer cette règle.
La Couronne est dévolue
Indisponible, la Couronne de France est, en outre, instantanément dévolue : depuis l’établissement de la « théorie statutaire » (qu’on appelle aussi « légitimité » au sens étroit) par les légistes du XVe siècle, ce point ne fait plus difficulté. C’est pourquoi le sacre, qui demeure une importante cérémonie morale, religieuse, politique même, n’est pas juridiquement constitutif de la royauté comme il l’était sous les Carolingiens et sous les premiers Capétiens. Il est simplement déclaratif, il consacre aux yeux du public ce que la force de la coutume seule a créé, il investit le successeur nécessaire de grâces d’état pour l’accomplissement de sa haute mission. Mais depuis le début du XVe siècle au moins, le sacre n’est plus créateur en droit de même que, sur le plan théologique, il n’est plus un sacrement, depuis que la réforme grégorienne des XIe-XIIe siècles a explicité les bases canoniques de ce sujet.
Le statut de la Couronne est intangible
Ajoutons enfin que le statut de la Couronne est, en principe, intangible. Il faudrait, pour le modifier, le double accord du roi et de la nation. Ce qui ne s’est jamais trouvé.
En 1789-91, les constituants formulèrent par écrit la loi traditionnelle de dévolution de la Couronne en spécifiant qu’« il n’était point préjugé sur l’effet des renonciations dans la race actuellement régnante ».
Une phrase du Duc de Madrid, le roi Jacques Ier des légitimistes français, résume à merveille la doctrine :
En France, toute abdication, toute renonciation est nulle, parce que les princes des fleurs de lys sont à la France. La France peut renoncer à eux, mais la réciproque n’est pas vraie.
Les objections orléanistes
Deux points complémentaires mériteraient mention, encore que nous n’ayons pas loisir de nous y étendre pour l’heure : la querelle de la nationalité, et celle relative à l’opinion du Comte de Chambord.
La querelle de nationalité
On a dit, pour éliminer les Bourbons-Anjou, qu’ils étaient des princes espagnols, et à ce titre des étrangers écartés ipso facto de la succession de France. C’est là un argument anachronique et peu sérieux du point de vue de notre tradition royale : car une chose est d’être prince étranger au sang de France, autre chose d’être un « prince des fleurs de lys » parti régner à l’étranger.
Le fameux arrêt du Parlement de Paris du 28 juin 1593, dit de la loi salique, est ici révélateur : il récuse en effet les « princes étrangers », mais c’est pour favoriser la cause d’Henri de Navarre, souverain d’un « royaume étranger », et même étranger à la seconde génération eu égard à la « nationalité » ; seulement Henri de Navarre (futur Henri IV) était le plus proche « agnat » du dernier roi, il n’était donc pas « étranger au sang de France ». Au contraire, en face de lui, il y avait certes une infante d’Espagne, écartée par la loi salique, mais aussi les prétentions de Mayenne et de la faction des Guise, qui étaient parfaitement français au sens de la nationalité ; simplement, ces Français étaient « étrangers au sang de France ».
Au demeurant, si la « loi de nationalité » avait existé avec la portée que voudraient lui conférer les orléanistes, il eut suffit de le faire remarquer aux Anglais en 1713 au lieu de soutenir la difficile guerre de succession d’Espagne. Or, Louis XIV et son juriste Daguesseau firent très exactement la démonstration du contraire !
La querelle de l’opinion du Comte de Chambord
Quant à l’opinion du Comte de Chambord, si elle avait été contraire au droit traditionnel, il est bien évident qu’elle n’aurait revêtu que fort peu de valeur dans l’exil où se trouvait ce prince, qui, d’ailleurs, refusait de trancher « loin de la France et sans elle ». Mais à la vérité jamais le Comte de Chambord n’a reconnu les Orléans pour ses successeurs. Il leur pardonna en leur demandant de « reprendre leur rang dans la famille ». Et il laissa son héritage politique aux princes carlistes : l’ordre de ses obsèques symbolisa si fortement ses ultimes volontés que les princes d’Orléans refusèrent d’y paraître.
- Cet article de Guy Augé a été publié dans La Légitimité, No3, Avril 1975.↩