Ils sont nombreux les détracteurs de Louis XIV. Selon les uns, il aurait accompli le projet moderne d’une monarchie absolue et tyrannique, opposée à une ancienne monarchie tempérée. Selon d’autres, il serait l’initiateur d’une centralisation liberticide achevée par la Révolution. Pour d’autres encore, il aurait bouleversé l’équilibre social en favorisant la bourgeoisie au détriment de la noblesse. Jean-Baptiste Geffroy bat en brèche nombre de ces idées reçues dans une conférence donnée au Cercle Paul Barillon, en Anjou, le 21 janvier 2018. [La Rédaction]
Table des matières
Réformer la France
Réforme ou révolution ?
Réformer la France1. Quelle gageure ! D’ailleurs, Emmanuel Macron l’a dit : les Français n’aiment pas les réformes. N’aimeraient-ils donc que les révolutions ? Roland Mousnier n’a-t-il pas parlé de la « révolution » louis-quatorzienne ? Or, avec tout le respect dû au grand universitaire, le terme me semble inadapté. Qu’il s’agisse de son œuvre politique, militaire, artistique, économique ou financière, Louis XIV n’a jamais rien révolutionné. Pas plus ses prédécesseurs que ses successeurs — encore que Louis XVI…
Un corpus institutionnel intangible
Pourquoi ? Simplement parce qu’en France, le pouvoir royal se comprend dans la continuité du temps de l’histoire et que dans cette perspective, aucune « révolution » n’est concevable. Le roi de France reçoit la couronne et doit la transmettre intacte, au moins dans son essence, dans sa substance et si possible avec un actif successoral accru. La royauté française est un peu comme l’Église catholique, ses souverains ne sauraient en altérer la substance.
Le corpus constitutionnel formé par les lois fondamentales est un socle intangible. Louis XIV, dans le Traité sur les droits de la Reine qu’il avait fait rédiger en 1667 évoque clairement l’« heureuse impuissance » dans laquelle il est de le modifier, rappelant dans ses Mémoires que le respect de ces lois est « un bien dont nous sommes comptables à nos successeurs ».
Restaurer l’autorité contre les appétits des grands et des parlements
Est-ce à dire que cette monarchie française est immobile, figée dans son statut ? Non bien sûr. Depuis Hugues Capet, elle a constamment évolué, et pas toujours de façon régulière. Elle a connu des périodes de dépression marquées la plupart du temps par des entreprises qui avaient précisément pour but de la faire régresser.
Par exemple, l’arrêt d’Union pris le 13 mai 1648 par le Parlement de Paris malgré l’opposition de la Régente Anne d’Autriche et qui invite les autres cours souveraines (Chambre des comptes, Cour des aides, Grand Conseil) à le rejoindre à la chambre Saint-Louis du Palais de Justice. De cette coalition parlementaire naît un texte de vingt-sept articles qui instaure un droit de veto sur la création des impôts royaux, sur celle des offices et exigeait la suppression des intendants. La révolution ou le germe d’une révolution est là. La Fronde parlementaire annonce 1789. C’est la monarchie rêvée par les parlements, mais c’est une monarchie dégénérée.
L’œuvre de Louis XIV sera non une révolution, mais une œuvre de régénération, une œuvre réformatrice : redonner à la monarchie sa configuration naturelle, lui faire recouvrer, voire renforcer, son caractère « absolu », c’est-à-dire indépendant, libre de tout lien.
Une régression politique et institutionnelle, fruit d’un siècle de chaos
On ne comprendra jamais l’œuvre restauratrice de Louis XIV si l’on n’a pas à l’esprit la longue période de désordre que le royaume a connu, disons, des guerres de religion jusqu’à l’avènement de Louis, c’est-à-dire au bas mot un siècle. Un siècle de chaos que les trois premiers Bourbons se sont attelés à conjurer ; depuis la mort d’Henri IV, la France a connu une longue période de chaos et de régression politique et institutionnelle.
La régence de Marie de Médicis est dominée par la puissance croissante des Grands. Louis XIII et Richelieu parviendront à restaurer en partie le pouvoir royal, mais les deux hommes meurent trop tôt.
Louis XIV alors a cinq ans et c’est une autre régence qui s’installe autour d’Anne d’Autriche et de Mazarin. De 1643 à 1661 — soit dix-sept ans de régence — la France connaîtra près de six ans de troubles avec les deux Frondes, celle des parlementaires et celle des « Grands » et qui n’ont été qu’une coalition d’intérêts partisans, ceux de dignitaires sans envergure, sans vision politique, une alliance :
– de médiocres : Gaston d’Orléans, sa fille, la Grande Mademoiselle ;
– de mégalomanes : Condé, grand capitaine, mais politique inconsistant et inconstant ;
– de conspirateurs brouillons : Gondi, courant après son chapeau de cardinal, la duchesse de Longueville, sœur de Condé et leur frère Conti, le duc de Beaufort, petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, un démagogue brave mais sans cervelle ;
– et à leur suite, toute une théorie de ducs et pairs, gavés de privilèges et insatiables : Bouillon, La Rochefoucauld, Brissac, Luynes, Talmont, Montmorency-Bouteville.
Cette époque fut un effarant gaspillage d’énergie et d’argent, une révolte « d’adultes gâtés » (F. Bluche), mais aussi et surtout une dangereuse atteinte portée aux fondements mêmes de la monarchie :
– Les magistrats s’abritaient derrière l’alibi politique, invoquant les droits des parlements, les libertés du peuple dont ils se souciaient comme d’une guigne.
– Les Grands ne dissimulaient rien de leur avidité d’un pouvoir qu’ils convoitaient, tout en étant incapables de l’exercer, pataugeant dans des querelles de préséance et les rivalités de clans.
La réforme louis-quatorzienne, ou l’effort patient de toute une vie
Louis saura exorciser ce désordre mortel. Non par une rupture brutale, mais par la volonté constamment assumée de réformer dans le temps. Les hommes sur lesquels il va s’appuyer, les grands hommes de son siècle, sont :
– soit de son âge : Louvois, Vauban, Racine, Boileau,
– soit sont nés dans le premier tiers du siècle : Colbert, Condé, Turenne, Bossuet, Molière, La Fontaine, Duquesne.
Les premiers ont connu les désordres. Les seconds en furent les acteurs : génération pourtant rebelle, factieuse. Comme l’observe très justement Pierre Gaxotte, Louis ne commence pas de régner sur une nation assoupie dans l’obéissance, mais sur un peuple qui a fait l’expérience de la révolte et qui appelle à l’ordre parce qu’il a vécu dans l’anarchie… En 1661 l’ordre est l’espérance et la « nouveauté ». À cet instant, Louis prend en charge un peuple marqué par le chaos et qu’il veut conduire à l’ordre. Telle est l’équation par laquelle Louis XIV entreprend la réforme du plus beau royaume sous le ciel.
Louis ne révolutionne rien, mais il restaurera, il réformera, méthodiquement, patiemment, résolument et parfois même audacieusement. En ce matin du 10 mars 1661, alors que Mazarin est mort la veille, Louis prend le pouvoir : il n’y a rien là d’un prétendu coup d’État, mais plutôt le coup de génie d’un jeune homme de 23 ans. Mais pour réformer, il faut s’en donner les moyens, et notamment les moyens institutionnels qui sont pour l’essentiel dans un délabrement complet. Il lui faut redonner un cadre politique et juridique à la monarchie. Avant d’imprimer sa marque sur la politique, sur la guerre, sur les arts, il lui faut recouvrer les instruments de son gouvernement. Les moyens avant les fins.
Les moyens de la réforme
Pour Louis, rien ne pourra se faire sans qu’il ait pu recouvrer l’autorité royale souveraine. Elle seule lui permettra de restaurer et de réformer l’État, de restaurer l’image royale.
Restaurer la souveraineté
Continuer l’œuvre de restauration de l’État de ces prédécesseurs
Il est vrai que Louis a régné sur la France à travers l’État, c’est-à-dire le royaume dans sa dimension de finalité et de moyens de gouvernement. Le XVIIe siècle est celui de la promotion de l’État. Et Louis sait parfaitement que c’est de l’affaiblissement de l’État que sont nés tous les maux du siècle précédent.
Dans son entreprise de réforme, il se situe dans la perspective des duumvirats qui ont marqué les règnes de ses ancêtres Bourbon :
– son grand-père Henri IV et Sully,
– son père Louis XIII avec Richelieu se sont attelés à la restauration de l’État.
On connaît une des dernières paroles de Richelieu à qui l’on demandait s’il pardonnait à ses ennemis et qui répondit :
Je n’en ai jamais eu que ceux de l’État.
Seulement, voilà, avec Louis, il n’y aura pas de duumvirat, pas de Premier ministre. Il gouvernera seul en ce sens que seul il décidera. Il décidera certes en conseil, entouré de ses ministres, de ses collaborateurs, mais à lui seul appartiendra la décision finale. C’est cela la monarchie « absolue ». En cela il a été le continuateur de ses père et grand-père, mais pour mieux être réformateur. Pour cela, que faire ?
Ce 10 mars 1661 : le jeune roi prend les rênes et affirme son autorité
Chacun connaît sans doute les circonstances de ce matin du 10 mars 1661, à Vincennes, 24 heures à peine après la mort de Mazarin. Il est sept heures du matin. Le Conseil élargi a été convoqué. Sont présents le chancelier Séguier, Michel Le Tellier, Hugues de Lionne, Duplessis-Guénegaud, La Vrillière, Brienne père et fils et, bien sûr, le surintendant Fouquet. Le jeune Louis (il a 22 ans) leur tint à peu près ce discours :
Messieurs, je vous ai fait assembler avec mes ministres et mes secrétaires d’État pour vous dire que, jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le Cardinal ; il est temps que je les gouverne moi-même.
Vous m’aiderez de vos conseils quand je le demanderai… Je vous prie et vous ordonne, M. le chancelier, de ne rien signer en commandement que par mes ordres et sans m’en avoir parlé…
Et vous, mes secrétaires d’État, je vous ordonne de ne rien signer, pas même une sauvegarde ni un passeport sans mon commandement…
Il précise à toutes fins utiles :
La face du théâtre change. Dans le gouvernement de mon État, dans la régie de mes finances et dans les négociations au dehors, j’aurai d’autres principes que ceux de M. le cardinal.
Vous savez mes volontés. C’est à vous maintenant, messieurs, de les exécuter.
Une simple réaffirmation des vieux principes constitutionnels de la monarchie
On a souvent parlé à propos de cet épisode de « révolution royale », de « coup d’État ». Je crois que le mot n’est pas approprié. Louis XIV ne révolutionne rien. Il remet le roi à sa place. Louis ne fait que remettre en vigueur des principes constitutionnels établis depuis plus de trois siècles, plus ou moins oubliés ou affaiblis, mais déjà posés dans le Songe du Verger, ce recueil de maximes politiques inspirées par Charles V, et repris par tous les légistes du XVIe et du XVIIe siècles comme Cardin Le Bret, Bodin ou encore Loyseau qui, dans son Traité des seigneuries (1609), identifie deux caractères de la souveraineté :
– elle est absolue, c’est-à-dire sans liens, « ab solutus », ce qui ne veut pas dire sans loi, mais inconditionnelle, c’est-à-dire qu’elle est « plénitude de puissance ».
– elle est perpétuelle, c’est à dire qu’elle ne saurait être interrompue et se continue dans le temps et la succession de ses titulaires. Elle n’est pas tant celle de l’homme régnant que celle de la lignée royale.
Restaurer la souveraineté, c’est restaurer l’État, c’est-à-dire le royaume, la nation incarnée par le roi, mais distincte de sa personne. Restaurer l’État, c’est redonner au royaume les moyens de l’ordre, ordre politique, institutionnel, administratif.
Le mythe moderne de la dégénérescence d’une monarchie tempérée en monarchie absolue
Dès lors, certains ont voulu voir dans cette monarchie ludovicienne un produit de l’étatisme, ce qui implique qu’il y en aurait eu deux formes :
– une monarchie « modérée », tempérée, celle d’un Saint Louis, d’un Louis XI, ou même d’un Henri IV
– et celle de Louis XIV, omnipotente et tyrannique, une dérive de la vraie monarchie.
Or cette vision de la monarchie absolue relève simplement du mythe, un mythe propagé à la fin du XVIIIe siècle et par les historiens du XIXe. Écrire, comme l’a fait Ernest Lavisse, que « Louis XIV… acheva de transformer la monarchie en autocratie », traduit une vision grossière de la nature de la monarchie, même « absolue ».
Lorsque Louis XIV énonce sur son lit de mort : « Je m’en vais mais l’État demeurera toujours », il ne fait que transposer à l’État la définition canonique de la transcendance de l’Église, telle que la donne Bellarmin pour qui :
Dans les corps naturels, la perte de la tête signifie la mort, mais le corps de l’Église ne meurt pas quand le pape meurt.
Toutefois cet État restauré s’incarne dans la personne du roi. Il ne peut donc y avoir de restauration de l’État sans restauration de l’image du roi.
Restaurer l’image royale
Un roi conscient de la dignité royale
On sait que Louis XIV a eu très tôt une claire vision de sa fonction, de sa dignité. Même enfant, il était conscient de ce qu’il représentait. Il n’en a donc ressenti que plus cruellement les humiliations de la Fronde, la vie chaotique qu’il a dû mener, l’affaiblissement de l’image royale. Louis rongeant son frein, Mazarin l’avait parfaitement deviné lorsqu’il disait au maréchal de Gramont :
Ah ! Monsieur le Maréchal, vous ne le connaissez pas. Il y a en lui l’étoffe de quoi faire quatre rois et un honnête homme !
De la symbolique spectaculaire du Grand Carrousel de juin 1662
Dès le début de ce règne personnel, il s’attache à reconstruire l’image du roi. Ainsi, il y a un peu plus d’un an qu’il a accédé au pouvoir personnel lorsqu’il organise le fameux carrousel de 1662, grande cavalcade répartie en cinq quadrilles commandés chacun par une haute personnalité :
– les Romains par le roi,
– les Perses par Monsieur son frère,
– les Turcs par le prince de Condé,
– les Indiens par le duc d’Enghien et
– les Américains par le duc de Guise, un Lorraine.
Le message est clair : si le roi commande aux Romains, dont l’imperator est la référence de la monarchie, les quatre autres « Grands » ne commandent qu’à des nations ou des peuples étrangers qui croissent en exotisme au fur et à mesure que s’amenuise la dignité de leur chef. Ce carrousel est une affirmation spectaculaire de son autorité, à la fois sur la cour qui participe à la parade, et sur le peuple qui la contemple.
Le symbolisme solaire prend ici une dimension particulière. Le roi est l’incarnation du divin sur terre et du suzerain de toutes les nations soumises à son autorité. La haute noblesse qui y participe au sein des quadrilles met en réalité en scène sa propre soumission. Et nous sommes en 1662 ! Dorénavant le roi ne tolérera plus aucune humiliation, aucune forme de condescendance, de qui que ce soit, de quelque chancellerie qu’elle vienne. La gloire du roi qu’il a sans aucun doute recherchée, est celle du royaume, l’appareil de la souveraineté qu’il assume. Il dispose maintenant des moyens de réformer. Que va-t-il réformer ?
Le domaine des réformes
Il m’a fallu ici faire un choix tant le sujet est inépuisable. J’en retiendrai trois ou quatre particulièrement significatifs :
– les institutions,
– la guerre,
– l’économie et
– les arts.
Je préviens d’emblée une objection : que dire du domaine religieux ? Je l’ai délibérément écarté du sujet de l’œuvre réformatrice de Louis car c’est précisément le domaine dans lequel il a plus suivi que dirigé.
Mais pour le reste, l’œuvre est immense. Et qu’on ne s’y trompe pas, cette œuvre est personnelle. On a tendance à attribuer principalement à Colbert, à Louvois et autres le mérite de cet « irrésistible élan de réformes de centralisations et d’espérances » (Yves-Marie Bercé). C’est injuste et c’est faux. Certes, sans ces hommes d’exception, Louis n’aurait rien pu faire, mais sans sa volonté, sans son impulsion, rien n’aurait pu se faire. La plupart de ces grandes réformes ont été pensées et voulues par Louis qui a su en confier la réalisation aux hommes qu’il avait choisis. Les réformes du siècle sont le fruit de l’association étroite entre l’imagination du roi et le génie concret de Colbert.
Les réformes institutionnelles
Réformer le gouvernement royal
La monarchie absolue est soumise à des lois
Dans la monarchie absolue, le roi n’est pas un satrape oriental, ni un autocrate comme en Russie. En France il y a les lois. La monarchie absolue est soumise à des lois.
– Les lois divines, les lois naturelles sont le premier frein et ce frein n’est pas une petite chose à cette époque de foi profonde, ce qui entraîne pour le souverain la charge d’une responsabilité devant Dieu.
– Les lois fondamentales du royaume qui organisent les rapports entre le roi et la Couronne, ces lois immuables et inviolables que Louis XIV se considérait dans « l’heureuse impuissance d’y porter atteinte ». Ce qu’il fit pourtant à la fin de son règne avec l’attribution à ses bâtards (le duc du Maine et le comte de Toulouse) de la qualité de successibles à la Couronne.
– Il y a aussi les traditions politiques et notamment celle du gouvernement en conseil.
Si Louis détient la totalité du pouvoir (sauf le constituant), il l’exerce en Conseil, alors même qu’il a supprimé les structures de pouvoir concurrentes, les forteresses comme la surintendance des finances ou des foyers d’opposition comme les parlements qui sont privés de leur droit de remontrance. Il l’a d’ailleurs clairement précisé dans son discours du 10 mars 1661 : « Vous me donnerez vos conseils quand je vous les demanderai ». Mais en réalité, il n’a jamais cessé de décider en conseil dont le système forme l’armature gouvernementale.
Le gouvernement en conseil
Le gouvernement en conseil n’est pas une nouveauté. Henri IV le pratiquait déjà, mais il n’y mettait pas de système. Louis au contraire organise, hiérarchise et spécialise les conseils :
– Le Conseil du roi ou Conseil d’État, le plus important, véritable conseil des ministres.
– L’éphémère Conseil du commerce.
– Le Conseil des dépêches consacré aux affaires des provinces.
– Le conseil où se traitent les affaires relatives à la « religion prétendue réformée » (RPR) ainsi que la collation des bénéfices ecclésiastiques.
– Le Conseil royal des finances : c’est Louis qui le crée dès septembre 1661 consécutivement à la suppression de la surintendance. Il le préside en permanence. C’est le lieu où se concentrent les affaires financières : répartition de la taille entre les généralités, création des impôts, ordonnancement des dépenses, gestion du Trésor royal.
Louis maîtrise totalement ces diverses structures synodales. Cette pluralité de formations ne doit pas laisser croire à une dispersion, un endettement des structures gouvernementales.
L’unité du Conseil du roi
Au-delà de la diversité de ces formations, il y avait, je dirais unité du Conseil du roi. C’est pour cela que Louis lui a donné une homogénéité sociologique. La plupart des membres du conseil sont soit roturiers soit de noblesse de robe, d’où le mot de Saint-Simon parlant d’un règne de vile bourgeoisie. Mais il est sûr de pouvoir compter sur leur compétence, leur dévouement et leur fidélité. Il veille à leur composition en excluant la haute noblesse, les princes du sang et jusqu’à la reine-mère que Mazarin avait déjà évincée et s’appuie sur un corps solide d’administrateurs rompus aux affaires. Il règle leur fonctionnement mais toujours avec beaucoup de pragmatisme. Structures officielles certes, mais souples dans leur usage. Il n’y a pas de titulaires au Conseil du roi. N’y participent que les ministres d’État qu’il convoque.
Le Conseil : un gouvernement collectif avec un roi qui décide
Mais la décision se prend toujours en conseil qui est bien un gouvernement collectif comme l’atteste la formule qui figure en tête de ses édits : Le roi en son conseil. Il y participe, les préside, écoute, prend les suffrages et décide : soit en suivant l’avis qui s’est dégagé (c’est le cas sept ou huit fois sur dix), soit plus rarement en décidant contre cet avis. Mais dans tous les cas, c’est lui qui décide.
Louis a donc profondément transformé l’exercice du pouvoir. Il l’a réorganisé, rationalisé, il lui a donné une colonne vertébrale ; il l’a assorti d’hommes de talent, voire de génie. Il lui fallait aussi le doter d’instruments d’action efficaces, et notamment d’une administration qui fut à la hauteur de ses ambitions.
La réforme de l’administration royale
Elle a passé par les deux personnes qui se partagent l’autorité du roi : le gouverneur et l’intendant. Elle a conduit à l’abaissement des gouverneurs et à la promotion de l’intendance.
L’abaissement des gouverneurs
Le gouverneur était institué par le roi son « lieutenant général » c’est-à-dire qu’il tenait la place du roi dans tous les cas et en toutes circonstances. La fonction n’était ni un office, ni une commission, elle était une charge conférée par lettres patentes. Les gouverneurs étaient donc nommés par le roi.
– Appartenant le plus souvent à la haute voire très haute noblesse, la charge se transmettait très souvent dans la famille, créant de véritables dynasties dans certaines provinces (comme les Villeroy en Lyonnais, les Noailles en Roussillon).
– Des princes du sang, voire des fils de France détenaient héréditairement des gouvernorats. Gaston d’Orléans, les Condé en Bourgogne, les Conti ou même des légitimés comme le duc du Maine en Languedoc.
– Le reste appartenait aux plus prestigieuses maisons : La Rochefoucauld, Rohan, Talleyrand-Périgord, Beauvillers-Saint-Aignan, Béthune-Sully, Rohan, Daillon du Lude.
Ces gouverneurs étaient des puissances considérables et dotés de pouvoirs militaires et civils très étendus surtout depuis les guerres de religion. Ils représentaient le roi avec des fonctions politiques, ce qui les entraînait souvent dans des aventures personnelles, voire des complots comme celui ourdi en 1632, par Henri II de Montmorency, gouverneur du Languedoc. Ils représentaient incontestablement une puissance qui concurrençait en permanence le pouvoir royal. Louis XIV en a bien perçu la menace. Dans ses Mémoires, il écrit :
Et comme ce qui les avait rendus les plus absolus dans leurs places était la disposition qu’on leur avait laissée du fonds des contributions et la liberté de composer leurs garnisons des troupes qui dépendaient d’eux, je résolus de leur ôter insensiblement l’un et l’autre et fis de jour en jour entrer dans toutes les villes importantes des troupes d’armée qui ne dépendaient que de moi seul.
Louis a donc d’abord limité leurs pouvoirs, à la fois dans le temps (trois années renouvelables), et dans l’espace puisqu’il interdit aux gouverneurs de séjourner dans leur gouvernement sans son ordre. Ensuite il écarta de la fonction non seulement les princes (il refusera le gouvernement de Guyenne à son neveu Philippe d’Orléans, futur Régent) mais également de nombreuses familles de la haute noblesse, leur préférant des membres de la petite noblesse, souvent des proches (Dangeau, Villeroy). Leur compétence se limite à la représentation : les gouverneurs ne gardent que les honneurs, l’essentiel du pouvoir local est transmis aux intendants.
La montée en puissance de l’intendance
Il s’agit d’une institution de première importance apparue au XVIe siècle. Il s’agit de commissaires (ils reçoivent une commission) dotés de pouvoirs de décision mais dont les fonctions étaient spécialisées et temporaires. C’est sous Richelieu et Louis XIII qu’ils deviennent permanents.
Toutefois, Louis XIV va plus loin et engage une transformation graduelle mais substantielle de leurs fonctions. Colbert et Le Tellier divergeaient sur leur durée.
– Colbert les préférait courtes afin de s’assurer de leur docilité, évitant que les intendants se constituassent des attaches locales.
– Alors que Le Tellier était favorable à une fonction plus enracinée et plus étendue dans le temps.
Louis XIV finira par favoriser l’intendance longue qui permettait l’attribution d’une compétence générale, touchant la justice, la police et les finances. Leur appellation officielle était d’ailleurs
intendants de justice, police et finances, commissaires départis dans les généralités du royaume pour l’exécution des ordres du roi.
Il y a donc deux générations d’intendants : ceux de 1660 et ceux de 1683 après Colbert.
– Les premiers restaient en place trois ans, ce qui en faisait des hommes du Roi, moins attachés au territoire de leur mission.
– Les seconds s’enracinent dans l’intendance : pendant trente ans d’exercice comme Lamoignon de Basville en Languedoc, ou pendant vingt-quatre ans comme Blossac à Poitiers.
Progressivement, pendant le règne de Louis XIV, le statut de l’intendant se renforce, il devient institution en ce sens que l’intendance devient une structure distincte de l’intendant, qui se constitue une administration à son service, les subdélégués (sortes de sous-préfets). Sa position face au gouverneur est renforcée.
D’autant que son origine sociale n’est pas cette « vile bourgeoisie » dont parlait Saint-Simon. Souvent les intendants sont d’assez bonne noblesse de robe : Lamoignon de Basville, Le Fèvre d’Ormesson, d’Aguesseau, Maupeou d’Ablèges, Pomereu, Orceau de Fontette, certains même d’ancienne noblesse comme Guignard de Saint-Priest en Languedoc. Ils se sont constitués un réseau d’alliances parfois avec d’importantes familles de la noblesse de France. Et puis, il ne faut pas le négliger, leur milieu est riche, ce qui leur permet de tenir un rang très supérieur à celui de leurs appointements. L’intendant de Rennes, Ferrand de Villemilan, y menait un grand train, au moins égal à celui du gouverneur, le marquis de Coëtlogon.
Son prestige est donc devenu considérable, surpassant souvent celui du gouverneur : il est l’homme du Roi, le vrai, celui qui est investi de presque tous les domaines du pouvoir :
– justice : puisque l’intendant a droit d’entrée dans toutes les juridictions et d’y siéger. Dans certains cas, l’intendant peut même être premier président du parlement, ainsi à Aix.
– finances : c’est l’intendant qui répartit la taille, c’est lui qui, à partir de 1710, met en œuvre le dixième.
– police : mot qui doit être entendu comme désignant une compétence administrative qui comprend également le pouvoir de réglementation.
L’intendant, c’est le gouvernement du Roi dans ses provinces, c’est-à-dire, selon la formule de De La Mare dans son Traité de la police :
le bel ordre dont dépend le bonheur de l’État.
Ce qui suppose aussi une police au sens le plus ordinaire qui soit ; c’est à dire la sécurité des habitants. Louis constate d’ailleurs que celle des Parisiens s’est notablement dégradée. Par un édit du 15 mars 1667, Louis XIV institue la charge de lieutenant général de police qu’il confie à Gabriel-Nicolas de La Reynie qui entreprend la réorganisation profonde d’une administration éparpillée entre plusieurs organes concurrents (la guerre des polices existait déjà : les commissaires du Châtelet, les archers et exempts du guet, la compagnie du lieutenant criminel, la prévôté de l’île) et qu’il rassemble sous son autorité. On lui devra l’éclairage public, le pavage des rues et l’adduction. La police moderne est née.
L’œuvre administrative de Louis XIV est immense. Il a créé la haute administration française.
Les réformes militaires
L’homme de guerre
La cause est entendue : Louis XIV n’était pas pacifiste. Mais il n’était pas plus belliqueux que ses alter ego qui furent ses principaux adversaires : l’empereur, ou Guillaume d’Orange. Si la France de Louis XIV connut vingt-neuf années de guerre sur cinquante-quatre du règne, les Provinces unies, la Russie sont au même niveau et d’autres puissances le dépassent nettement :
– l’Espagne, trente-quatre ans,
– les Habsbourg de Vienne, trente-six,
– l’Empire ottoman, trente-sept,
– la Pologne, quarante-deux.
Et si Louis n’est pas la cause de toutes ces guerres, il n’empêche qu’il est un homme de guerre, comme son père et son grand-père, comme pratiquement les trente rois qui l’ont précédé :
– Durant quarante-trois ans, de douze à cinquante-cinq ans, il a participé directement aux campagnes : c’est-à-dire qu’il est aux armées, le jour à cheval, la nuit au bivouac au milieu de ses troupes ; il s’expose dans les tranchées.
– Pendant les six années de la guerre de Hollande, il passe six-cent-cinquante-sept jours avec ses soldats.
– Ce n’est qu’en 1693 qu’il se retire des fronts ; il a cinquante-cinq ans, alors que le jeune duc de Saint-Simon quitte l’armée en 1702 (alors que débute la guerre de succession d’Espagne), et il a vingt-sept ans.
Dans ce domaine militaire, plusieurs points sont à souligner :
Premier point : Le maître de la guerre et de la paix
À la différence de son père qui laissait Richelieu prendre les décisions, Louis se veut maître de la guerre et de la paix. La guerre est la chose du roi et surtout de l’État. En matière militaire, aidé de Colbert, de Louvois et de Vauban, il s’occupe de tout et décide de tout : de la solde, des vivres, des vêtements, du logement, des camps, des hôpitaux, de l’armement et bien sûr des fortifications. On oublie trop souvent que c’est lui qui a considérablement développé le service du renseignement dont le réseau s’étendait à toute l’Europe, et perfectionné les systèmes de codage qui ont parfaitement assuré la sécurité des communications. Le « Grand code de Louis XIV » ne fut percé qu’à la fin du XIXe siècle !
Deuxième point : Le roi est le stratège.
Même s’il se montre respectueux de l’avis des grands chefs qu’il consulte sans cesse, Louis entend décider en Conseil de la stratégie.
– C’est lui qui consacre le principe selon lequel le politique doit maîtriser le militaire.
– C’est lui qui décide de constituer la ceinture de fer pour défendre Paris.
– C’est lui qui s’engage dans la guerre de Dévolution, dans la guerre de Hollande.
– Aussi bien est-ce lui qui décide de constituer la plus puissante armée d’Europe, non par vaine gloire, mais en raison de la transformation du cadre géopolitique, marqué par le recul turc et la montée en puissance de l’Angleterre qui se montre de plus en plus menaçante. Il est convaincu que désormais, s’imposeront des guerres de coalition qui nécessiteront des moyens de plus en plus importants.
Les moyens sont donc considérablement renforcés : l’infanterie passe de 150 000 hommes en 1668 à 380 000 en 1693 (guerre de la Ligue d’Augsbourg), à quoi il faut ajouter les troupes montées, les « petites milices », la marine. On passe de 230 000 à 600 000 hommes. Il faudra attendre la levée en masse de 1793 pour atteindre à nouveau de tels chiffres.
Troisième point : La stratégie militaire
L’histoire militaire du règne se divise en deux périodes qui reflètent des changements stratégiques.
Une période de « guerre éclair »
La première qui va de 1661 à 1675 est marquée par la pratique de la « guerre éclair » avec des opérations coup de poing (aide apportée à Vienne contre les Turcs avec la participation à la bataille du Saint Gothard en août 1664, opération de Candie également contre les Turcs en 1667). En 1667, raid éclair mené en Flandre contre l’Espagne consécutive à l’affaire de la Dévolution (héritage de Marie-Thérèse). Les Provinces Unies se révèlent un adversaire acharné de la France. La fin de la guerre de Hollande a beau être victorieuse, elle s’est transformée en guerre d’usure. C’est au cours de cette période que Louis met en œuvre la constitution du pré-carré recommandé par Vauban, c’est-à-dire :
– d’une part, une double ligne de villes fortifiées redessinant le tracé des frontières du nord avec des places de première ligne (Dunkerque, Ypres, Lille, Tournai, Condé sur l’Escaut, Valenciennes, Maubeuge) et des places de seconde ligne (Gravelines, Saint-Omer, Aire-sur-la-Lys, Saint-Venant, Béthune, Arras, Douai, Cambrai, Landrecies, Avesnes-sur-Helpe, Mariembourg, Rocroi, Mézières, Sedan).
– d’autre part, avec les acquis territoriaux, de la politique dite « des réunions ». Louis réduit ainsi les enclaves en territoire français et sécurise les frontières, en facilite la défense, grâce notamment à un système complet de fortifications qui assurera la protection de nos frontières jusqu’en 1914.
La période de stratégie de cabinet
Au cours d’une seconde période, Louis adopte alors ce qui deviendra la stratégie de cabinet. S’il laisse à ses commandants d’armée les initiatives tactiques, il conserve la conduite générale de la guerre au sein de son conseil constitué en secrétariat de la Guerre.
Quatrième point : la politique maritime
La politique maritime de Louis XIV est également très différente de celle de Richelieu et Louis XIII. Pour ce dernier, la marine de guerre doit devenir surtout méditerranéenne, visant à couper la route de ravitaillement espagnole. Il s’agit donc d’avoir une marine vouée à la défense côtière (répression rochelaise).
Pour Louis XIV et pour Colbert, il s’agit de donner à la France, qui possède déjà la première armée d’Europe, la première marine du continent avec une finalité différente et des visées géostratégiques beaucoup plus larges, étendues à l’Atlantique, voire au Moyen-Orient (Indes). Pour Colbert, la guerre franco-hollandaise est économique, ce qui explique la coordination marine de commerce-marine de guerre, avec pour objet la disparition ou, à tout le moins, l’abaissement de la suprématie maritime hollandaise.
Et contrairement à ce qui est généralement admis, Louis et Colbert ont atteint leur but. À l’issue des années 70, la Hollande a bien perdu sa suprématie maritime, peut-être au profit de la puissance maritime anglaise. De fait la période de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, qui devait consacrer pour la marine française une stratégie offensive (la guerre terrestre devant être défensive), est marquée par un certain retrait maritime français : la défaite de la Hougue rendit Louis frileux et le poussa à un renversement stratégique, privilégiant la guerre de course dans laquelle Jean Bart s’illustrera. Mais le lien étroit entre marine de guerre et marine de commerce sera maintenu.
Les réformes fiscales
À la recherche d’impôts égalitaires
On a reproché à Louis XIV et d’une manière générale à l’Ancien Régime de n’avoir rien réformé en matière fiscale. C’est tout simplement faux, notamment pour Louis XIV. C’est en effet sous son règne qu’ont été institués les deux premiers impôts égalitaires : la capitation et le dixième. On sait que la fiscalité directe était dominée par le régime de la taille, impôt que Vauban avait fortement critiqué dans son ouvrage célèbre, La dîme royale, et dont il dénonçait l’arbitraire (notamment pour la taille personnelle).
La capitation
Elle fut instituée en 1695 par Pontchartrain pour financer la guerre contre la Ligue d’Augsbourg. La capitation était payée par tous les sujets du roi, mais elle était fondée non sur l’importance du revenu, mais sur le rang social, sur la dignité. À chaque niveau d’imposition, on se trouvait, en principe avec ses pairs ; bien que cette classification fut beaucoup plus subtile. En effet, l’ensemble de la population était répartie en classes de contribuables correspondant à des degrés de dignité, à l’état social tel qu’il pouvait être perçu à l’époque. Le tarif de la capitation déclinait ainsi 22 classes qui étaient censées refléter la hiérarchie sociale du temps : de la première avec les princes du sang à la dernière avec le manouvrier.
– C’est pourquoi par exemple au sein de la première classe, figurait la famille royale, avec à sa tête, le Dauphin, mais aussi les ministres, les principaux financiers, c’est-à-dire l’état le plus élevé de la noblesse, et l’état de roture élevé par la haute finance ou le pouvoir politique.
– Les ducs et pairs relevaient de la deuxième classe au sein de laquelle ils se retrouvaient avec le premier président du parlement de Paris (noblesse de robe) de telle sorte que le duc de Saint-Simon, c’est à dire la forme paroxysmique de la fierté nobiliaire, était contraint de côtoyer Achille de Harlay qui appartenait à la noblesse de robe.
– Les marquis, comtes, vicomtes et barons sont rangés dans la septième classe où ils retrouvent les receveurs des tailles et les contrôleurs des postes.
Outre le fait qu’elle étendait l’obligation fiscale à tous, la capitation est donc apparue comme le révélateur d’une vraie hiérarchie sociale très éloignée des standards de l’époque, articulés autour d’une société d’ordres, mais qui ne représentait plus grand-chose.
Naissance de l’impôt sur le revenu : le dixième
Un impôt proportionnel
La deuxième réforme fiscale fut la création du dixième en 1710. On n’a pas toujours mesuré l’importance politique de cette réforme, « la brèche qu’elle ouvrit dans la muraille lézardée des privilèges » pour reprendre la formule de François Bluche. Pour la première fois était institué un impôt sur le revenu frappant tous les sujets du roi. Il s’était fortement inspiré des principes exposés par Vauban dans son livre célèbre, La dîme royale.
– Le premier est que le Prince, chef et souverain d’un État, ne peut donner la protection à ses sujets que s’ils lui en fournissent les moyens (théorie de l’impôt-échange) ;
– Le deuxième est que par conséquent tous les sujets doivent contribuer à ce financement dans la proportion de leurs ressources, et que donc, tout privilège tendant à l’exemption est injuste et abusif.
Par sa déclaration du 14 septembre 1710, Louis XIV institue donc cet impôt frappant
le dixième des revenus de tous les biens de notre Royaume, pays, terres et seigneuries de Notre obéissance appartenant ou possédés par nos sujets ou autres de quelque qualité ou conditions qu’ils soient.
Le principe d’égalité devant l’impôt est ainsi nettement affirmé. C’est un impôt proportionnel au taux de 10% (une flat tax avant la lettre), déclaratif et qui frappe toutes sortes de revenus ; essentiellement fonciers, mais également les rentes, les revenus des charges et les revenus du commerce et de l’industrie.
Le nouvel impôt rencontre une opposition frontale des ordres privilégiés : à savoir le clergé et la noblesse.
Les réticences du clergé
Tout d’abord du clergé qui arguait en effet que l’Église n’était pas « propriétaire », mais seulement « dispensatrice » des biens dont elle disposait et dont la destination était exclusivement Dieu et les pauvres. Louis XIV avait prévenu cette objection dans ses Mémoires en invoquant la simple « équité naturelle ». Il s’interroge :
Serait-il juste que la noblesse donnât ses travaux et son sang pour la défense du royaume et consumât si souvent ses biens à soutenir les emplois dont elle est chargée, et que le peuple qui, possédant si peu de fonds, a tant de têtes à nourrir, portât encore lui-seul toutes les dépenses de l’État pendant que les ecclésiastiques, exempts par leur profession des dangers de la guerre, des profusions du luxe et du poids des familles, [jouissent] dans leur abondance de tous les avantages du public sans jamais rien contribuer à ses besoins ?
Les réticences de la noblesse
D’autre part la noblesse qui, plus que le principe d’imposition égale, dénonçait surtout l’obligation déclarative qui contraignait chacun à dévoiler le secret des familles et exposait leur crédit. C’est sur cette obligation qu’un Saint-Simon s’est élevé avec tant de véhémence, invoquant le Livre de Samuel et la malédiction divine contre cette iniquité.
Des difficultés structurelles et conjoncturelles
Si le dixième fut un succès politique, il fut malheureusement un échec ou un demi-échec financier. En raison de l’urgence du financement de la guerre de succession d’Espagne, il fallait de l’argent et vite. Or il n’y avait pas d’administration suffisante pour établir et recouvrer un tel impôt. L’État était donc prêt à des compromis permettant de fournir des liquidités immédiates, même au prix d’une dénaturation de l’impôt.
– De fait, dès 1711, le clergé se fait exempter contre le vote d’un don gratuit de huit millions. Lyon, l’Alsace, Strasbourg obtiennent un rachat.
– L’ordre de Malte s’abonne, de même la Flandre maritime, à 200 000 livres par an.
– Il en est de même pour le Languedoc, la Bourgogne, la Bretagne, la Provence.
– Enfin, les financiers qui ont prêté au roi 2 400 000 livres se font exempter du dixième par le traité négocié à l’occasion de ces prêts.
On ne peut donc s’étonner que le produit du dixième n’ait jamais pu dépasser en moyenne vingt-deux ou vingt-trois millions par an. C’était toujours ça, mais très en dessous de ses possibilités financières.
Un effet inattendu
Toutefois un effet inattendu se produisit, c’est l’effet psychologique de l’annonce de l’instauration du dixième sur les cours étrangères. Nicolas Desmarets, contrôleur général, qui mit en œuvre la réforme, écrira plus tard :
On peut dire que la crainte [celle de cette imposition regardée comme une ressource inépuisable pour la guerre], fut un des principaux motifs qui ont déterminé les ennemis à faire la paix.
Naissance d’une politique culturelle
La passion artistique du roi
Louis est le premier souverain à avoir conjugué goût artistique et politique. Louis XIV s’est intéressé à l’art, non pas en dilettante, en amateur, mais d’une manière concrète et es qualité. Il ne se contentait pas d’écouter la musique, de contempler la peinture, d’assister aux représentations théâtrales. Il approchait l’art au plus près :
– Il visitait les artistes, les chantiers, les ateliers.
– Il visita Delalande en train de composer, Le Brun en train de peindre, assiste aux répétitions d’Esther par les Demoiselles de Saint-Cyr.
– Il a parcouru les chantiers de Versailles de fond en comble.
– Il a pratiqué la danse en virtuose.
– Il avait par une décision personnelle abandonné la pratique aristocratique du luth pour celle de la guitare, plus populaire mais en rapport avec son goût véritable.
À Colbert qui, dans une lettre au roi, lui demande à quel degré il souhaite être informé de l’avancement des travaux de Versailles, Louis répond : « Le détail de tout ».
Sans jamais prétendre à l’expertise, son goût artistique s’ancrait dans le concret, dans le réel.
L’art comme un moyen de gouvernement
Pour Philippe Beaussant, Louis XIV est allé beaucoup plus loin que les souverains qui ne pratiquaient l’art que comme un jardin secret (Frédéric II de Prusse) ou qui établissaient une passerelle entre l’agrément et le pouvoir pour, comme mécène, marquer le domaine des arts (François Ier créant le Collège de France ou recevant Léonard de Vinci). Louis XIV a voulu conjuguer le plaisir des arts et sa couronne
pour bâtir un édifice plus grand encore, un monument édifié à la gloire de son règne et qui illumine sa personne.
Qu’il s’agisse de poésie, de théâtre, de peinture, de sculpture, d’architecture, de musique ou de danse, les arts sont la manifestation de la gloire du roi, les instruments de sa grandeur qui rejaillit sur le royaume et le peuple tout entier. Louis XIV est le premier des rois qui ait conçu l’art comme un moyen de gouvernement.
Ainsi, le premier jour de son accession au pouvoir personnel, le 9 mars 1661, il crée l’Académie de danse. Il n’y a rien là de la pure satisfaction d’une lubie, mais le signe que toute l’action royale est intimement liée à la fonction royale. En créant cette académie de danse, souligne Ph. Beaussant, il n’assure pas seulement la promotion d’un art qu’il aime passionnément et qu’il pratique à la perfection, il consacre aussi le divertissement favori des Français. En quelques années, il crée un remarquable réseau d’académies qui inspireront
une évolution stylistique, le développement d’un goût spécifiquement français parfaitement conforme aux règles les plus universelles attestées et exigeantes du beau. (M. Fumaroli)
Son goût artistique a largement influencé les arts de son temps. Bien souvent il l’a fait prévaloir sur celui de son entourage. Il imposera Versailles qu’il a voulu de toutes ses forces, contre Colbert qui restait accroché à la restauration du vieux Louvre, contre Colbert encore qui, rallié au projet de Versailles, voulait raser le petit château de Louis XIII que, dans un beau geste de piété filiale et par son instinct artistique infaillible, Louis a conservé et placé au cœur de « son » Versailles. Colbert s’est trompé : Versailles c’est précisément l’alliance du plaisir et de la gloire et c’est l’œuvre de Louis, qui l’a conçu presque dans ses moindres détails. Ajoutons aussi qu’il l’a conçu et réalisé dans deux perspectives :
– une perspective culturelle,
– une perspective politique.
Une perspective culturelle
La première perspective est culturelle par l’expression d’un goût spécifiquement français ; comme l’a bien vu Marc Fumaroli, un style français
purifié du syncrétisme et du pathétisme que favorisaient dans les arts la papauté et les grands ordres religieux catholiques […] un style universel dans ses principes, dédaignant la recherche de l’effet […] ayant retrouvé les sources de la beauté que l’antiquité et le christianisme avait inspirée : ordre, simplicité, convenance, charme, finesse, grâce.
Versailles n’a rien à voir avec la copie boursouflée que, dans son admiration exaltée et névrotique du Roi-Soleil, Louis II de Bavière a édifiée sur le Herrenchiemsee. On n’oubliera pas que Louis XIV qui avait accepté qu’on fît venir de Rome Le Bernin pour reconstruire une aile du Louvre, l’avait finalement écarté, quitte à l’ensevelir sous les honneurs. Quand on regarde effectivement le projet du Bernin, et cette énorme pâtisserie du baroque italien, on voit qu’on l’a échappé belle ! Versailles n’a rien de ce baroque-là. Le style de Versailles, c’est le style Louis XIV.
Une perspective politique
La seconde perspective est politique : celle de la construction du cadre de son gouvernement. Comme l’a bien souligné A. Maral :
La décision de fixer la cour à Versailles en 1682 a permis de renforcer l’outil politique adapté et de fixer le monde des serviteurs de l’État dans la dépendance étroite du monarque. Versailles devient ainsi le creuset où furent appelées à se côtoyer, sinon à fusionner, les élites anciennes et modernes du royaume sous l’égide et le regard du roi qui a ainsi créé l’instrument d’affirmation de son autorité sur des forces trop souvent centrifuges.
Versailles s’affirma ainsi comme un instrument obligé de l’exercice du pouvoir, de représentation de l’État monarchique. Les trois unités du théâtre classique y sont parfaitement appliquées :
– unité de lieu avec la fin de la cour itinérante ;
– unité de temps pour le cérémonial : le permanent prend le pas sur l’éphémère ;
– et surtout unité d’action : courtisans et politiques deviennent les acteurs permanents au service du monarque, lui-même maître du temps, des lieux et de l’action.
Nouveau théâtre politique, Versailles est devenu le miroir du prince et de l’État. L’installation définitive du roi et de la cour à Versailles a eu pour conséquence la « curialisation du gouvernement » (A. Maral). Elle a permis de rééquilibrer la composition sociale du gouvernement, de réintégrer certaines personnalités de la noblesse (Beauvillers, Chevreuse, Villeroy, d’Antin, trois ducs et pairs admis au Conseil), la bourgeoisie et la noblesse de robe restant toutefois dominantes.
Versailles restera à jamais le chef d’œuvre politique et artistique de Louis XIV.
Conclusion
Sur les reproches faits à l’héritage louis-quatorzien
On a souvent et on continue à donner de l’héritage louis-quatorzien un bilan pessimiste.
– Le règne réformateur de Louis XIV serait à l’origine de bien des maux de ce que certains ont abusivement appelé le « mal français » : l’étatisme, le centralisme, la bureaucratie administrative.
– L’unité aurait tué les libertés locales, les intendants auraient engendré les préfets, la technocratie, l’ENA, l’interventionnisme, le fiscalisme.
Tout cela est bien entendu non seulement excessif, et pire que faux : anachronique.
Une administration légère et « humaine »
Il suffit de se reporter à la fin du règne pour constater que l’administration royale n’avait rien avoir avec le monstre contemporain.
– Le Contrôle général des finances, celui de Colbert comme celui de Desmarets qui était le ministère le plus important, ne représentait qu’une infime partie du personnel d’une préfecture comme celle de Poitiers.
– Une intendance de grande province, c’est à peine une douzaine d’agents. Le cas de la Bretagne avec ses 83 subdélégués est exceptionnel.
L’administration louis-quatorzienne est au contraire très légère et surtout très personnalisée. Chaque habitant connaît l’intendant et sait pouvoir compter sur lui. On n’a pas suffisamment montré combien aussi cette administration était humaine. L’historien Marcel Giraud qui a travaillé sur les tendances humanitaires à la fin du règne de Louis XIV souligne que les ministres, les « hauts fonctionnaires » royaux se préoccupaient des misères qui frappaient les Français.
L’État au service du publique, le roi au service de ses peuples
La restauration de l’État et l’administration dont Louis l’a doté a sans aucun doute fait émerger la prise de conscience de la nécessité du « service public », à savoir que le roi et ses officiers, ses commis, ses intendants sont à son service et, partant, au service du public, de ses peuples comme on disait alors.
Dès l’avènement de son règne personnel, Louis a bien compris que la prospérité de ses peuples passait par celle de l’État, et que celle-ci passait par la concentration du pouvoir royal. Après le chaos de la Fronde, l’État, c’est le progrès, c’est le salut, le retour à l’ordre.
L’État royal n’est pas omnipotent
Mais ce n’est pas l’étatisme. Louis a trouvé un équilibre entre un pouvoir recentré et un gouvernement équilibré, ménageant la liberté d’initiative des ministres, celle des provinces, des pouvoirs locaux. L’État royal n’est pas omnipotent.
– Son administration cohabite avec celle de l’Église (son assemblée, ses tribunaux, son administration hospitalière, éducative, etc.).
– Elle n’a pas fait disparaître l’administration provinciale.
– Certains départements ministériels, tel le secrétariat d’État à la Marine inauguré par Colbert en 1669, ont été des modèles insurpassés d’organisation, d’efficacité, de cohérence ; il n’y a manqué qu’un état-major opérationnel.
Du critiquable système des offices au système méritocratique
En revanche, le grand mal français à l’époque, c’est le système des offices, proliférant par milliers, inutiles voire grotesques. Pontchartrain n’avait-il pas dit à Louis XIV :
Chaque fois que Votre Majesté crée un office, Dieu crée un sot pour l’acheter !
Quelle qu’ait été sa nuisance, le régime des offices n’a pas pour autant empêché la naissance d’un système administratif qui lui était totalement opposé et que Pierre Chaunu a appelé la « méritocratie », ce qui suppose dans cette administration beaucoup de souplesse. Et de fait, le réformisme ludovicien n’a rien de dogmatique. Louis a des convictions, des certitudes, mais il sera surtout pragmatique.
Les successeurs de Louis XIV et son héritage
C’est à l’échec de ses successeurs que l’on peut mesurer la réussite du réformisme de Louis XIV.
– Le Régent bradera l’héritage politique et administratif en vingt-quatre heures, réintégrant les parlements dans le concert politique.
– Louis XV ne maintiendra trop longtemps que l’apparence louis-quatorzienne. Ce n’est qu’à la fin du règne, sous l’égide du « triumvirat » (Terray, Maupéou, d’Aiguillon) qu’il lancera vigoureusement les vraies réformes : la réforme fiscale (le vingtième), et la réforme judiciaire (renvoi des parlements et institution d’une magistrature fonctionnarisée et indépendante). C’était malheureusement trop tard. Louis XV meurt trois ans plus tard sans que ses réformes aient pu s’enraciner profondément dans le système politique français.
– Quant à Louis XVI, il alternera, selon la formule sévère de François Bluche, entre conservatisme étroit et « réformite » inconsidérée.
Tout se passera comme si les épigones de Louis XIV « avaient usé de la machine en ignorant les détails de son mode d’emploi ».
Une restauration de l’État tout à l’opposé de l’étatisme
On le lui a d’ailleurs reproché cet État restauré, en l’accusant d’être à l’origine de l’étatisme, cette « maladie française » qui serait née à Versailles au sein des Conseils, propagée par le système des intendants, et qui a fait dire à Tocqueville que la centralisation jacobine et impériale est un héritage de l’Ancien Régime, et particulièrement celui de Louis XIV.
Analyse en réalité peu convaincante. La concentration politique et administrative qui a accompagné la consolidation de l’État pendant le règne de Louis XIV n’a que peu de chose à voir avec la centralisation jacobine qui procédait d’un impératif idéologique, la sauvegarde du processus révolutionnaire impliquant la mainmise du pouvoir républicain sur l’ensemble de la société.
Alors que la concentration administrative louis-quatorzienne visait à exorciser les « vieux levains féodaux » qui avaient engendré le chaos de la Fronde. Elle a seulement correspondu à une étape majeure de la construction de l’unité française. Ni uniforme, ni tyrannique, elle fonctionnait dans l’esprit du principe
le roi en son conseil, le peuple en ses états.
D’une part, le roi de France qui gouverne en conseil car son pouvoir repose sur la prééminence du droit, mais qui gouverne. D’autre part, « le peuple en ses états », c’est-à-dire vivant dans son milieu naturel, avec ses franchises, ses libertés, ses coutumes. Ce lien entre l’État et l’unité, on le retrouve dans la célèbre formule sur l’État « qui demeurera toujours » léguée par Louis XIV sur son lit de mort.
L’évolution de la société
Trois ordres non étanches
La société française dans la deuxième moitié du XVIIe siècle reste une société d’ordres (clergé, noblesse et tiers-état). Ce n’est pas une société de castes. Entre les ordres, dans une certaine mesure, il y a une certaine porosité.
Une élite nobiliaire
Les élites appartiennent majoritairement à la noblesse et Louis s’attachera toujours à ce que sa noblesse demeure une élite.
L’élite militaire bien sûr. On n’oubliera pas, ce qui sera moins évident au XVIIIe siècle que sous Louis XIV, l’impôt du sang n’est pas un mythe. De nombreuses familles sont décimées par les guerres successives (la maison de Choiseul aura perdu 22 de ses membres durant les guerres de Louis XIV).
Une élite roturière promue par un système méritocratique
Toutefois, le roi s’est très tôt défié des prétentions politiques de la noblesse, ayant encore à l’esprit le chaos de la fronde nobiliaire. Il a cherché à puiser ses collaborateurs dans les élites roturières par un processus que Pierre Chaunu appelait la « méritocratie tempérée ».
Louis a accueilli et choyé à Versailles nombre de personnalités appartenant à la roture et qu’il a anoblis : Jean Racine, André Le Nôtre, Jean Bart, Duguay-Trouin, l’architecte Robert de Cotte.
Une société de 22 classes
La hiérarchie sociale était d’ailleurs bien plus complexe que la structure officielle en trois ordres, ou les distinctions entre noblesse d’épée et noblesse de robe, encore moins la différenciation par l’argent. En fait la hiérarchie sociale peut être approchée à travers le tarif de la capitation, impôt créé nous l’avons vu en 1695 et qui frappait non la richesse, le revenu ou le capital, mais l’état social, la dignité sociale. Les 22 classes de contribuables du tarif déclinaient plus de cinq cents nuances sociales ou professionnelles. Ce tarif de la capitation révèle d’une manière très vivante et imagée, la variété des conditions nobles de l’Ancien Régime. Ce qui explique que noblesse et tiers se soient parfois alliés.
Un brassage des élites
Les dynasties de ministres, d’intendants, de conseillers d’État se sont alliés avec la noblesse parfois la plus prestigieuse : les trois filles de Colbert ont épousé trois ducs et pairs : Beauvilliers, Chevreuse et Mortemart. Michel Chamillart que Louis appréciait comme partenaire au jeu de billard (je crois même que c’était là sa seule qualité) et qu’il nomma contrôleur général des finances (une incontestable « erreur de casting ») maria son fils avec Marie Françoise de Rochechouart, une petite fille de Colbert, sa fille avec Daniel de Talleyrand-Périgord, une autre fille avec Louis d’Aubusson, duc de La Feuillade, une autre fille avec un duc de Lorge. La deuxième partie du règne de Louis est incontestablement celle d’un brassage des élites.
Faut-il pour autant avec Jean-Christian Petitfils considérer que le règne de Louis XIV fut celui du nivellement des élites, et celui d’un égalitarisme précurseur de celui de la révolution française ? Je crois cette hypothèse très excessive, voire tout simplement anachronique. D’autant que les deux règnes suivants ont été l’occasion d’un retour de l’influence et du pouvoir nobiliaires avec d’abord l’expérience malheureuse de polysynodie engagée par le Régent (la quasi-totalité des conseils était entre les mains de la haute noblesse) et, ensuite celle de premier ministre par le duc de Bourbon. Il s’en est suivi un certain retrait politique de la bourgeoisie qui en ressentit un profond dépit qui l’a précipitée dans le camp d’une opposition parlementaire et d’un jansénisme idéologique qui ont largement contribué au développement du processus révolutionnaire.
Louis XIV a parachevé l’œuvre des Capétiens
Politiquement, socialement, la monarchie louis-quatorzienne a incarné ce qu’on appelle aujourd’hui la modernité, une monarchie dont tous les prédécesseurs de Louis ont rêvé, qu’ils ont pratiquement tous, avec certes plus ou moins de bonheur, contribué à édifier, les Bourbons mieux que les autres. C’est sur cette longue et empirique expérience que Louis XIV a parachevé l’œuvre capétienne.
La Révolution, la République et l’Empire, tout en récupérant les plus beaux fleurons, en ont dénaturé le sens, pour, en fin de compte, n’engendrer qu’une désastreuse régression.
Jean-Baptiste Geffroy,
professeur émérite de l’université de Poitiers
- Jean-Baptiste Geffroy est professeur émérite de l’Université de Poitiers, et l’article est tiré de la Gazette royale.↩