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Introduction de viveleroy
Cet article est tiré du magazine de gauche souverainiste Marianne daté du 11-17 janvier 2024 : « Pour ou contre l’aide à mourir ».
Il faut saluer, à cette occasion, l’honnêteté dont a fait preuve ce magazine, pourtant très éloigné de notre courant de pensée.
CONTRE : Louis de Bourbon (dynastie capétienne)
Sur le suicide assisté [VLR]
Une mécanique politicienne apparemment bien huilée tend à orienter les esprits en vue d’obtenir, par un projet de loi porté par l’Élysée et par le gouvernement, sous le prétexte d’un prétendu « droit à mourir dans la dignité », des modifications affectant le traitement des personnes en fin de vie. Il s’agit, en fait, de permettre le suicide assisté. Croyez bien que j’ai moi-même vécu avec la souffrance de personnes chères arrivées en fin de vie pour lesquelles on ne sait plus quoi faire, plus quoi espérer. Je suis conscient des difficultés, de tous ordres, auxquelles sont confrontés, alors que la vie se retire, les personnes en phase terminale, leurs familles et les personnels soignants qui en ont la charge. Il y a là une part de l’insondable mystère de l’existence qui connaît autant les joies immenses que les souffrances intolérables. Pourtant, touchant à l’essence même de la nature humaine, le débat exige hauteur et rigueur, puisqu’il s’agit d’un enjeu de société qui dépasse l’individu, fut-il en grande détresse. Les réponses ne peuvent être de l’ordre de l’émotion. Il est nécessaire de trouver un juste équilibre entre ce que peuvent attendre la personne et ses proches, confrontés aux douleurs physiques et morales, et les devoirs que tous, individuellement, nous avons envers la société. Le principal de ces devoirs est de toujours privilégier la vie. Toute tentative tendant à favoriser l’euthanasie, même rebaptisée hypocritement « aide à mourir », c’est-à-dire à encourager la mort voulue, crée une nouvelle violence dans une époque qui n’en manque pas et ne peut que contribuer à renverser de manière encore plus profonde les valeurs de notre société. C’est en référence à cette finalité sociale qu’en ma qualité de successeur légitime des rois qui ont fait la France je pense avoir le devoir de m’exprimer sur ce grave sujet. Je considère que me taire constituerait une faute morale.Je ne peux demeurer passif face au risque de la transgression tendant à privilégier encore plus une culture de la mort.
Défendre la vie
La question de l’euthanasie ne concerne pas seulement les individus, mais sollicite la société tout entière. Il ne peut s’agir d’un droit pour chacun, malgré les arguments biaisés et les sophismes dont le but est d’endormir la méfiance de l’opinion. Promouvoir son extension détourne le législateur de la recherche du bien commun, qui ne peut être fondée que sur le maintien de la défense de la vie, dans sa transmission comme dans sa préservation, et non sur des justifications de caractère purement subjectif. Or, au risque de tous les détournements et de tous les dangers, c’est exactement le contraire qui se profile avec la possibilité d’une mort légale, d’une mort administrée.
Ne voit-on pas jusqu’où cela peut mener, quand les freins de la morale tendent à disparaître, quand certains pays acceptent déjà le suicide assisté pour « convenance psychologique » ? Faut-il admettre que, demain, les personnes les plus menacées, qui seront bien évidemment souvent les plus faibles, ne soient plus protégées ? Peut-on accepter en silence que soit aboli ce qui constitue encore actuellement une défense « absolue », admise par tous, prescrite par le droit naturel tout autant que par l’héritage chrétien du « tu ne tueras pas ton prochain » ? Peut-on voir rejeté ce fondement essentiel de la vie sociale ? Ne devons-nous pas considérer que le socle de nos sociétés doit continuer de reposer profondément sur les trésors de générosité déployés en faveur du soutien des malades et de la défense de la valeur de la vie humaine ? Notre histoire et le destin de notre pays ne sortiront pas grandis d’une inversion des valeurs qui ont fait la grandeur de la France. La lâcheté du système proposé semble telle que ce serait aux familles et au corps médical de prendre la décision ultime, comme s’ils n’avaient pas déjà, les unes et l’autre, des préoccupations majeures : pour les familles, accepter la perte d’un être cher ; pour le corps médical, rester fidèle au serment fait en acceptant son métier de préserver les vies et de lutter contre la mort. Le législateur semble d’ailleurs bien conscient de la transgression possible et, pour échapper à sa conscience, semble s’abriter derrière une succession de comités, de commissions ou d’organismes, de manière à pouvoir se laver les mains des décisions qui seront prises en son nom. La lâcheté en politique est rarement bonne conseillère…
Les orientations affichées conduisent donc vers une impasse, en engageant notre pays dans une voie funeste, marquée par l’abandon de principes moraux essentiels. Vers une régression de ce qui a fait jusqu’alors la civilisation, et non vers un progrès social. Une telle législation contre nature, venant s’ajouter aux actions, ou absences d’actions, menées dans d’autres domaines, ne risque-t-elle pas d’entraîner la France vers des abîmes où elle risque de se perdre pour longtemps, voire à tout jamais ?
Alléger la souffrance
La France serait manifestement grandie en prenant la défense de la vie à travers l’extension des soins palliatifs et l’accompagnement de malades qui éprouvent de terribles douleurs occasionnées par leur état de santé. Les fins de vie sont toujours des moments où la compassion, la proximité, l’aide spirituelle, le soutien moral et physique, comptent beaucoup.
Et, s’il s’agit d’évoquer le droit des personnes, prendre les moyens de gérer au mieux possible ces instants doit constituer un objectif premier. C’est ainsi que la France pourrait s’illustrer, en étant innovante, dans la pratique des soins palliatifs et dans la recherche d’autres progrès pour alléger la souffrance des plus fragiles.
Je considère qu’il est de mon devoir de rappeler ainsi ce qui devrait normalement être, pour tous, des évidences, en joignant ma voix à celles de tous ceux qui pensent que, sans respect de la vie, il ne peut exister de société pérenne. De ce point de vue, puisse la France, qui a donné tant et tant de saints et de saintes, et de si grands héros ayant œuvré pour le bien commun, retrouver le chemin de son histoire. En se plaçant particulièrement dans le souvenir de ses racines chrétiennes, qui sont aussi celles de l’Europe, il appartient à notre pays de souligner la nécessité première de refuser à la mort sa victoire et de protéger la vie. Pensons ainsi à l’interrogation solennelle posée en son temps à la France par le saint pape Jean-Paul II : « France fille aînée de l’Église, éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? » Ne nous revient-il pas de nous efforcer chaque jour de répondre positivement à cette question pour le bien de l’homme ?
POUR : Guillaume Trichard, Grand-Maître du Grand-Orient de France
Depuis trop de mois, l’exécutif de notre pays hésite… écoutant, je le crains, les sirènes de l’obscurantisme. Pourtant, la question de la fin de vie a été tranchée ailleurs, partout où le droit de mourir dans la dignité s’est imposé comme une conquête au service de l’homme et de sa liberté, une conquête humaniste qui n’enlève rien à ceux qui ne souhaitent pas disposer de ce droit et qui octroie beaucoup à ceux qui en revendiquent la légalisation. Mourir dans la dignité, en effet, en abolissant la souffrance lorsque celle-ci se fait intolérable, insupportable, inacceptable : c’est cette possibilité que défendent les francs-maçons du Grand Orient de France, au nom de la libre autodétermination de chaque individu, sous réserve qu’il en exprime en pleine conscience la volonté, et que ce droit-là soit suffisamment encadré pour éviter tout risque de dérive.
Toutes les études d’opinion valident le soutien majoritaire des Français à cette réforme. Il faut les écouter enfin. La France, sur ce douloureux sujet de la fin de vie, est en retard. Trop en retard ! En retard, d’abord, par l’insuffisance criante de structures de soins palliatifs, près d’une vingtaine de départements n’en disposant toujours pas à ce stade. En retard, surtout, parce qu’à ce déficit peu admissible se greffe une incapacité de l’État à prendre en charge par la loi une demande sociétale ancienne, nécessaire, urgente. Nombre de nos compatriotes confrontés à l’insoutenable, au terme du terme, doivent parfois et trop souvent franchir les frontières hexagonales pour abréger leur calvaire, s’ils en ont la capacité financière. En tout état de cause, quitter la France pour mourir dignement n’est pour eux, ni pour leurs proches, une issue satisfaisante. Ceux-là ont-ils encore l’opportunité d’accéder à cette alternative quand les autres, autant dire la plupart, restent désemparés à l’épreuve angoissante d’une infinie douleur.
Non, mourir ne doit plus vouloir dire souffrir, prolonger une interminable agonie, s’enfermer dans un face-à-face dramatique avec sa propre dégradation physique. Chacun doit être libre, dès lors que le sens de son existence se réduit à n’être plus qu’un espace où seule subsiste la souffrance, de partir, de pouvoir dire un dernier salut aux siens paisiblement, de se retirer du monde en paix avec soi-même et avec ceux qu’il aime. Notre législation, en conséquence, doit évoluer. Le Comité consultatif national d’éthique, la convention citoyenne sur la fin de vie se sont prononcés en faveur de cette évolution. Le Grand Orient de France, première obédience maçonnique libérale et adogmatique, appelle également de ses vœux cette loi de l’ultime liberté, non pas nécessairement au nom d’un alignement avec d’autres pays qui, en Europe, ont fait ce choix (Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Suisse, etc.) mais parce que, conformément à son inspiration philosophique, notre obédience juge plus que jamais nécessaire d’ouvrir ce droit sur un modèle propre aux principes et aux valeurs de la France, à ceux qui, parmi nos concitoyens, le sollicitent.
Respecter l’humain
Il n’y a pas de progrès plus impératif que celui qui, d’un même pas et dans un même mouvement, autorise la liberté et le recul de la souffrance. Il nous faut désormais pouvoir émanciper notre mort comme nous sommes en mesure d’émanciper notre vie. C’est là une question de libre arbitre, de respect de l’humain et de son autonomie.
Or, encore une fois depuis des mois, des forces réactionnaires, notamment religieuses, s’y opposent, privilégiant toujours leur logique d’hétéronomie, considérant, au nom de leurs théologies multiples et variées, que le dogme ne peut souffrir cette liberté consentie à l’homme, liberté dont il lui est laissé le soin d’user ou non.
Le président de la République, Emmanuel Macron, a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il ferait évoluer dans cette matière, ô combien sensible, le cadre législatif. Il l’a rappelé encore ces tout derniers jours. Cette parole va dans le bon sens mais elle n’est plus suffisante. Tant sur le contenu que sur l’agenda parlementaire, les incertitudes demeurent. Il faut donc passer des paroles aux actes ! Or tout laisse à penser que les entrepreneurs du statu quo vont poursuivre leur travail de ralentissement et de blocage contre l’opinion, contre les avis les plus éclairés scientifiquement, contre l’esprit des Lumières…
Et, pendant ce temps, des femmes et des hommes souffrent, confrontés à l’attente indicible et interminable de leurs douleurs, isolés dans leur détresse, sans autre espoir qu’une interminable fin dont l’effroi le dispute à l’intolérable. La République s’honore chaque fois quelle libère l’homme des chaînes de la fatalité à laquelle certains voudraient de toute éternité l’assigner. Permettre à chacun de choisir le chemin de son départ lorsque celui-ci est devenu inéluctable est un choix de progrès mais aussi de vie. Cela s’appelle la liberté de choix, l’égalité face à la souffrance, et la fraternité aussi que nous devons aux mourants.