Qui se souvient de cette époque quand la Gauche républicaine prônait la colonisation au nom « du droit des races supérieures » ? La fin du XIXe siècle voit en effet le triomphe du positivisme d’Auguste Comte chez nombre d’intellectuels. Sur les traces du philosophe, les radicaux de gauche Léon Gambetta, Jules Ferry et Paul Bert adoptent son programme d’instaurer une république universelle ayant pour capitale Paris et « d’organiser sans dieu ni roi 1 ». S’appuyant sur l’évolutionnisme darwiniste, cette gauche républicaine égalitariste justifiera sa politique de colonisation en enseignant l’inégalité des races aux jeunes Français, ainsi que le « droit des races supérieures vis à vis des races inférieures. » [La Rédaction]
Table des matières
Introduction
En 2006, dans un ouvrage paru aux Presses universitaires de France, l’historienne Carole Reynaud Paligot lance un pavé dans la mare de la bien-pensance : Horreur ! La IIIe République, fille de la Science et des Lumières, ce régime violemment anti-clérical et vainqueur de « l’obscurantisme religieux » s’est construit sur des fondements nationalistes et racistes :
le « paradigme racial » s’est inscrit pleinement dans l’idéologie républicaine, et sa scientificité proclamée participe de la lutte anticléricale et du refus de la tradition biblique monogéniste [La Bible enseigne en effet que toutes les races sont filles d’Adam et Ève créés à l’image de Dieu (note de VLR)]. L’inégalité « démontrée » par la méthode anthropologique justifie l’entreprise impériale. La colonisation est inscrite comme l’aboutissement de l’histoire du progrès humain et la France, guide de l’Europe depuis la Révolution française selon la vision vulgarisée par Michelet, devient ainsi le guide des autres races en retard sur la voie de l’ordre et du progrès selon le paradigme comtien 2.
Paul Bert, ministre radical de gauche, expose les bases « scientifiques » d’une politique raciste
Brève biographie de Paul Bert (1833-1886)
Docteur en droit puis en médecine, physiologiste de grande renommée, Paul Bert prend la succession de Claude Bernard à la Sorbonne. Il devient membre de l’Académie des sciences en 1882.
Très anti-clérical, ce député radical — siégeant à l’extrême gauche, puis à gauche — est un membre influent du Parti républicain.
Il est nommé Ministre de l’Instruction publique et des Cultes par le Président du Conseil radical de gauche Léon Gambetta sous le mandat présidentiel de Jules Grévy (14 novembre 1881 – 30 janvier 1882) Il laisse durablement son empreinte avec ses manuels scolaires où il prêche à plusieurs générations d’écoliers de France : le patriotisme jacobin 3, le rationalisme scientifique, la suprématie de la race blanche inspirée de la théorie darwinienne de l’évolution et de la sélection naturelle, avec ce corollaire :
Il faut placer l’indigène en position de s’assimiler ou de disparaître 4.
Extrait d’un manuel scolaire signé Paul Bert : Deuxième année d’enseignement scientifique, Armand-Colin, Paris, 1888, p. 16-18.
11. Hommes.— À tout seigneur, tout honneur, dit un vieux proverbe. Nous commencerons l’étude des mammifères par celle de l’Homme, car c’est un mammifère. Je sais bien qu’il mérite de faire tout à fait bande à part, tant il est supérieur à tous les autres […]
Tous les hommes ne sont pas identiques, à ceux de ce pays-ci. Déjà, dans notre petit village, il y a des blonds et des bruns qui sont assez différents les uns des autres. Vous savez qu’un Flamand, assez grand et blond ; ressemble encore moins à un Provençal, petit et très brun. Un Allemand et un Italien sont encore plus dissemblables.
– Mais enfin, tous les peuples de notre Europe ont la peau blanchâtre, comme la nôtre, la figure régulière, le nez droit, la mâchoire d’aplomb, les cheveux plats mais souples, ou même ondulés.
– Au contraire, les Chinois ont la peau jaunâtre, les cheveux plats, durs et noirs, les yeux obliques, les dents saillantes.
– Les Nègres ont la peau noire, les cheveux frisés comme de la laine, les mâchoires en avant, le nez épaté ; ils sont bien moins intelligents que les Chinois, et surtout que les blancs.
– En Amérique vit une autre race qui a des rapports avec la race jaune, mais qui est plus grande et qui a la peau rougeâtre. Il y a beaucoup d’autres races moins nombreuses ou moins faciles à caractériser.
Contentons-nous d’indiquer cette année les Blancs européens, les Jaunes asiatiques, les Noirs africains, les Rouges américains. Seulement il faut bien savoir que les blancs, étant plus intelligents, plus travailleurs, plus courageux que les autres, ont envahi le monde entier, et menacent de détruire ou de subjuguer toutes les races inférieures.
Et il y a de ces hommes qui sont vraiment bien inférieurs. Ainsi l’Australie est peuplée par des hommes de petite taille, à peau noirâtre, à cheveux noirs et droits, à tête très petite, qui vivent en petits groupes, n’ont ni culture ni animaux domestiques (sauf une espèce de chien), et sont fort peu intelligents. Certaines peuplades humaines ne savent même pas faire du feu.
12. Singes. — En tête des Singes, il faut placer trois grandes espèces, beaucoup plus intelligentes que les autres, et qui ont vraiment avec l’homme des ressemblances remarquables…
Discours de Jules Ferry pour promouvoir la politique de guerre coloniale de la République
Brève biographie de Jules Ferry (1832-1893)
Avocat et homme politique, Jules Ferry représente — avec Jules Grévy et Jules Simon — la Gauche républicaine qui est un groupe parlementaire situé entre le Centre gauche d’Adolphe Thiers et la Gauche radicale de Léon Gambetta, Georges Clémenceau ou Camille Pelletan.
Il est reçu franc-maçon le 8 juillet 1875 à la loge La Clémente Amitié affiliée au Grand Orient de France.
Disciple du philosophe positiviste Auguste Comte, il en reprend le combat en déclarant :
Mon but, c’est d’organiser l’humanité sans Dieu et sans roi 5.
Alors que la IIIe République mène une politique impériale, Jules Ferry — à deux reprises Président du Conseil des ministres — en est une cheville ouvrière.
– Lors de son premier ministère (23 septembre 1880 – 10 novembre 1881) il impose un protectorat français à la Tunisie.
– Lors du second ministère (21 février 1883 – 30 mars 1885) il organise les conquêtes de l’Annam (Viêt Nam du Sud) et du Tonkin (Viêt Nam du Nord), celles du Congo et de Madagascar.
Dans cette séance parlementaire du 28 juillet 1885, Jules Ferry y défend sa politique. Il cherche à obtenir le consentement des députés pour poursuivre la guerre coloniale de la République ainsi que le vote de nouveaux crédits pour la conquête de Madagascar.
Dans un premier temps Jules Ferry essaie de convaincre ses collègues de gauche — favorables à une colonisation par le trafic et le commerce —, que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ».
Dans un second temps, les députés monarchistes, très majoritairement hostiles à la colonisation, s’en prennent au nationalisme guerrier et conquérant de Jules Ferry qui raille à son tour « cet idéal de modestie, de réserve… que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. »
Assemblée nationale : Débat du 28 juillet 1885 (extraits choisis)
M. Jules Ferry. Sur ce point, l’honorable M. Camille Pelletan 6 raille beaucoup, avec l’esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et il dit :
– « Qu’est ce que c’est que cette civilisation qu’on impose à coups de canon ? »
– « Qu’est-ce sinon une autre forme de la barbarie ? »
– « Est-ce que ces populations de race inférieure n’ont pas autant de droits que vous ? »
– « Est-ce qu’elles ne sont pas maîtresses chez elles ? »
– « Vous allez chez elles contre leur gré ; vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas. »
Voilà, messieurs, la thèse ; je n’hésite pas à dire que ce n’est pas de la politique, cela, ni de l’histoire : c’est de la métaphysique politique… (Ah ! ah ! à l’extrême gauche. Voix à gauche. Parfaitement !)
M. Jules Ferry … et je vous défie — permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan —, de soutenir jusqu’au bout votre thèse, qui repose sur l’égalité, la liberté, l’indépendance des races inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu’au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges Périn 7, le partisan de l’expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce.
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… (Rumeurs sur plusieurs bancs à l’extrême gauche.)
M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme !
M. de Guilloutet. C’est la justification de l’esclavage et de la traite des nègres !
M. Jules Ferry. Si l’honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l’homme a été écrite pour les noirs de l’Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas ! (Interruptions à l’extrême gauche et à droite. — Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
M. Raoul Duval 8. Nous ne voulons pas les leur imposer ! C’est vous qui les leur imposez !
M. Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes !
M. Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés !
M. Jules Ferry. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation sur les mêmes bancs à gauche — Nouvelles interruptions à l’extrême gauche et à droite.)
M. Joseph Fabre. C’est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l’abdication des principes de 1789 et de 1848… (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice.
M. Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d’en user ! (Bruit.)
M. le président. N’interrompez pas, monsieur Vernhes !
M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures…
M. Vernhes. Protégez les missionnaires, alors ! (Très bien ! à droite.)
Voix à gauche. N’interrompez donc pas !
M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs…
M. Vernhes. Allons donc !
M. Jules Ferry. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation.
M. Paul Bert. La France l’a toujours fait !
M. Jules Ferry. Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus d’équité, plus de vertus sociales dans l’Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions œuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l’Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l’histoire de cette conquête, il y a aujourd’hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d’ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu’auparavant ?
M. Clemenceau. C’est très douteux !
M. Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke !
M. Jules Ferry. Est-ce qu’il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l’Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s’est imposée, que l’Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire le droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n’est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l’esclavage, cette infamie. (Vives marques d’approbation sur divers bancs.)
Voilà ce que j’ai à répondre à l’honorable M. Pelletan sur le second point qu’il a touché.
Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m’expliquer en toute franchise. C’est le côté politique de la question.
Messieurs, dans l’Europe telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d’une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d’abstention, c’est tout simplement le grand chemin de la décadence !
Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent ; ce n’est pas « par le rayonnement des institutions »… (Interruptions à gauche et à droite) qu’elles sont grandes, à l’heure qu’il est.
M. Paul de Cassagnac. Nous nous en souviendrons, c’est l’apologie de la guerre !
M. de Baudry d’Asson. Très bien ! la République, c’est la guerre. Nous ferons imprimer votre discours à nos frais et nous le répandrons dans toutes les communes de nos circonscriptions.
M. Jules Ferry. Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c’est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs. — Très bien ! très bien ! au centre.) Je ne puis pas, messieurs, et personne, j’imagine, ne peut envisager une pareille destinée pour notre pays.
Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les autres, et, puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut qu’il en prenne son parti, autrement il arrivera… oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d’autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd’hui, quelque puissantes, quelque grandes qu’elles aient été descendues au troisième ou au quatrième rang. (Interruptions.)
Aujourd’hui la question est très bien posée : le rejet des crédits qui vous sont soumis, c’est la politique d’abdication proclamée et décidée. (Non ! non !) Je sais bien que vous ne la voterez pas, cette politique, je sais très bien aussi que la France vous applaudira de ne pas l’avoir votée ; le corps électoral devant lequel vous allez rendre n’est pas plus que nous partisan de la politique de l’abdication ; allez bravement devant lui, dites-lui ce que vous avez fait, ne plaidez pas les circonstances atténuantes ! (Exclamations à droite et à l’extrême gauche. — Applaudissements à gauche et au centre.) … dites que vous avez voulu une France grande en toutes choses…
Un membre. Pas par la conquête !
M. Jules Ferry. … grande par les arts de la paix, comme par la politique coloniale, dites cela au corps électoral, et il vous comprendra.
M. Raoul Duval. Le pays, vous l’avez conduit à la défaite et à la banqueroute.
M. Jules Ferry. Quant à moi, je comprends à merveille que les partis monarchiques s’indignent de voir la République française suivre une politique qui ne se renferme pas dans cet idéal de modestie, de réserve, et, si vous me permettez l’expression, de pot-au-feu… (Interruptions et rires à droite) que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. (Applaudissements au centre.)
M. le baron Dufour. C’est un langage de maître d’hôtel que vous tenez là.
M. Paul de Cassagnac. Les électeurs préfèrent le pot-au-feu au pain que vous leur avez donné pendant le siège, sachez-le bien !
M. Jules Ferry. Je connais votre langage, j’ai lu vos journaux… Oh ! l’on ne se cache pas pour nous le dire, on ne nous le dissimule pas : les partisans des monarchies déchues estiment qu’une politique grande, ayant de la suite, qu’une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées, est l’apanage de la monarchie, que le gouvernement démocratique, au contraire, est un gouvernement qui rabaisse toutes choses…
M. de Baudry d’Asson. C’est très vrai !
M. Jules Ferry. Eh bien, lorsque les républicains sont arrivés aux affaires, en 1879, lorsque le parti républicain a pris dans toute sa liberté le gouvernement et la responsabilité des affaires publiques, il a tenu à donner un démenti à cette lugubre prophétie, et il a montré, dans tout ce qu’il a entrepris…
M. de Saint-Martin. Le résultat en est beau !
M. Calla. Le déficit et la faillite !
M. Jules Ferry. … aussi bien dans les travaux publics et dans la construction des écoles… (Applaudissements au centre et à gauche), que dans sa politique d’extension coloniale, qu’il avait le sentiment de la grandeur de la France. (Nouveaux applaudissements au centre et à gauche.)
Il a montré qu’il comprenait bien qu’on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine, qu’il faut autre chose à la France : qu’elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu’elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, qu’elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. (Applaudissements au centre et à gauche.)
Quand vous direz cela au pays, messieurs, comme c’est l’ensemble de cette œuvre, comme c’est la grandeur de cette conception qu’on attaque, comme c’est toujours le même procès qu’on instruit contre vous, aussi bien quand il s’agit d’écoles et de travaux publics que quand il s’agit de politique coloniale, quand vous direz à vos électeurs : « Voilà ce que nous avons voulu faire » soyez tranquilles, vos électeurs vous entendront, et le pays sera avec vous, car la France n’a jamais tenu rigueur à ceux qui ont voulu sa grandeur matérielle, morale et intellectuelle
(Bravos prolongés à gauche et au centre. — Double salve d’applaudissements — L’orateur en retournant à son banc reçoit les félicitations de ses collègues.)
Quelques précisions et remarques
Il nous faut parler enfin d’un procédé détestable auquel Jules Ferry et les députés gauchistes recourent pour diffuser leur doctrine, qui consiste à attribuer à leurs adversaires une partie de leur propre discours. Ainsi pour justifier son argumentaire sur la race, Jules Ferry et ses amis cherchent-ils à mouiller dans leurs théories le royaliste Albert de Mun, qui avec Mgr Freppel, sont les seuls députés de leur groupe à souhaiter une intervention française à Madagascar.
Or le discours du comte de Mun du 25 mars 1884 devant l’Assemblée nationale 9 est d’une toute autre teneur. S’il se montre favorable à une intervention, et si ses arguments sont parfois inégaux, il y ressort la volonté de contrer les velléités expansionnistes de la reine des Hovas sur d’autres peuples amis de la France, et surtout de protéger les missionnaires et les catholiques soumis à persécution par cette reine convertie au méthodisme. Jamais il n’est question de race, seulement de civilisation.
Ceci n’empêche pas, trois jours plus tard Georges Périn — député gauchiste et franc-maçon du Grand Orient — de déclarer éhontément devant cette même assemblée :
Messieurs, je ne puis en aucune façon accepter ce point de vue ; je le trouve en absolue contradiction avec l’idée très élevée qu’apportait l’autre jour à la tribune l’honorable M. le comte de Mun, lorsqu’il donnait de la politique coloniale cette belle définition qu’elle était le droit des races supérieures vis à vis des races inférieures, et aussi qu’elle était l’exercice d’un devoir 10.
Cette même rengaine sera ensuite servie à l’envi, et Camille Pelletan la reprend encore le 26 juillet 1885 :
Eh bien, soit ! M. Jules Ferry vantait, à propos des expéditions lointaines, « l’idée très élevée qu’apportait l’autre jour à la tribune M. le comte de Mun lorsqu’il donnait de la politique coloniale cette belle définition : qu’elle est le droit des races supérieures vis à vis des races inférieures 11 … »
Toujours cette vieille technique efficace de marteler le mensonge pour que son contenu devienne une évidence.
- « Quand Jundzill écrivit à Comte, il y avait exactement vingt-cinq années que le philosophe poursuivait son programme de réorganiser, en effet, sans Dieu ni roi. » (Charles Maurras, Romantisme et Révolution, Éd. Nouvelle librairie nationale, Paris, 1922, p. 99, Auguste Comte, L’ordre positif d’après Comte.)↩
- Carole Reynaud Paligot, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine (1860-1930), Paris, Presses Universitaires de France, 2006.↩
- « La Convention, qui a tout compris et tout décrété dans le domaine de l’enseignement primaire…» Tels sont les premiers mots par lesquels Paul Bert introduit son manuel scolaire Deuxième année d’enseignement scientifique (Armand-Colin, Paris, 1888, p. 2.)↩
- Paul Bert cité par Carole Reynaud Paligot, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine (1860-1930), Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p.69.↩
- Jules Ferry, cité par Jean Jaurès, Préface aux Discours parlementaires, Le socialisme et le radicalisme en 1885, Présentation de Madeleine Rebérioux, « Ressources », réédition Slatkine, 1980, p. 28-29.↩
- Camille Pelletan (1846-1915) : Franc-maçon initié en 1870 dans la loge La Mutualité 190. Député radical-socialiste (1881-1912). Ministre de la Marine (1902 -1905). Sénateur des Bouches-du-Rhône (1912-1915)↩
- Georges Périn (1838-1903) : Avocat journaliste franc-maçon du Grand-Orient. ↩
- Charles Edmond Raoul Duval, dit Raoul-Duval, est un magistrat catholique libéral (1807-1893) .↩
- Albert de Mun, Journal Officiel, 25 mars 1884, p. 902-905.↩
- Georges Périn, Journal Officiel, 28 mars 1884, p. 935.↩
- Camille Pelletan, Journal Officiel, 26 juillet 1885, p.1627.↩