Héraldique de la province d'Artois

Héraldique de l’Artois Blason : d'azur semé de fleurs de lis d'or, au lambel de gueules de trois pendants chargés chacun de trois châteaux d'or

Cette série sur l’héraldique des provinces de France est la synthèse réalisée par Viveleroy à partir des deux ouvrages Blasons des anciennes provinces de France de Jacques Meurgey et Les armoiries des provinces françaises de Meurgey et Robert Louis. Le blason de chaque province a été réalisé par Robert Louis qui fut dessinateur symboliste des Services officiels, Conseiller technique de la Société française d’Héraldique et de Sigillographie. Les textes sont inspirés de ceux de Jacques Meurgey de Tupigny1, immense héraldiste, Conservateur aux Archives nationales, Président de la Société française d’Héraldique et de Sigillographie ; tout en étant enrichis des recherches récentes. [VLR]

Géographie de l’Artois

Carte des provinces françaises

Ancien comté, l’Artois a pour capitale Arras et pour villes principales Boulogne-sur-Mer, Calais, Bapaume, Béthune, Lens, Montreuil et Saint-Omer. Il est limité au nord et à l’est par la Flandre, au sud par la Picardie, à l’ouest par la Manche 2.
Il comprend les pays suivants : le Ternois et le Goel.

Histoire de l’Artois

Cette province de l’Ancienne France trouve son origine dans le Pagus Atrebatensis, territoire dominé par les celtes Atrébates.

Des origines historiques aux Grandes invasions

À partir d’Auguste, ce pagus appartient à la province romaine de la Gaule Belgique jusqu’à sa conquête par les Francs au Ve siècle.
En 863, devenu comté, l’Artois passe à la Maison de Flandre sous forme de dot de la princesse Judith, fille de Charles le Chauve, lors de son mariage avec Baudouin Bras de Fer.
En 1180, cette province — alors partie de la Flandre occidentale — est apportée à la France par le mariage d’Isabelle de Hainaut avec le roi Philippe Auguste.

L’Artois sous les Capétiens 

Les Capétiens directs

En 1237, le roi Saint Louis l’érigea à nouveau en comté pour son frère puîné Robert.
En 1297, le comté d’Artois est élevé en comté-pairie3 par le roi Philippe le Bel au profit de Robert II, qui fut tué à Courtrai en 1302. Le comté est alors disputé entre son petit-fils Robert III et sa fille Mahaut. La « Cour des pairs »4 finit par trancher en faveur de la comtesse Mahaut.

Les Valois

Jeanne de Bourgogne, fille unique de Mahaut, comtesse d’Artois, épouse Philippe le Long, roi de France. Leur fille Marguerite, héritière des comtés d’Artois et de Bourgogne est mariée à louis Ier comte de Flandre. De cette union naît Louis II de Male, qui réunit encore une fois l’Artois à la Flandre et les transmis tous deux à la seconde maison des ducs de Bourgogne, par le mariage de sa fille avec Philippe le Hardi, père de Jean sans Peur.

À la mort du dernier duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, l’Artois passe dans la Maison d’Autriche par le mariage de la princesse Marie avec Maximilien en 1477. Louis XI s’en empare la même année, mais Charles VIII le rend par le traité de Senlis, en 1493.

La province artésienne sous les Bourbons

Reconquis dès 1640 par Louis XIII, l’Artois est définitivement réuni à la couronne par le traité de Nimègues en 1678, sous le règne de Louis XIV.
Le prince Charles de France, frère cadet de Louis XVI, porte le titre de comte d’Artois et forme la seconde maison capétienne d’Artois, jusqu’à son avènement au trône sous le nom de Charles X en 18245.

Le blason de l’Artois : une réception des armes matrilinéaires

Lorsque l’Artois devient un comté, au IXe siècle, l’héraldique n’existe pas encore. Puis il devient une partie de la Flandre occidentale ou du Domaine royal français. Ainsi lorsque le comté d’Artois est relevé et attribué en apanage à Robert de France, celui-ci attache ses armoiries personnelles à sa Maison6 et à son nouveau domaine.

Les armes d’un prince capétien puîné

L’écu du prince Robert arbore un champ d’azur semé de fleurs de lis d’or7, qui montre sa qualité de Fils de France ; mais sa position de fils puîné l’oblige à briser son écu8. Ainsi Robert brise ses armes avec un lambel de gueules. Or cette brisure9 est déjà prise par son oncle, le prince capétien Philippe Hurepel, fils du roi Philippe Auguste, ce qui oblige le prince Robert à surbriser10 son blason.

Une référence au lignage maternel

Vitraux de la Sainte chapelle du Palais aux armes de Castille.

Ce prince choisit de charger son lambel de neuf châteaux d’or. On dit que les châteaux indiquaient les neuf grandes et anciennes châtellenies de la province. La vérité semble plus simple : ces châteaux d’or sont ceux des armes de Castille. Le prince Robert décide d’intégrer le blason de sa mère, la Reine magnifique11 dans ses armoiries. Le lambel de gueules du nouveau comte d’Artois ayant trois pendants, l’usage est de positionner le meuble12 choisi pour surbriser, sur ces pendants. Ainsi le nombre de châteaux d’or devait être un multiple de trois mais sans excéder neuf car au delà les « Castilles »13 auraient été trop petites pour être lisibles sur un bouclier ou une bannière (conditions de forme).

Le symbole d’une correspondance territoriale et héraldique

À ce stade on peut émettre deux hypothèses :
– Soit le prince Robert choisit d’arborer neuf castels, car c’est à la fois un multiple de trois et que ce nombre correspond aussi aux neuf principales châtellenies d’Artois (en ce cas intéressant, le prince aurait choisi de coller au terroir artésien en liant symboliquement son héraldique personnelle avec la géographie de son fief).
– Soit le choix du nombre de châteaux est le fruit du hasard dans la limite des conditions formelles. En ce cas l’explication reliant les neuf châteaux d’or du prince Robert aux neuf grandes châtellenies d’Artois est postérieure à la création des armoiries de ce prince.

Nous pensons que la première hypothèse est la plus vraisemblable, car en héraldique le principe de simplicité s’applique14.
En bonne logique le prince aurait dû placer un seul château par pendant. Premièrement le résultat obtenu aurait été plus visible ; deuxièmement cela aurait rappelé plus directement le blason de sa mère, qui arbore un seul château15. Donc si le prince multiplia les châteaux, ce devait être dans un but précis.
Nous proposons ici l’hypothèse selon laquelle le prince choisit d’imprimer à ses armes le caractère de son fief. Or géographiquement, dans un plat pays tel que l’Artois, aux limites physiques floues, ce sont les neuf grandes et anciennes châtellenies16 qui définissent la structure de ce comté.

Conclusion

Le prince Robert donna ses armoiries à l’Artois. Celles-ci s’inscrivent dans la tradition héraldique capétienne. De plus ,comme les autres fils cadet du roi Louis VIII le Lion, Alphonse et Charles de France, Robert choisit des brisures reprenant les châteaux d’or sur champ de gueules de leur mère. Cela s’explique à la fois par l’attachement filial de ces princes envers la personnalité exceptionnelle de leur mère ; mais c’est aussi l’illustration d’une tendance plus large de réception des armes matrilinéaires au sein du lignage paternel17.

Blason d’Alphonse de Poitiers
Blason de Robert d’Artois
Blason de Charles d’Anjou

Enfin lors de la constitution de son blason, ce comte d’Artois choisit, probablement, de se référer à la géographie de son fief par le nombre de châteaux d’or correspondant aux grandes châtellenies de sa seigneurie.
Finalement on peut émettre l’hypothèse que la création des armoiries de l’Artois procède de l’influence mutuelle de son seigneur avec son fief.

  1. https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1975_num_133_2_460071
  2. Boulogne-sur-mer, Calais et Montreuil appartinrent par intermittence à L’Artois
  3. La pairie de France : La pairie est « la plus grande et suprême dignité après la royale » (Guy Coquille); son origine est incertaine. Elle est composée de grands officiers de la Couronne de France. Ils disposent de privilèges judiciaires tel que celui de participer aux jugements du Parlement ; mais aussi de privilèges d’honneur spécifiques dont le plus prestigieux est leur participation active au sacre du Roi. En six siècles, l’institution de la pairie a évolué et s’est transformée : l’on admet traditionnellement quatre âges : la pairie féodale (six pairs ecclésiastiques et six pairs laïques), dès 1297 celle des princes capétiens, en 1505 celle des pairs étrangers (au sens d’étranger au sang de France), et enfin en 1551 celle des pairs gentilhommes. On pourrait évoquer coupablement un cinquième âge sous la Restauration mais la chambre des pairs entre 1814 et 1848 n’est pas la même institution que la Pairie de France tant sur le fond que la forme. À l’origine les pairs  sont soit des ducs soit des comtes mais durant l’Ancien régime l’office de pair fut indissociablement lié au titre de duc ; en l’espèce le comté-pairie d’Artois appartient au second âge de la Pairie de France.
  4. Cour des pairs : il s’agit de la Curia régis c’est-à-dire la Cour royale française ici dans sa dimension judiciaire qui était une assemblée féodale composée de grands ecclésiastiques et laïcs qui servaient le Roi dans sa mission de justice.
  5. Seconde maison capétienne d’Artois : maison fondée par Charles-Philippe de France, comte d’Artois puis Roi de France fils de Louis, Dauphin de France et fils du roi Louis XV. Charles X a deux fils Louis-Antoine d’Artois, duc d’Angoulême puis Dauphin de France puis Roi de France de jure (Louis XIX, 1836-1844) et Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry. Seul le duc de Berry a un fils : Henri d’Artois, duc de Bordeaux — dit le comte de Chambord [titre de courtoisie]  —, Roi de France de jure (Henri V, 1844-1883) avec qui s’éteint la maison d’Artois, et plus largement la maison des Bourbons-Bourgogne.
  6. première maison capétienne d’Artois.
  7. écu dit « de France ancien ».
  8. https://viveleroy.net/rappels-sur-la-tradition-heraldique-royale-francaise/
  9. Brisure : « on entend par brisure, l’addition, la diminution ou l’altération de quelque pièce dans les armoiries d’une famille. La brisure sert à distinguer les différentes branches d’une maison, la branche aînée porte seule les armes pleines et primitives. On brise en ajoutant un lambel, une bordure, un bâton, un franc-canton, en écartelant d’un quartier d’alliance ; quelques fois on substitue un meuble à un autre et enfin souvent on change les émaux. » (L.-A. Duhoux d’Argicourt, Alphabet et figures de tous les termes du blason, Paris, 1899.)
  10. Surbriser : « action d’ajouter une seconde brisure sur les armes d’une famille par les collatéraux, en plus de celle déjà apposée par les cadets. » (L.-A. Duhoux d’Argicourt, Alphabet et figures de tous les termes du blason, Paris, 1899.)
  11. « La réputation de Blanche de Castille souffre d’une image fausse et anachronique de mère abusive, de femme redoutable, de belle-mère acariâtre ; en somme elle aurait été dure, froide, insensible. En réalité Blanche de Castille fut une beauté très courtisée en même temps qu’une épouse exemplaire et une mère parfaite, une femme impulsive et ferme, une reine attentive au peuple et passionnée de justice.  Matthieu Paris — chroniqueur dépourvu de bienveillance et qui ne ménagera pas les critiques à l’endroit de Blanche — l’a pourtant caractérisé d’un mot : la Reine magnifique. En son temps ce terme impliquait outre l’allure personnelle, le goût du beau et la générosité. » (Régine Pernoud, La Reine Blanche,  Albin Michel, p118-119.)
  12. Meuble : En héraldique, on appelle « meuble », toute figure (dessins) dite mobile, par opposition avec les « pièces » dont les positionnements sont strictement définis.
  13. Castille : en héraldique, les armes du royaume de Castille sont des armes parlantes, c’est-à-dire que ses armes comportent des figures qui expriment plus ou moins complètement le nom du possesseur : ici un castel ou château. Réciproquement une castille désigne un meuble maçonné en forme de château.
  14. Principe de simplicité : en héraldique dans un but de visibilité, la pratique a érigé ce principe selon lequel lorsque l’on crée un blason il doit être le plus simple possible, dans la limite où les armes que vous composez doivent être libres.
  15. Armes de Castille : de gueules au château d’or
  16. Le choix des neuf grandes seigneuries est fluctuant au fil du temps. L’Artois de Robert était formée des châtellenies d’Aire, d’Arras, de Bapaume, de Saint-Omer et des comtés de Hesdin et de Lens (possédés en toute propriété) et d’autre part des comtés de Boulogne, de Guines, de Saint-Pol (avec les seigneuries de Béthune et de Lilliers), tenus en fief.
  17. https://journals.openedition.org/droitcultures/2849
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