De l’Ancien Testament jusqu’à l’Antigone du Païen grec Sophocle, inhumer les morts constitue un devoir, une prescription divine. En effet, de même que l’âme, le corps est une partie de notre humanité, aussi les civilisations les plus primitives marquent-elles du respect envers les dépouilles des défunts. Pour le révolutionnaire matérialiste, l’homme n’est que matière : que pourrait-il donc l’empêcher de destiner des parties de corps humain à des fins utilitaires, voire marchandes ? D’autant que ceux dont on utilise ainsi les cadavres, ces rebelles, ces « monstres » qui résistent à la Révolution émancipatrice, sont-ils seulement dignes d’être encore appelés « hommes » ? Aussi, pendant la Terreur — continuité logique des exactions du 14 juillet 1789 —, nie-t-on l’humanité des défenseurs de la civilisation traditionnelle, jusque dans leur propre corps, car on tanne la peau humaine sous la Révolution Française. [La Rédaction]
Table des matières
Des révolutionnaires témoignent
Le conventionnel Harmand de la Meuse (1751-1816)
Jean-Baptiste Harmand de la Meuse, ancien député et ex-préfet du département du Bas-Rhin — relate :
Une demoiselle jeune, grande et bien faite, s’était refusée aux recherches de St.-Just : il la fit conduire à l’échafaud. Après l’exécution, il voulut qu’on lui représentât le cadavre, et que la peau fût levée. Quand ces odieux outrages furent commis, il la fit préparer par un chamoiseur et la porta en culotte. Je tiens ce fait révoltant de celui même qui a été chargé de tous les préparatifs et qui a satisfait le monstre ; il me l’a raconté, avec des détails accessoires que je ne peux pas répéter, dans mon cabinet au comité de sûreté générale, en présence de deux autres personnes qui vivent encore.
Il y a plus : c’est que d’après ce fait, d’autres monstres, à l’exemple de St.-Just, s’occupèrent des moyens d’utiliser la peau des morts, et de la mettre dans le commerce. Ce dernier fait est encore constant. Il ne l’est pas moins que, il y a environ trois ans, on mit aussi dans le commerce de l’huile tirée des cadavres humains : on la vendait pour la lampe des émailleurs. Quant au fait relatif à St.-Just, on m’a raconté, depuis, qu’un homme bien connu, ayant perdu une dame à laquelle il était très-attaché, avait employé le même moyen pour conserver un reste ou un souvenir matériel de l’objet de ses affections1.
Le républicain Louis-Marie Prudhomme (1753-1830)
Le très méticuleux journaliste et enquêteur républicain Louis-Marie Prudhomme rapporte dans son Histoire impartiale des Révolutions que lors de la Fête de l’Être Suprême célébrée le 8 juin 1794 :
À midi précis, une salve d’artillerie annonça les sept cents membres de la Convention, qui arrivèrent sur l’amphithéâtre par la principale croisée du palais. Tous étaient en habits bleu-de-roi, avec des culottes de peau de daim ; mais plusieurs en avaient de peaux d’homme, conformes à celles qui furent envoyées à Barrère par un général de la Vendée2.
L’ancien général républicain Danican (1764-1848)
Dans Les brigands démasqués Louis Michel Auguste Thévenet, dit Danican, — ancien général commandant les troupes républicaines pendant les guerres de Vendée de 1792 à 1794 — écrit aussi :
Par exemple, quel est le peuple de l’Europe qui ne prend pas pour une fable, l’établissement de la tannerie de peau humaine à Meudon ? On se souvient cependant qu’un, homme vint à la barre de la convention, annoncer un procédé simple et nouveau pour procurer du cuir en abondance ; que le comité de salut public (de Carnot) lui accorda l’emplacement du château de Meudon, dont les portes furent soigneusement fermées ; et qu’enfin Barrère, Vadier et autres, furent les premiers qui portèrent des bottes faites de cuir humain.
Ce n’était pas au figuré que Robespierre écorchait son peuple ; et comme Paris fournissait des souliers aux armées, il a pu arriver à plus d’un défenseur de la patrie, d’être chaussé avec la peau de ses parents et amis. Voilà qui paraîtra encore plaisant et incroyable à certains scélérats, et surtout aux propagandistes.
Convention nationale, il y a eu à Meudon une tannerie de peau humaine, et c’est à ton existence qu’on doit une conception aussi monstrueuse ! 3
Le citoyen Dusaulchoy de Bergemont (1760-1835)
Le dramaturge et journaliste républicain Joseph-François-Nicolas Dusaulchoy de Bergemont (1760-1835) — qui a été l’ami du conventionnel Camille Desmoulins et son collaborateur —, reprendra à son compte ce dernier texte qu’il publiera en 1818 sous le titre « Tannerie de peau humaine » dans son livre Mosaïque historique, littéraire et politique, ou glanage instructif et divertissant d’anecdotes inédites ou très peu connues, de recherches bibliographiques, de traits curieux, de bons mots et de médisances.
De l’obsession bourgeoise de rentabiliser le matériau humain
M. Roland, ministre girondin de l’Intérieur sous la Convention
Pour connaître un peu mieux l’esprit qui animait les hommes de la Convention, nous solliciterons le livre Histoire des Girondins du journaliste et député bonapartiste Adolphe Granier de Cassagnac (1852-1880). Dans cet ouvrage on trouve un long portrait bien sourcé du fameux M. Roland4 (1734-1793) ministre girondin de l’Intérieur sous la Convention. En voici un extrait :
Roland était, pour le talent comme pour le caractère, fort au dessous de sa femme, et tous deux résumaient au plus haut degré l’orgueil, le faux savoir et l’ambition immense de ces philosophes de rebut, de ces révolutionnaires écrivassiers et bavards, qui formèrent le parti de la Gironde. La prétention de Roland était de diriger et d’éclairer ce qu’il appelait les arts utiles, comme si un art inutile était un art. Il avait énormément écrit sur l’art du fabricant d’étoffes de laine, sur l’art du fabricant de velours, sur l’art du tourbier ; et tous ces écrits avaient servi l’industrie, à peu près autant que les livres si célèbres de Raynal avaient servi le commerce. Roland était industriel comme Voltaire avait été chimiste.[…]5
L’obsession utilitariste de M. Roland avant la Révolution
Granier de Cassagnac continue :
Deux idées, que Roland essaya de faire prévaloir à Lyon et à Villefranche, feront connaître cet esprit, qui devait gouverner la France6
Et l’auteur de citer l’abbé Guillon, membre de l’Académie de Lyon avec M. Roland :
En 1787, dit l’abbé Guillon7, à la suite d’une séance de l’Académie de Lyon, dont il était membre, Roland me dit, avec une sorte de vanité, qu’il y avait lu un mémoire sur l’utilité dont pouvaient être les corps des humains que la mort frappait chaque jour. Par là, il prétendait terminer une longue discussion qui existait à Lyon, sur l’édit par lequel étaient défendues les inhumations dans les villes, et à plus forte raison dans les églises. Les curés résistaient, et l’administration ne savait où placer les cimetières hors des murs. M. Roland proposa de faire profiter aux vivants ces corps morts, dont il croyait qu’on était embarrassé ; il voulait qu’on en fit de l’huile, avec le procédé usité à Paris pour les débris des animaux. Le mémoire avait été mal accueilli par les académiciens, et moi-même, cherchant à croire que l’auteur ne m’en parlait pas sérieusement, je ris de son projet. Il s’en offensa… Comme je lui représentais qu’avec sa manie de rendre tout utile, il ne savait pourtant que faire de nos ossements, sa répartie brusque fut qu’on en retirerait de l’acide phosphorique. Madame Roland, qui était présente, avait l’air d’approuver son mari ; mais l’instant d’après, en son absence, elle rit avec moi de la bizarrerie du projet8.
Conclusion de Cassagnac sur les disciples girondins des encyclopédistes
Et le journaliste conclue :
C’étaient là, pour les philosophes du parti de la Gironde, des idées familières, dont ils étaient très-fiers, et par où ils se considéraient comme très-supérieurs au reste des faibles humains. Roland voulait qu’on fit cuire les hommes morts, Brissot voulait qu’on les mangeât, afin de rester dans la stricte observation de la nature. On ne saurait assurément chercher ailleurs que dans les abominables systèmes de ces philosophes sans entrailles, sans cœur et sans Dieu, la dépravation horrible du peuple de Paris pendant la révolution. Ceux qui rôtirent des Suisses le 10 août, ceux qui mangèrent de la chair humaine crue le 2 septembre, étaient des encyclopédistes de troisième main, et des élèves de Roland et de Brissot9.
« On tanne à Meudon »
Le témoignage de la marquise de de Créquy (1714-1803)
L’écrivain et chroniqueuse Renée-Caroline-Victoire de Froullay de Tessé, marquise de Créquy, rapporte dans ses très documentés Souvenirs :
Mais, par ma foi
– lorsque j’appris que la commission militaire de Nantes avait fait fusiller des enfants de sept ans [la chroniqueuse joint ici en note infrapaginale le Rapport de Carrier10 du 21 février 1794] ;
– lorsque je vis dans le compte rendu de la séance des jacobins qu’on venait d’y faire la proposition de faire guillotiner tous les individus français, royalistes ou terroristes, hommes ou femmes et riches ou pauvres, aussitôt qu’ils auraient atteint leur soixantième année ;
– lorsque j’y trouvai la proposition de saler ou mariner les chairs des suppliciés qui seraient reconnues saines et de qualité potable, afin que les aristocrates pussent devenir utiles à quelque chose, et du moins après leur mort ;
– enfin lorsque je vis donner publiquement un encouragement pécuniaire à l’industrie du citoyen Pélaprat, qui faisait tanner des peaux humaines,
– Voici, disais-je à l’abbé Texier, des imaginations follement républicaines et des monstruosités qui me font espérer la fin de nos souffrances11.
La femme de lettre restitue alors un extrait du Rapport de la commission des moyens extraordinaires pour la défense du pays du 14 août 1795 :
Ce que nous pouvons qualifier d’inappréciable dans la pénurie des circonstances et les embarras du moment, c’est aussi la découverte d’une méthode pour tanner, en peu de jours, les cuirs qui exigeaient autrefois plusieurs années de préparation.
On tanne à Meudon, la peau humaine, et il en sort de cet atelier qui ne laisse rien à désirer pour la qualité ni la préparation. Il est assez connu que le citoyen Philippe Égalité porte une culotte de la même espèce et de la même fabrique, où les meilleurs cadavres de suppliciés fournissent la matière première.
– La peau qui provient des hommes est d’une consistance et d’un degré de bonté supérieures à celle des chamois.
– Celle des sujets féminins est plus souple, mais elle présente moins de solidité, à raison de la mollesse de son tissu12.
(Rapport de la commission des moyens extraordinaires pour la défense du pays, 14 août 1795.)
L’historien Guillaume Rocques de Montgaillard (1772-1825) revient sur la Commission des moyens extraordinaires
Dans son Histoire de France depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu’à l’année 1825 l’historien Guillaume-Honoré Rocques de Montgaillard précise le contexte. Dans la guerre totale que la Convention a déclarée à l’Europe…
Des savants attachés au comité de salut public sont, depuis plusieurs mois (V. 3 novembre 1793), occupés à créer des moyens extraordinaires pour la défense du territoire. Il faut à la France du fer, de l’acier, du salpêtre, de la poudre et des armes. Voici les résultats produits à ce jour, par ce grand mouvement qu’ont imprimé les sciences. On les a vues, jusqu’ici, ne fleurir que sous des gouvernements tranquilles, et périr dans les dissensions civiles. Le despotisme révolutionnaire leur donne maintenant une influence politique ; il s’en sert pour inspirer de la confiance au peuple, pour préparer des victoires et gagner des batailles13.
Puis l’abbé de Montgaillard cite un long rapport qui rend compte de l’immense effort de guerre porté par la Convention ; rapport dont nous ne reproduirons que l’extrait qui nous intéresse mais qu’on pourra lire en entier dans la copie PDF du livre ci-contre.
Douze millions de salpêtre extraits du sol de la France, dans l’espace de neuf mois.
Quinze fonderies en activité pour la fabrication de bouches à feu de bronze[…]
Un établissement secret formé à Meudon pour cet objet ; on y fait des expériences sur la poudre de muriate de potasse, sur les boulets incendiaires, les boulets creux, les boulets à bague. Plusieurs recherches pour remplacer et reproduire les matières premières que les besoins de la guerre dévorent ; pour multiplier le salin et la potasse que la fabrication de la poudre enlève aux manufactures.
Et enfin, ce qui est inappréciable dans ces circonstances, la découverte d’une méthode pour tanner*, en peu de jours, les cuirs qui exigeaient ordinairement plusieurs années de préparation.
* On tannait, à Meudon, la peau humaine, et il est sorti de cet affreux atelier des peaux parfaitement préparées ; le duc d’Orléans, Égalité, avait un pantalon de peau humaine. Les bons et beaux cadavres de suppliciés étaient écorchés, et leur peau tannée avec un soin particulier. La peau des hommes avait une consistance et un degré de bonté supérieurs à la peau des chamois ; celle des femmes présentait moins de solidité, à raison de la mollesse du tissu13.
On reconnaît dans ces derniers passages quasiment les mêmes expressions que celles du Rapport de la commission des moyens extraordinaires pour la défense du pays cité par la marquise de Créquy.
On tanne la peau humaine aux Ponts-de-Cé près d’Angers
Novembre 1794, Claude Humeau, juge de paix des Ponts libres témoigne
Dans son Essai sur la Terreur en Anjou datant de 1870, le juge et historien Camille Boursier, président à la Cour impériale d’Angers, livre les déclarations du juge qui était en poste aux Ponts-de-Cé au moment de ces horreurs.
Le 16 brumaire an III, Claude Humeau, juge de paix des Ponts libres, déclare :
« Lors de l’approche du siège d’Angers, la commission militaire se rendit aux Ponts libres, suivie d’environ 3000 prisonniers des deux sexes… Le lendemain, ils jugèrent à mort 9 hommes ; 50 ou 60 enfants furent mis en liberté… 60 déserteurs furent fusillés, au point du jour, aux Roches-d’Érigné ; dans cette même nuit, ils choisirent 120 habitants de différentes communes, qui furent fusillés à huit heures du matin… Au premier coup de canon, vers 10 heures, la commission partie à Doué avec les prisonniers*.
Après le siège d’Angers et la déroute du Mans, M*** et G*** amenèrent des prisonniers d’Angers, firent fusiller 250 de tout âge au bois planté, commune de Saint-Maurice : ce fut là, en premier, que le comité fit fusiller. Sur les représentations du général Moulins, ils décidèrent de fusiller le reste sur le bord de la Loire, entre les Ponts libres et Saint-James ;
– qu’en différentes fois ils en firent fusiller 1250 ;
– que G*** et M*** assistaient à ces fusillades, et
– qu’ils en égorgèrent à coups de sabre et de baïonnette, et les jetaient dans la Loire ;
– qu’il y en avait qui n’étaient pas encore morts…
– que ce spectacle était déchirant…Le chirurgien-major du 4e bataillon fait écorcher 32 : il voulut contraindre Lemonnier, chamoiseur aux Ponts libres, de les tanner ; que ces peaux furent transportées chez un nommé Langlois, tanneurs, où un soldat les a travaillées ; qu’il croit que ces peaux sont chez Prud’hommes, manchonnier à Angers, porte Chapelière. »
* Ce général exécutait fidèlement les ordres cruels qui lui étaient transmis. Il avait reçu du général Tureau un ordre ainsi conçu :
« Le général Moulins se portera avec la colonne gauche sur Mortagne, fera désarmer et égorger, sans distinction d’âge et de sexe, tout ce qui se trouvera sur son passage. »
(Séance de la Convention du 8 vendémiaire an II.) 14
Le sieur Poitevin, agent national de la commune des Ponts-de-Cé témoigne
En 1852, l’historien Godard-Faultrier reporte dans son livre Le champ des martyrs le…
témoignage du sieur Poitevin, agent national de la commune des Ponts-de-Cé, dans sa déposition en date du 19 brumaire de l’an III (9 novembre 1794).
Cette déposition qui, comme toutes celles que nous citons, est au greffe de la Cour impériale, nous révèle des choses bien autrement tristes ; elle nous apprend, ce serait ne pas y croire si d’autres témoins n’attestaient le même fait ; elle nous apprend, dis-je, qu’une trentaine de ces malheureux furent écorchés par les ordres d’un nommé Péquel, officier de santé, qui força un sieur L*** de tanner leur peau pour en faire des pantalons. Et l’on a vu des généraux, Beysser et Moulin jeune entr’autres, ne pas craindre de se vêtir de pareilles dépouilles15.
Et l’historien de retranscrire le témoignage du Sieur Poitevin. On lit :
que la veille du siège d’Angers la Commission militaire s’est transportée aux Ponts libres (Ponts-de-Cé), elle a jugé neuf personnes, huit à mort, qui ont été guillotinées. La commission, continue-t-il, instruite que les brigands assiégeaient Angers, pris la route de Doué et emmena les prisonniers (les suspects) avec elle ; en chemin, il y eut une fusillade… X était le conducteur de cette chaîne.
Environ quinze jours ou trois semaines après la déroute du Mans (c’est-à-dire vers la fin de décembre, la déroute ayant eu lieu le 13), il vint, dit-il, plusieurs chaînes de brigands qui s’étaient rendus… Ils ont été fusillés sur la prairie de Sainte-Gemmes.
Ces fusillades eurent lieu pendant environ huit jours de suite, et il en fut fusillé environ quinze cents.
Moulin (qu’il ne faut pas confondre avec le précédent), lors général aux Ponts libres, était requis pour commander ces opérations à la troupe ; il est venu s’en plaindre au Comité révolutionnaire d’Angers, en lui disant que sa troupe répugnait.
Dans le nombre des victimes, il y en a eu une trentaine que le nommé Pequel, officier de santé, a fait écorcher ; il écorchait lui-même sur le bord de la Loire ; il a envoyé des peaux chez des tanneurs des Ponts libres, qui refusèrent de les travailler ; un seul, nommé L***, menacé, a laisser travailler ces peaux chez lui, par des soldats… Elles ont été envoyées à Angers16…
Godard-Faultrier livre ensuite un autre témoignage de partisans de la Convention épouvantés par ces exactions.
« L’adresse de la société populaire de cette ville à la Convention atteste le même fait en ces termes : »
ces cannibales avaient poussé la barbarie jusqu’à choisir parmi ces malheureux, une trentaine des mieux constitués, qui furent écorchés et dont les peaux ont été tannées… Des hommes qui se disaient patriotes se parer de cet horrible vêtement16.
Godard-Faultrier recueille la déposition d’un dénommé Robin, témoin oculaire
Dans un premier temps l’historien explique sa motivation :
Non content de cette attestation si précise, je crus devoir me transporter sur les lieux, le 31 mai 1852, et j’appris ce qui suit d’un sieur Robin, témoin des fusillades.
Puis commence le témoignage de Robin :
J’avais l’âge de 13 à 14 ans, nous dit-il, quand eurent lieux des exécutions ; j’étais berger dans la prairie même où elles se faisaient, et je me rappelle très bien que ces malheureux, forcés de se mettre à genoux le visage du côté de la Loire, étaient fusillés par derrière. Ensuite on les jetait à l’eau […]
Et au sujet des peaux s’ensuit une conversation :
sur la demande que je lui adressai, s’il avait connaissance des trente victimes auxquelles la peau fut enlevée pour être tannée, il me répondit que le fait n’était que trop certain, et qu’il avait de ses yeux vu plusieurs cadavres en cet état, gisants au bord de l’eau sur la grève…
— Mais le moyen de croire à de pareilles horreurs ? lui répliquai-je.
— Je n’en impose point, reprit-il, et même je puis vous affirmer qu’il étaient écorchés à mi-corps, parce que, continua-t-il, on coupait la peau au-dessous de la ceinture, puis le long de chacune des cuisses jusqu’à la cheville des pieds, de manière qu’après son enlèvement le pantalon se trouvait en partie formé ; il ne restait plus qu’à tanner et à coudre17.
Sur l’huile tirée de cadavres humains à Clisson
Nous avons vu que la circulation d’huile tirée de cadavres humains était évoquée par le conventionnel Harmand de la Meuse :
[…] il y a environ trois ans, on mit aussi dans le commerce de l’huile tirée des cadavres humains : on la vendait pour la lampe des émailleurs18.
Ce fait semble être corroboré par les Mémoires de la comtesse de La Bouëre qui fut l’épouse d’un chef vendéen. En 1829, pour préserver le souvenir de cette guerre atroce, la comtesse enquête en recueillant auprès des gens du pays, des renseignements sur le passage des Vendéens pendant la Virée de Galerne. Près de La-Flèche, elle repère un témoin potentiel, un homme âgé à l’air martial qui flâne. À ses questions, il répond :
— Vous ne pouviez mieux vous adresser, Madame, répond-il. J’ai servi sous les généraux Kléber, Beysser, Canclaux, Duquesnoy, Turreau, Cordellier, etc. […]
— Je n’épargnais personne dans la Vendée, ajouta-t-il, cela m’était commandé. […]
— je recommencerais encore si cela revenait : il nous était défendu d’user de la poudre. Aussi, nous ne nous donnions pas la peine de les fusiller. Ah ! je bûchais bien ! Aussi, on m’appelait le boucher de la Vendée. […]
Il se vanta « d’avoir écorché des brigands pour en faire tanner la peau à Nantes… »
Pendant ce colloque, un homme de moyenne taille, d’environ trente ans, qui avait l’air d’un ouvrier maçon ou de quelque autre métier, s’approcha de nous pour l’écouter, comme étant de sa connaissance. Le vieux soldat l’interpella ; après avoir dit qu’il avait apporté et vendu douze de ces pantalons en peau humaine à la Flèche, pour lui nommer deux individus de sa connaissance qui en avaient acheté : l’un était mort, et l’autre encore vivant s’en était vêtu le jour de Pâques. […]
— Malheureux ! lui dis-je, vous n’éprouvez donc pas de regrets, de remords ? Après avoir sacrifié tant de victimes, elles ne se dressent pas devant vous dans votre sommeil, dans vos songes ? Vous devez pourtant ressentir des regrets de tant de sang répandu, de tant de crimes. Il me semble que, lorsque vous êtes seul, vous devez d’avance éprouver les tourments de l’enfer ?
— Je n’y songe pas, me répliqua-t-il, puis il s’éloigna un peu.
Pendant ce temps-là, l’homme qui était venu se joindre à cette conversation, ou du moins l’écouter, car il n’avait rien dit jusqu’à ce moment que des oui ou des non (j’ai su peu après que c’était lui qui louait une chambre au soldat de l’armée infernale ; voilà pourquoi sa présence ne l’avait point dérangé), quand, dis-je, le soldat fut assez loin de nous pour ne pas entendre, cet artisan me dit :
— Oh ! madame, il parle trop de tout cela pour qu’il n’en soit pas occupé sans cesse ; il raconte toujours ces horribles choses qui épouvantent ma femme. Oh ! madame, il ne vous a pas dit tout.
— Comment, grand Dieu ! que peut-il donc avoir fait de plus horrible ?
— Il ne vous a pas parlé des femmes qu’il faisait fondre ?
Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire, croyant ne pouvoir rien apprendre de plus pour être persuadée de l’atrocité et de la cruauté de cet homme… quand il se rapprocha de nous. Interpellé par son propriétaire d’expliquer son trafic de femmes fondues, ce cannibale, sans se faire prier, dit que « le 6 avril 1794, il avait fait fondre cent cinquante femmes » (il y a à croire que ce fanfaron de crimes les exagère) pour avoir leur graisse.
— Deux de mes camarades étaient avec moi pour cette affaire. J’en envoyai dix barils à Nantes ; c’était comme de la graisse de momie : elle servait pour les hôpitaux.
— Nous avons fait cette opération, ajouta-t-il, à Clisson, vis-à-vis du château et près de la grenouillère. […]
Il entreprit ensuite de m’expliquer comment il faisait cette horrible opération.
— Nous faisions des trous en terre, dit-il, pour placer des chaudières afin de recevoir ce qui tombait ; nous avions mis des barres de fer au dessus, et puis les femmes dessus…, puis au-dessus encore était le feu.
— Vous voulez dire au dessous ? dit l’artisan.
— Non, répondit ce tigre, cela n’aurait pas bien fait ; le feu était dessus…19
L’historien Jacques Crétineau-Joly (1803-1875) se fait aussi l’écho de cet épisode, mais à partir du registre de Carrier, du nom du député du Cantal qui fut le bourreau de Nantes et le créateur de la sinistre « Compagnie Marat ». Crétineau-Joly écrit dans son Histoire de la Vendée militaire :
À Clisson, un horrible spectacle est donné. Les soldats de la compagnie de Marat s’y rendent en partie de plaisir entre deux noyades. Ils dressent une espèce de bûcher aérien sous lequel ils placent des barils, et dans une seule nuit ils font ainsi fondre cent cinquante femmes. Ces barils, pleins de graisse humaine, sont transportés à Nantes pour être vendus, et dans le registre de Carrier on lit que « cette opération économique produisait une graisse mille fois plus agréable que le saindoux. » 20
Des objets en cuir humain
La peau tannée de l’abbé Thomas de Guebwiller en Alsace
La revue L’intermédiaire des chercheurs et curieux, relate le 30 mars 1936 dans l’article « Peau humaine tannée » :
Dans le Haut-Rhin, on a conservé le souvenir d’une histoire macabre et odieuse qui se passa à Colmar pendant la Révolution. Après l’exécution du saint abbé Thomas de Guebwiller, condamné à mort à Colmar pour émigration, le bourreau vendit au docteur Morel la peau écorchée de la victime. Le docteur la fit tanner et s’en fit confectionner une culotte qu’il portait fièrement en en racontant l’origine. L’indignation des Colmariens fut telle que les autorités durent intervenir la culotte fut saisie et ce furent le bourreau et le tanneur qui furent condamnés pour détournement21.
Des objets qui circulent au XIXe siècle
En 1841, dans son encyclopédie sur le travail des peaux, M. Julia de Fontenelle signale à propos de la peau humaine :
L’on peut passer des peaux humaines en mégie ; les corroyer, et même leur donner la souplesse du chamois. Nous en avons vu de ce genre au Muséum de Versailles, et nous avons connu un officier d’artillerie ayant une culotte faite avec une peau de femme. En général, cependant, on fait très peu de telles opérations. […]
Depuis quelques temps, on s’est attaché à tanner des peaux humaines, on a pu voir au Musée de Versailles, la peau d’un homme entière, tannée et exposée à la curiosité du public […]
Je possède la peau de la partie supérieure de la tête d’un soldat, laquelle a figuré à l’exposition de 1827, comme perruque chez les frères Normandin22.
Un exemplaire de la Constitution de 1791
S’il doute de l’existence d’une tannerie à Meudon, le juge d’instruction parisien Adolphe Guillot signale en 1887 dans son livre Paris qui souffre l’existence d’un exemplaire de la Constitution de 1791 relié en cuir humain et conservé à la bibliothèque Carnavalet :
Le mari de Mme Roland avait envoyé à l’Académie de Lyon un mémoire où il proposait d’utiliser les morts en faisant de l’huile et de l’acide. On ne s’étonnera donc pas que, pendant la Terreur, on ait avec la peau humaine, qu’on pouvait se procurer à très bon compte, relié des ouvrages patriotiques et notamment une édition de la Constitution de 1791. Il en existe entre autres un exemplaire à la bibliothèque Carnavalet ; un petit morceau de la reliure a été remis au docteur Robin, professeur à la faculté de médecine ; il y a constaté tous les signes constitutifs de la peau humaine23.
Une peau datant de la Révolution conservée au Muséum des Sciences Naturelles de Nantes
Des objets en peau humaine existent dans des collections privées ; mais l’on peut voir au Muséum des Sciences Naturelles de Nantes, une peau humaine tannée. Ce ne serait pas celle d’un Vendéen, mais celle d’un Bleu, tué à la défense de Nantes, en juin 1793, qui aurait légué sa peau pour en faire un tambour ! Selon sa volonté elle aurait été préparée dans une tannerie des bords de la Sèvre nantaise ; « malheureusement » son épaisseur insuffisante n’aurait pas convenu à un tel usage…
Conclusion
Le bonapartiste Granier de Cassagnac ne peut que le constater :
La Révolution avait été inaugurée par la prise de la Bastille, cette redoutable prison d’État, qui contenait, le jour où ses portes furent brisées, sept prisonniers, savoir : quatre faussaires, un homme détenu sur la demande de sa famille, un idiot et un inconnu.
Trois ans plus tard, cette même Révolution possédait quarante-huit-mille sept cent vingt-quatre prisons d’État, renfermant plus de deux cent mille détenus politiques ; sans compter les prisons supplémentaires de Paris, faites à la hâte avec d’anciens hôtels, d’anciens couvents et d’anciens collèges.
Voilà ce que la prise de la Bastille avait rapporté à la liberté24.
D’un pays prospère gouverné paisiblement par un roi de droit divin, la Révolution a fait un gigantesque camp concentrationnaire gouverné par la Terreur.
Les principes matérialistes de la Révolution française ont en effet généré bien des horreurs, mais l’utilisation de sous-produits des massacres constitue une forme achevée du sadisme terroriste. Comment est-il encore possible de se revendiquer des principes de 1789, qui ont engendré, en l’espace de trois années seulement, de telles barbaries ? Est-ce anodin si tous les tyrans des régimes totalitaires, tous les massacreurs des peuples de l’histoire contemporaine — Lénine, Trotsky, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot … — se réclament de la Révolution française, et se posent en continuateurs de Robespierre, l’architecte du populicide de la France, comme l’a démontré le révolutionnaire Gracchus Babeuf ? Cette identité des fins et des moyens n’a pas échappé à l’historien et ancien communiste François Furet, qui conclut :
Le vrai est que la Terreur fait partie de l’idéologie révolutionnaire25.
- Jean-Baptiste Harmand, Anecdotes relatives à quelques personnes et à plusieurs événements remarquables de la Révolution, Madaran, Paris, 1820, p.78-79. (Nouvelle édition augmentée de douze nouvelles anecdotes, supprimées par la censure de 1814.)↩
- Prudhomme Père, Histoire impartiale des Révolutions de France depuis la mort de Louis XV, Librairie de Mademoiselle Adèle Prudhomme, t. VIII, Paris, 1824, p.320.↩
- Auguste Danican, Les brigands démasqués (ou Mémoire pour servir à l’Histoire du temps présent), Imprimerie de Baylis, Londres, 1796, p.195.↩
- M. Roland est en réalité un aristocrate nommé Jean-Marie Roland de La Platière.↩
- Adolphe Granier de Cassagnac, Histoire des Girondins et des massacres de septembre, Dentu éditeur, t. 1, Paris 1860, p.198-199.↩
- Adolphe Granier de Cassagnac, Histoire des Girondins et des massacres de septembre, Dentu éditeur, t. 1, Paris 1860, p.199-200.↩
- L’abbé Guillon, Mémoires sur le siége de Lyon, t. I, p. 58.↩
- Adolphe Granier de Cassagnac, Histoire des Girondins et des massacres de septembre, Dentu éditeur, t. 1, Paris 1860, p.200.↩
- Adolphe Granier de Cassagnac, Histoire des Girondins et des massacres de septembre, Dentu éditeur, t. 1, Paris 1860, p.201.↩
- Rapport de Carrier du 21 février 1794 : « Nous n’avons gardes d’épargner les femmes et les enfants. Les femmes engendreraient trop si on les laissait vivre, les enfants sont des louveteaux qu’il faut étouffer. Les femmes de la Loire inférieure et de la Vendée sont tous des monstres. Les enfants ont aussi trahi la république. Ceux de treize à quatorze ans portent les armes contre elle, et ceux du plus bas âge servent d’espions. Plusieurs de ces petits scélérats ont été jugés et condamnés par la commission militaire, et mis à mort. Quant-aux ci-devant prêtres, on n’en a submergé quintidi dernier quatre-vingt-deux, sans compter les autres coupables, ainsi, tu vois que le décret qu’il est condamnait à la déportation a été exécuté verticalement.» (Rapport de Carrier, 21 février 1794)↩
- Renée-Caroline-Victoire de Froullay de Tessé, Souvenir de la marquise de Créquy de 1710 à 1803 (Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée), t. VIII, Garnier-Frères, Paris, non daté, p. 171-172.↩
- Renée-Caroline-Victoire de Froullay de Tessé, Souvenir de la marquise de Créquy de 1710 à 1803 (Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée), t. VIII, Garnier-Frères, Paris, non daté, p. 172.↩
- Guillaume-Honoré Rocques de Montgaillard, Histoire de France depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu’à l’année 1825, Moutardier, t. IV, Paris, 1827, p. 288 et 290.↩↩
- Camille Bourcier, Essai sur la Terreur en Anjou, Président à la Cour Impériale d’Angers, Deuxième édition, Angers, E. Barassé – Imprimeur-Libraire-Éditeur, 1870, p. 65-66.↩
- V. Godard-Faultrier, Le champ des martyrs, P. Lachèze, Belleuvre et Dolbeau, Angers, 3e édition, p.122.↩
- V. Godard-Faultrier, Le champ des martyrs, P. Lachèze, Belleuvre et Dolbeau, Angers, 3e édition, p.124.↩↩
- V. Godard-Faultrier, Le champ des martyrs, P. Lachèze, Belleuvre et Dolbeau, Angers, 3e édition, p.126-127.↩
- Jean-Baptiste Harmand, Anecdotes relatives à quelques personnes et à plusieurs événements remarquables de la Révolution, Madaran, Paris, 1820, p.79. (Nouvelle édition augmentée de douze nouvelles anecdotes, supprimées par la censure de 1814.)↩
- Comtesse de la Bouëre, Souvenirs de la comtesse de la Bouëre, la guerre de Vendée,1793-1796 : mémoires inédits, Plon, Paris, 1890, p.307-313.↩
- Jacques Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, Charles Gosselin, Paris, 1863, t.II, p. 67.↩
- L’intermédiaire des chercheurs et curieux, F. Schaedelin, 30 mars 1936, « Peau humaine tannée », T. G., 884 ; T. G. D., 1098 ; T. G. D. : 2 : 355 ; XCVIII, 67,499, 746, 931.↩
- M. Julia de Fontenelle, Nouveau manuel complet du chamoiseur, pelletier-fourreur, maroquinier, mégissier, Librairie encyclopédique de Roret, paris, 1841, p.101-102.↩
- Adolphe Guillot, La basse geôle du Grand-Chatelet et les morgues modernes, Éditeur P. Rouquette, Paris, 1887, p.61. ↩
- Granier de Cassagnac, Le Constitutionnel, samedi 26 avril 1851, « Histoire du Directoire », p. 2.↩
- François Furet, Penser la Révolution française, Foliohistoire, Paris, 1978, p. 105.↩