La notion de légitimité politique est centrale mais complexe. Au-delà de la simple légalité, la légitimité fonde l’obéissance des gouvernés et protège contre l’arbitraire, conférant ainsi au pouvoir une autorité reconnue en conscience. La légitimité véritable ne saurait être justifiée — comme feignent de le croire certains modernes — par la seule force ou la tradition. Pour être effective, elle doit s’ancrer dans la transcendance de la loi naturelle et du droit naturel voulus par le Créateur. La doctrine chrétienne souligne que la légalité n’est qu’un signe de légitimité, laquelle s’apprécie selon le bien commun et l’ordre naturel, et non selon la simple conformité à la loi humaine. Enfin, l’Église invite à la responsabilité dans l’obéissance, tout en admettant le droit de résistance face à un pouvoir devenu tyrannique. [La Rédaction]
Table des matières
Introduction de VLR
Texte de Guy Augé publié dans la revue La Légitimité, n° 59 — La tyrannie du Progrès — 2009, Actes du Colloque Universitaire du 16 mai 2009, p. 135-160.
Le texte paru sur la revue a été mis en forme par Guillaume Bernard.
Le texte paru sur le site viveleroy.net a été mis en forme par nos soins pour faciliter la lecture en ligne.
Introduction
La notion de légitimité politique1, ou de légitimité du pouvoir, pour reprendre un terme devenu classique après les travaux de Georges Burdeau, Alfred Pose, Bertrand de Jouvenel, et de Guglielmo Ferrero, est tout à la fois importante, très complexe et quelque peu déconcertante.
L’importance de la notion ne fait pas de doute2 : l’histoire passée en témoigne autant que le feraient des événements plus contemporains s’il le fallait ; les hommes ont pu passionnément discuter du contenu de la légitimité, ils ont rarement mis en doute son intérêt3. Pour les gouvernants, cet intérêt est évident, puisque c’est la possession de la légitimité qui fonde le devoir d’obéissance des gouvernés ; c’est elle qui fait qu’un ordre n’est plus seulement facultatif, ne fonde plus son efficacité sur le rapport des forces entre celui qui commande et celui qui obéit, mais, comme dit la théologie chrétienne, oblige « en conscience »4. Pour les gouvernés, la légitimité n’importe pas moins : elle est une sécurité contre l’arbitraire, elle permet au chef d’user de son autorité plutôt que de ses instruments de contrainte, et le sujet y retrouve son compte. La légitimité confère au pouvoir une contrepartie modératrice de son efficacité…
… qui pose des limites, mais qui, en accroissant l’autorité, contribue aussi à l’efficacité5.
Seulement, cette légitimité, dont le sens commun a l’intuition, est une fausse idée claire : « aucune notion n’est plus imprécise » affirme Maurice Duverger6 ; placée à la charnière de toute méditation politique, elle entretient des rapports avec des notions voisines, telles que la légalité, qui n’en sont pourtant pas synonymes ; de surcroît, la légitimité peut s’entendre au plan du droit naturel ou à celui du droit positif, en sociologie ou en histoire des idées politiques, au point de vue de l’origine du pouvoir ou à celui de son exercice et de sa finalité…
Pour ajouter à la complexité, des contingences historiques diverses ont sensiblement affecté l’idée et jusqu’au mot lui-même de légitimité : la liaison, par exemple, du problème des conditions générales de légitimité du pouvoir avec celui, connexe certes, mais distinct, de l’origine du pouvoir, tient à la façon dont la question s’est posée aux penseurs du Moyen Âge7 ; l’espèce de malédiction, d’autre part, qui, chez nous, et notamment sous la IIIe République, a longtemps pesé sur le terme de « légitimité », doit sans doute beaucoup à la « contamination » du vocable par les royalistes du XIXe siècle, et à la confusion entretenue entre la légitimité et le parti légitimiste8.
Contingences historiques, disions-nous. Encore pourrait-on trouver, à la réflexion, que ces hasards ne sont pas tout à fait fortuits : des liens existent certainement entre la question de l’origine du pouvoir et celle des titres au commandement, mais il faudrait préciser exactement lesquels ; de même, n’est-il pas si surprenant qu’une attraction se soit établie entre l’idée de légitimité et celle de royaume héréditaire, car si, pratiquement, toute formule de collation du pouvoir qui se perpétue devient généralement légitime, la filiation dynastique semble ajouter à la durée de la formule un apport naturel ; et, en face de cette « légitimité monarchique », la « légalité républicaine » fournissait l’antithèse.
Quoi qu’il en soit, la notion de légitimité ne laisse pas de déconcerter quelque peu, surtout dans l’acception assez formelle que les sociologues contemporains tendent à accréditer : la simplicité des réponses faites aux plus graves interrogations de la philosophie politique ne signifierait-elle pas que l’on se satisfait de solutions superficielles9 ? Mais Ferrero parle, avec des expressions très suggestives, de ces « génies invisibles de la Cité10 », doués d’un « pouvoir magique11 » et d’une fonction « exorcisante » que sont les principes de légitimité, capables de diminuer la peur réciproque des gouvernants et des gouvernés, ce ressort obscur et profond de l’histoire12.
Nous allons essayer de préciser quelque peu les éléments du problème de la légitimité pour mieux situer la notion particulière de légitimité monarchique à laquelle doit nous attacher la suite de cette esquisse.
Les enjeux philosophiques de la légitimité politique
Le concept de légitimité est axial pour toute recherche sur le pouvoir et la politique (…). Rarement dans l’histoire, le pouvoir apparaît comme une simple puissance. Déjà Cicéron remarquait que la potentia était de l’ordre du fait, mais la potestas de l’ordre du droit ; déjà les anciens Grecs différenciaient basileus et tyrannos. La puissance se mesure par la force ; le pouvoir se manifeste par l’autorité. Pour n’être pas usurpatrice et purement factuelle, l’autorité politique doit correspondre à un droit de gouverner, être licite, fondée, finalisée. Il y a, dans le pouvoir, quelque chose qui est au-delà du pouvoir, et qui le fonde en le justifiant. L’autorité politique a un besoin de légitimité pour être ce qu’elle doit être13.
L’ordre naturel antique et le bien commun permettent de mieux cerner la notion de légitimité qui doit être distinguée non seulement de la question du régime politique, mais encore des principes contingents de légitimité.
La légitimité et l’ordre naturel des choses
Quand on parle de légitimité, on se place généralement au plan du droit naturel14. C’est là, en effet, que la notion se saisit spontanément : on perçoit d’emblée ce qui sépare un ordre ou un acte légitime d’un ordre ou d’un acte simplement légal : la légalité est conformité à la loi positive, tandis que la légitimité (qui peut d’ailleurs, et très souvent, se superposer à la légalité) ajoute quelque chose de plus, relève d’une Loi non écrite, supérieure, majusculaire, s’enracine dans la conscience, dans la nature et, finalement, en Dieu. Une action légale se conforme aux prescriptions du législateur ; une action légitime se réfère à des principes. C’est encore l’idée que le droit n’est pas une création arbitraire de l’homme qui répugne à identifier la justice au droit positif, parce que la justice est plutôt ce qui doit inspirer ce droit et ces lois, toujours subordonnés, non point créés mais découverts15.
De telles préoccupations sont antérieures au christianisme : ce sont celles d’Antigone, et, dans une certaine mesure au moins, celles de Cicéron parlant de ces…
… lois qui n’étaient autres ni à Rome ni à Athènes, ni maintenant, ni dans l’avenir16.
Sans s’être vraiment préoccupés des conditions de légitimité du pouvoir proprement dites, les Anciens ont cependant disserté sur l’origine de la société et sur l’organisation de l’État, et ils ont abordé quelques problèmes qui indiquent l’orientation de leur pensée : l’épisode de Brutus tuant Tarquin n’est-elle pas une illustration du tyrannicide légitime ?
Mais c’est au christianisme qu’il appartenait de préciser et d’approfondir la notion de droit naturel jusqu’à proposer une théorie de la légitimité politique qui a inspiré le Moyen Âge, donné naissance à diverses sollicitations, à quelques déformations patentes, à des oppositions radicales, et dont l’essentiel se retrouve jusqu’à nos jours, explicité et affiné par les encycliques des souverains pontifes modernes. Il convient d’étudier le contenu de cette doctrine chrétienne de la légitimité, d’abord à raison de son importance historique, et aussi parce qu’elle permet de clarifier, nous semble-t-il, la notion si complexe de légitimité, même pris indépendamment de toute référence confessionnelle.
Selon l’Église, le pouvoir vient de Dieu, écrit l’abbé Jacques Leclercq, « en ce sens que Dieu veut qu’il y ait un Pouvoir ; ce pouvoir n’est cependant pas conféré par Dieu à un homme plutôt qu’à un autre17 », sauf exception. La « doctrine de la presque unanimité des catholiques », note de son côté Vareilles-Sommières, « a toujours été que la souveraineté vient de Dieu, mais non pas le souverain18. » L’Église enseigne que le Créateur a voulu l’homme sociable, de telle manière que le pouvoir lui soit indispensable, mais elle ne précise pas plus avant.
La relation d’autorité est de droit naturel, confirme encore Jacques Maritain, non pas en ce sens que ceux-ci en particulier commandent à ceux-là en particulier, mais en ce sens que d’une façon générale, il faut qu’il y en ait qui commandent et qu’il y en ait qui obéissent, le mode de désignation des premiers étant une autre affaire, à régler ensuite et selon la raison19…
Par rapport aux conceptions du monde antique et païen, l’Église offre quelque chose de nouveau : l’autorité se distingue très nettement de l’homme qui en est investi, de même que la religion se distingue nettement de la Cité, du temporel. On ne doit pas chercher dans l’homme même le principe d’une autorité susceptible de s’imposer à lui ; mais cet homme trouve en naissant le fait social ; la société n’est pas artificielle, contractuelle, elle est une donnée de nature ; or, la société qui apparaît ainsi dans le plan divin, ne peut subsister que dotée d’une autorité et d’un gouvernement. Du moment que Dieu a voulu la société, c’est-à-dire la fin, il a nécessairement voulu le moyen, c’est-à-dire l’autorité. Par suite, c’est non seulement l’existence de la société qui est naturelle et légitime, mais encore le gouvernement, l’autorité, la souveraineté, en tant qu’ils sont ordonnés au bien commun des membres de cette société20.
La légitimité et le bien commun
Cependant, apparentes lacunes, la doctrine chrétienne reste indifférente à la forme du gouvernement et au mode de désignation des gouvernants : alors qu’elle définit une forme nécessaire pour la société familiale (qui est la famille monogame et indissoluble), elle ne pense pas devoir reconnaître, par analogie, une forme nécessaire et naturelle de la société politique. En la matière, le droit naturel lui paraît ouvrir le champ à la plus grande indétermination. Il n’y a pas de régime parfait, il n’y a que des valeurs légitimes qui peuvent être servies sous la plupart des régimes : ce n’est pas à dire que tous les régimes servent effectivement ces valeurs, mais s’ils ne le font pas, ce n’est pas la forme qui les en empêche absolument : les mécaniques constitutionnelles ne sont jamais que des moyens qui valent ce que valent les fins ; aucun bien, aucun mal ne leur est consubstantiel.
Il reste qu’en pratique, une telle doctrine pousse à accepter facilement la plupart des régimes, et, de fait, l’Église s’est toujours montrée assez conservatrice des institutions établies dans la mesure où elle conseille d’accepter ce qui est chaque fois que ce n’est pas trop évidemment contraire à ce qui aurait dû être. Elle prend en considération l’état de fait auquel se trouve lié, bon gré, mal gré, le sort du bien commun qui la préoccupe principalement. Sans doute le lien du bien commun avec cet état de fait n’est-il inconditionnel, ni définitif ; du moins accordera-t-on une présomption de légitimité au pouvoir établi que le temps a éprouvé.
Il s’en faudrait d’ailleurs que ce réalisme accommodant ne soit qu’un vulgaire opportunisme : l’obéissance civique ainsi réclamée envers des régimes divers et parfois indigne trouve sa justification en ce que ce n’est pas, en définitive, à un régime que va l’obéissance, mais au bien commun qu’il a pour mission de poursuivre, c’est-à-dire à Dieu en qui ce bien s’enracine. Et cela explique que la tolérance envers le gouvernement en exercice ne soit en aucun cas une tolérance à toute épreuve ; l’originalité profonde de la doctrine en est même à l’exact opposé puisqu’elle consiste à affecter des bornes à tout pouvoir, quel qu’il soit : les bornes que lui imposent sa finalité et son ordonnance au bien commun21.
La doctrine chrétienne précise avec soin les rapports de la légalité et de la légitimité : la légalité est la présomption, le signe commode, l’expression pratique de la légitimité ; l’important, néanmoins, reste la légitimité réelle, et ce n’est pas la légalité qui est la mesure de la légitimité, c’est toujours la seconde qui étaye et juge la première. Or, on l’a dit, le vrai fondement de la légitimité n’est pas le fait (encore que le fait entretienne des rapports obligés avec elle), mais la nature même de la société politique, ou encore Dieu, son auteur. Et l’on comprend alors que les silences de la doctrine tiennent à sa manière d’envisager le problème politique : s’élevant d’emblée aux sommets, aux fins ultimes, la légitimité chrétienne ne peut évidemment pas se prononcer sur tout : elle traite de l’autorité sans préjuger de ceux qui peuvent l’exercer. L’origine divine de l’autorité ne met pas en cause sa forme, ni les modalités de désignation, de contrôle et de révocation des gouvernants ; la doctrine souligne volontiers, en revanche, la responsabilité individuelle propre de ces gouvernants. La faculté qu’ils ont d’obliger en conscience ne leur vient ni d’eux-mêmes, ni de la volonté d’une majorité, mais de Dieu. Le Prince a pour vocation d’être, selon la formule paulienne, « le ministre de Dieu pour le bien » ; mais vient-il à défaillir gravement qu’il manque alors du titre à imposer cette obéissance à la conscience : il perd son droit de commander, sa légitimité, et surgit à son tour le droit de résistance, encore que très prudemment défini22, qui est tenu pour licite dans certains cas de transgression flagrante du bien commun de la part d’un gouvernement devenu « tyrannique »23.
Par conséquent, l’on trouve dans cette doctrine chrétienne du pouvoir une grande souplesse et une inspiration d’une prudence élevée qui lui interdisent de mâcher la besogne des fidèles. Ceux-ci ont une responsabilité et des initiatives à prendre, dans le cadre d’options libres.
L’Église ne donne point de certitudes au niveau où certains les lui demandent pour leur commodité. Ce n’est pas qu’elle ignore le besoin des hommes de fonder leur action politique sur des bases sûres et fermes, mais elle les invite à chercher les certitudes absolues à un niveau plus profond que la structure des institutions politiques24.
L’Église à cet égard, refuse l’utilisation abusive du dogme dans la société civile ; ayant proclamé la distinction du spirituel et du temporel, elle s’efforce elle-même, avec plus ou moins de bonheur, de ne pas s’immiscer dans ce qui ne concerne pas directement sa mission25.
La légitimité et les principes de légitimité
Ces considérations doivent nous permettre de mieux saisir le contenu de la notion de légitimité politique. Difficultés et confusions nous paraissent provenir de ce que l’on use généralement du même mot pour désigner deux notions distinctes.
Il y a d’abord la Légitimité proprement dite (affectons-là d’une majuscule par commodité d’écriture), qui est une, intangible dans son ordre. Elle suppose que l’État entretienne un rapport avec l’absolu, avec une transcendance, ce qui paraît bien être la seule manière d’éviter qu’il ne s’érige lui-même en absolu, car dès lors qu’on expulse l’absolu de son ordre, on s’expose irrésistiblement à absolutiser le relatif. Le sacré en politique est une constante, qui, assurément, subit des « déplacements », selon la remarque de Jules Monnerot26, mais qui n’est jamais véritablement expurgé. Une politique chrétienne, ou même plus généralement spiritualiste et traditionaliste, ne peut se réduire à une simple technique, elle est liée à une fonction éthique. Mais si tout cela postule la légitimité, celle-ci ne s’exprime pas par le truchement d’un régime politique idéal ; elle est tout le contraire de la canonisation d’un régime quelconque puisqu’elle tend à rappeler que toute décision n’est pas nécessairement légitime qui émane d’un souverain légitimement investi. L’accent est mis, de ce point de vue, moins sur le problème de l’attribution de la décision que sur celui de sa consistance. Une autorité pleinement légitime est une autorité qui a toujours besoin d’avoir raison pour valider ses actes, contrairement à celle dont parlait Jurieu au nom du droit populaire, ou dont, à l’opposé, rêvait le positivisme juridique de Hobbes27.
Mais il y a, ensuite, à côté de la Légitimité proprement dite, des principes de légitimité, qui, eux, sont contingents, réversibles, et relativement nombreux. La légitimité monarchique est un de ces principes ; la légitimité démocratique en est un second. Quoique la liste n’en soit pas inépuisable, au moins quant à leurs incarnations historiques, il est possible d’en rencontrer quelques autres ou de leur trouver plus ou moins combinés.
Ces principes sont les « génies invisibles » de Ferrero, et, certes, leur importance pratique est considérable, puisqu’ils permettent de susciter, quand ils sont reçus, un accord des citoyens sur l’identité du souverain ; c’est dire, dans le langage des politologues, qu’ils permettent le passage du pouvoir simplement individualisé au pouvoir institutionnalisé. Seulement, ces principes de légitimité ne sont que des moyens, que des conventions ou que des présomptions d’aptitude (et le plus souvent tout cela à la fois), et s’ils présentent une part incontestable de vérité, ils affichent une part non moins discernable d’absurdité lorsqu’ils ont perdu leur halo magique, lorsqu’ils dégénèrent de mystique en mystification, de croyance en superstition. Ce ne sont que des « valeurs d’établissement. »
Dans le cadre des idées religieuses alors dominantes, la chrétienté européenne avait pu trouver au problème politique une solution dont Ferrero a pu dire qu’elle « était presque parfaite28. » Cette solution consistait à donner un caractère sacré à tous les gouvernements légitimés par le temps et la possession d’état paisible. L’obéissance à ces gouvernements était un devoir imposé par Dieu pour autant qu’ils ne violaient pas la loi divine ; quant au reste, il ne fallait pas attacher trop d’importance aux imperfections politiques qui n’empêchaient pas les hommes de faire leur salut, c’est-à-dire l’essentiel : les abus des gouvernements nuisaient en définitive moins aux sujets qu’aux chefs justiciables de leurs errements devant Dieu. Par là se trouvaient accordés aussi harmonieusement que possible…
… le droit des chefs de bien commander, le droit des peuples d’être bien commandés et la nécessité d’une certaine tolérance pour les fautes des puissants29.
La communauté de foi chrétienne des gouvernants et des gouvernés, corrobore Jules Monnerot, …
…rendait possible la confiance chez le dirigé et la responsabilité pleine chez le dirigeant, comptable sur son salut éternel de ses actions, mais aussi du destin de ses peuples30.
Ainsi était résolue à l’amiable la contradiction que pouvait impliquer l’existence d’une souveraineté par définition absolue et, cependant, parce qu’humaine, faillible. Si le droit du souverain et celui du sujet sont toujours plus ou moins en conflit latent, leurs devoirs respectifs tendent, en revanche, à la conciliation, et nos anciens « avaient moins présente à l’esprit l’insolence des droits que la consonance des devoirs31 » : les sujets ne leur paraissaient pas si sages qu’ils n’aient besoin d’être gouvernés, ni le Prince si fou qu’il ne se croit dispensé d’être conseillés. La souveraineté n’étant qu’une plénitude de compétence dans l’ordre des choses définies par le bien commun, celui-ci ne la limitait pas à proprement parler, mais l’ordonnait. Cette mentalité devait engendrer, comme l’a bien montré Bertrand de Jouvenel dans une très belle page, la théorie de l’« heureuse impuissance32 », clef des lois fondamentales de la royauté : le Prince peut tout pour le bien commun, qui est sa fin légitime, mais il est lié pour le mal car il ne peut se détruire lui-même, ce qui justifie que son impuissance à cet égard soit dite heureuse.
Ce qui tend à ruiner la souveraineté, écrit Jouvenel, le souverain ne peut le faire. Et ce n’est pas diminution de son droit que cet empêchement au suicide. L’impuissance est heureuse parce qu’elle est dans l’intérêt même de la souveraineté33.
L’effort de la pensée politique chrétienne avait donc tendu à stabiliser les régimes établis en favorisant un accord durable des citoyens sur l’identité du souverain grâce à l’épanouissement d’un principe de légitimité : la monarchie héréditaire étant alors la forme la plus répandue, le christianisme, en stabilisant la famille monogame par le sacrement, lui avait permis d’enraciner plus facilement une continuité dynastique sans pour autant déifier les souverains comme le monde antique l’avait essayé en ultime recours34. D’autre part, et surtout, l’effort avait consisté à préciser, au nom de la Légitimité tout court, des servitudes à la souveraineté afin de conjurer dans la mesure du raisonnable le risque d’arbitraire. Ces servitudes, en dernière analyse, étaient surtout morales, mais cela comptait en des siècles de foi.
Comment ces idées-forces avaient-elles marqué les institutions de la monarchie française ?
Les enjeux historiques de la légitimité monarchique
Au cours de l’histoire, la légitimité de la monarchie française s’est renforcée par une institutionnalisation et une dépersonnalisation de la royauté. Cette dernière était inscrite dans un ordre naturel des choses contre lequel les idées révolutionnaires ont manifesté une révolte.
Le processus d’institutionnalisation de la royauté
L’histoire de la monarchie capétienne, Joseph Declareuil l’a bien montrée naguère35, offre une remarquable illustration du processus d’« institutionnalisation » d’un pouvoir politique, et les sociologues étudiant la notion de légitimité s’y réfèrent spontanément. L’incertitude des successions est le vice le plus criant du pouvoir individualisé, simple pouvoir de fait, dont la précarité est d’ailleurs soigneusement entretenue par l’ambition de ceux qui sont des rivaux en puissance. C’est pourquoi il fallut plusieurs siècles aux Capétiens pour introduire l’hérédité dynastique, en quelque sorte subrepticement, par le procédé astucieux du sacre anticipé du fils aîné du roi en exercice. Ainsi fût-ce une longue succession d’état, venant d’ailleurs corroborer une tendance générale favorable à l’hérédité dans le monde seigneurial, qui permit à la coutume constitutionnelle de faire admettre la dévolution de mâle en mâle par ordre de primogéniture.
Toutefois, le seul fait que cette hérédité se soit installée concurremment avec l’élection (même de pure forme) et le sacre, montrait qu’elle n’avait rien d’un héritage ordinaire, et inclinait à reconnaître à la magistrature royale une nature spéciale, « fonctionnelle. » Pour pallier ses faiblesses d’individu mortel, les défaillances de la force, les revers de la fortune, le roi songea à situer le siège de sa puissance dans un principe qui lui soit extérieur, et qui, en le dépassant, lui survive.
Ainsi pourrait-il se dispenser d’avoir constamment à prouver son droit au commandement, et, mieux encore, transmettre à ses successeurs une sorte d’« ascendant induit »36. Ainsi prit corps, du point de vue du pouvoir, l’idée d’une légitimité qui le purifierait de tout vice originel37, qui ferait oublier la violence initiale, ou l’usurpation, ou encore le fait pur et simple en sa mesquine nudité. Et cette idée de légitimité monarchique allait correspondre à une évolution très sensible dans la nature de la transmission du pouvoir royal : désormais le roi tiendrait son pouvoir de la loi, admettrait que le concept de couronne le dépasse.
L’on retrouve aussitôt l’ambivalence de la légitimité, car elle s’affirme à l’initiative du chef désireux d’obtenir la consécration juridique de son titre, et elle est néanmoins acceptée par la nation pour laquelle est inestimable l’avantage de trouver toujours, comme le dit Jacques-Bénigne Bossuet, …
… son souverain tout fait, et de n’avoir pas pour ainsi parler, à remonter un si grand ressort38.
Mais la légitimité présente aussi un aspect limitatif à l’égard de « l’idée de droit » dont il procède, pour reprendre le vocabulaire de Georges Burdeau39.
Rejoignant ici son étymologie, la légitimité va introduire d’elle-même à la légalité, en moulant l’action du chef légitime dans des formes, légales et constitutionnelles (au sens le plus large de ce dernier mot). Il est évident que, pour ne pas servir de devanture à une légitimité toute formelle et à un arbitraire légal, les formes constitutionnelles doivent authentifier une idée de droit respectable et respectée : toute légitimité en ce sens est inséparable d’un consensus de la masse et d’une adhésion active d’une élite ; mais le consentement prouve l’autorité légitime plus encore qu’il ne la crée, et la durée n’est que le signe extérieur de l’adhésion.
La dépersonnalisation du principe royal
Pour rendre compte de la nature de la royauté française, le terme de légitimité ne se rencontre pas dans les textes d’époque40. Parmi les historiens du droit, c’est Declareuil qui semble l’avoir le premier proposé41 en faisant observer que la légitimité conférait à la succession un caractère sui generis et aidait à mieux voir dans la royauté un office public :
La Loi seule faisait le roi et, dans l’intérêt public, l’investissait d’une magistrature immortelle dont il n’était que le titulaire viager, qui ne lui appartenait pas, écrit-il42.
Au fond, la légitimité recoupe ici la notion de royauté « statutaire » qui a fait évoluer l’hérédité jusqu’au point de ne plus voir en elle le fondement d’un droit, mais seulement un moyen naturel et commode de désigner le titulaire de ce droit. Comme l’exprime très justement Georges Péré, …
… la légitimité est issue des faits interprétés au point de vue de la continuité et de la stabilité du pouvoir43.
Il fallut, pour mener à maturation cette construction juridique, la réflexion des légistes de l’entourage de Charles V, puis le choc du traité de Troyes 1420 et la réaction intellectuelle des juristes de Charles VII. Après les efforts et les remarquables exposés de Jean de Terre-Rouge44 et de Jean Juvénal des Ursins45 qu’une lignée continue de disciples devait consciencieusement répéter, il apparut que la substance juridique du pouvoir royal était dorénavant nettement distinguée de l’hérédité de droit privé ; et ce principe de légitimité aux termes duquel la royauté était successive plutôt qu’héréditaire, était une fonction dont le roi avait l’administration, mais non la propriété, une royauté dont le prince appelé à succéder était réputé « héritier nécessaire » en ce sens qu’il ne pouvait pas se soustraire à la fonction royale ni y être soustrait par son prédécesseur, ce principe de légitimité allait devenir le pivot, le trait spécifique de la royauté en France. C’était à tel point que le jurisconsulte hollandais Grotius, décrivant ce titre d’ordre successoral monarchique, pouvait parler d’une « succession à la Française46 », et les Français n’en étaient pas peu fiers !
De la sorte s’étaient opérées, sous l’effet de deux courants convergents, l’exaltation du principe royal en même temps que sa dépersonnalisation juridique. Les juristes étaient parvenus à dégager la notion d’un pouvoir royal émancipé des lois naturelles qui bornent la finitude humaine, pour laisser deviner derrière la personne physique du prince, le profil d’un souverain légitime qui, lui, …
… en France ne mourrait pas47.
De même l’Église avait-elle distingué la fonction royale de l’homme chargé de l’exercer : celui-ci restait pécheur et soumis à toutes les faiblesses de sa condition ; mais, pour fonder le droit public sur cette faiblesse humaine, l’Église, elle aussi, appliquait sur le visage de l’individu comme un masque immobile, répétant selon une formule fameuse tirée d’un canon du huitième concile de Tolède (653) :
Ce qui fait le roi, ce n’est pas sa personne, c’est le droit48.
Pour apprécier la force de l’institutionnalisation, l’importance de la légitimité, il suffit de mesurer la distance qui sépare le roi mérovingien, propriétaire d’un royaume qu’il a conquis et dont il dispose à sa convenance49, du roi Bourbon qui ne peut ni conserver son domaine privé, ni choisir sa religion, ni renoncer au devoir de régner, et dont la famille est comme confisquée50 au profit de la souveraineté. Une fois introduite, l’idée de légitimité tend, par la seule force de sa logique interne, à dépasser l’intérêt personnel des chefs, lesquels doivent, pour continuer à bénéficier de ses avantages ou pour assumer leurs devoirs d’état, en accepter les servitudes. Ainsi), le principe de légitimité monarchique est-il ce quelque chose qui soumet et magnifie tout à la fois une famille, une dynastie.
La révolte métaphysique de la Révolution
La rupture révolutionnaire a évidemment affecté au plus haut point l’idée de légitimité. La mise à mort de Louis XVI exprimait une tentative de désacralisation presque rituelle de la royauté traditionnelle :
La violence même de cette réaction atteste le caractère religieux de ce bouleversement : dans un mouvement collectif de fureur sacrée, l’affirmation de saint Paul selon laquelle toute autorité vient de Dieu est fondamentalement remise en cause cette fois51.
Prise à son sacrilège, la Convention ne pouvait que promouvoir un renversement total, une « subversion », une « dialectisation » de l’ancienne Légitimité. Une page d’Albert Camus, dans L’homme révolté, au chapitre des « régicides » qui précède celui des « déicides », a exprimé la portée de l’acte de 1793 :
Le 21 janvier, avec le meurtre du roi-prêtre, s’achève ce qu’on a significativement appelé la passion de Louis XVI. Certes, c’est un répugnant scandale d’avoir présenté comme un grand moment de notre histoire l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. Il reste au moins que, par ses attendus, le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. (…) Ce n’est pas Capet qui meurt, mais Louis de droit divin, et, avec lui, d’une certaine manière, la chrétienté temporelle52.
Alfred Pose, de son côté parle d’une tentative de substitution du pouvoir de raison au pouvoir sacré53, et Bertrand de Jouvenel, toujours attentif aux avatars de l’État-minotaure, du nouveau Léviathan, a montré que le renversement d’optique opéré par la philosophie politique contemporaine n’avait pas agi dans le sens le moins favorable à l’arbitraire : alors que la pensée scolastique tenait que l’injuste fin d’un gouvernement pouvait devenir destructrice de sa juste cause, la pensée nouvelle s’obnubilait au contraire sur le seul aspect de la cause originelle, insinuant qu’un changement survenu dans le titulaire de la souveraineté suffirait à résoudre toutes les difficultés. Analysant cette métamorphose d’une souveraineté devenue sans limitations au nom d’une émancipation absolue, Jouvenel constate que …
… le droit du souverain, droit limité et gardien des autres droits, s’est transformé en droit illimité auteur des autres droits54.
La souveraineté populaire suffit, en théorie, à cautionner tous les arbitraires puisque la loi est devenue la volonté subjective d’un souverain anonyme et faiblement responsable. Tout l’effort des anciens juristes, toute la spéculation des scolastiques pour préciser les servitudes de la souveraineté se trouvaient sérieusement ébranlés sinon anéantis. Désormais était accréditée cette souveraineté qui n’avait plus « besoin d’avoir raison pour valider ses actes. »
Le fait est que la grande innovation de la Révolution française à cet égard n’était pas dans la substitution de la forme républicaine à la forme royale de l’État, qui n’eût été qu’une substitution de principes de légitimité de secondaire importance (et qui, d’ailleurs, n’intervint pas immédiatement) ; elle résidait plutôt dans l’atteinte portée à la notion même de Légitimité traditionnelle. En définissant la loi comme l’expression de la volonté générale, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) n’inventait pas la démocratie, aussi vieille qu’Athènes ; mais elle en bouleversait le contenu, elle introduisait dans la vie politique non pas un principe de légitimité nouveau (il y était déjà), mais une Légitimité nouvelle. Jusqu’alors les hommes avaient plus ou moins confusément admis que la définition du juste ne leur appartenait pas en dernier ressort, que la loi supérieure n’était pas à créer, mais à découvrir ; du jour où ils posaient cette loi comme expression de la volonté générale, c’est-à-dire finalement de la volonté des hommes eux-mêmes, ils mettaient au pluriel le péché originel55 et permettaient à Joseph de Maistre de parler de satanisme.
Il faut insister sur cette révolte métaphysique impliquée par la Révolution pour en saisir le retentissement et comprendre les passions et les luttes inexpiables qu’elle devait engendrer. La démocratie d’après 1789 n’est pas simplement l’exercice de la souveraineté par le peuple, elle est la condition de légitimité de toute souveraineté, elle s’identifie avec la Légitimité, mais, par le fait même de sa nature populaire, avec une Légitimité dialectisée, immanente. Nous parlons de « Légitimité démocratique » pour maintenir une correspondance avec « Légitimité traditionnelle » ; en pratique, cette terminologie et cette analogie ont été longtemps tenues en suspicion : elles avaient un relent de métaphysique que le positivisme en cours rejetait ; le mot de Légitimité faisait horreur parce qu’il évoquait une zone de vérités qui auraient pu s’imposer même au peuple, alors que le peuple était par hypothèse dogmatique l’oracle de vérité d’où procédait la loi. Si, en monarchie, le roi admettait qu’il pût y avoir au-dessus de lui une loi divine et une loi du royaume, en démocratie, la loi ne pouvait qu’être au-dessous du peuple : la Loi y devenait minusculaire et la Légitimité se muait en légalité56.
Ajoutons que la pensée de 1789, reposant sur ces postulats nouveaux, ne pouvait que prononcer la séparation de la morale et du droit, de la politique et de l’éthique, qui s’amorçait déjà depuis le XVIe siècle, mais que l’ancienne France continuait de tenir pour intimement liés. La Révolution consacrait donc, Jules Monnerot l’observe avec finesse,…
… le dérèglement définitif du balancier de la foi, de cette communication par l’intérieur des dirigeants et des dirigés57.
Au déclin de la foi commune, à l’essor du légalisme, va, logiquement, correspondre l’apparition du constitutionnalisme moderne : alors que l’ancienne France avait vécu…
… jusqu’en 1789 sous l’emprise d’une constitution dont l’esprit était partout et la lettre nulle part58, …
… la France nouvelle allait devoir multiplier les expériences constitutionnelles et les textes pour tenter de combler la carence du pouvoir suprême que le couperet de Samson avait ouvert. Mais on ne remplace pas facilement une mystique millénaire : l’histoire du XIXe siècle en témoigne. La France s’est alors laborieusement essayée à la quête d’une nouvelle Légitimité fondamentale. Les circonstances étaient particulièrement défavorables parce que la Légitimité traditionnelle restait assez proche, assez puissante pour n’être pas oubliée, et que, cependant, elle avait été par trop profanée pour pouvoir refaire l’unanimité dans un climat religieusement sceptique.
Mais la nouvelle Légitimité démocratique, quant à elle, se cherchait encore, s’empêtrait dans les souvenirs de la Terreur, de l’épopée révolutionnaire et impériale, dans les caprices de l’héroïsme et dans la démagogie. On en était au champ clos des affrontements.
En quête de conclusion
Nous nous sommes efforcés de démonter les composantes de la notion de Légitimité afin de saisir comment a pu se produire le glissement, du principe de légitimité, toujours partiel et limité, à un concept exclusif et jaloux, ayant une prétention à l’intangible et à l’universel.
À cause de la perte de la « communication par l’intérieur des dirigeants et des dirigés » qui avait rendu insupportable le vénérable « mystère de la Monarchie » et ébranlé l’ancien équilibre, chef-d’œuvre d’un maniement délicat, le droit divin a tendu à passer de l’état de frein mystique à celui de transcendant moteur59 ; puis la désignation des gouvernants par les gouvernés et le simple expédient de la loi du nombre60 se sont érigés à leur tour en juges uniques de la valeur des régimes politiques. Derrière les querelles de formes se sont cristallisées les oppositions philosophiques décisives, en même temps que les rivalités économiques et sociales.
Aussi bien ne saurait-on trop exagérer l’importance des drapeaux qui s’affrontent : ils symbolisent de véritables cosmogonies, le heurt de mondes irréductibles. Tout cela est moins querelle sentimentale que schisme de deux Frances. … Pour étudier de l’histoire de la légitimité monarchique en France, il faut donc garder à l’esprit tout ce qu’elle remue implicitement : sans doute un professeur parisien pouvait-il encore, en pleine Restauration, définir la légitimité monarchique comme « la transmission héréditaire du suprême pouvoir61 », soit l’acception la plus sobre et la plus étriquée qui se puisse imaginer ; mais à ce légalisme de surface, lui-même raccrochait toute une philosophie du pouvoir opposée à la pensée révolutionnaire ; de la Légitimité allaient se réclamer d’abord l’ultracisme, plus tard le légitimisme qui en faisait son enseigne au nom de la branche aînée des Bourbons comme en celui de la Contre-Révolution. Et le triptyque Légitimité-légitimisme-traditionnalisme contre-révolutionnaire62 … est de prime abord si étroit que ses adversaires, loin d’essayer de le rompre, s’efforcent plutôt d’ensevelir la Légitimité sous le discrédit dont ils accableront les deux autres termes.
- La majeure partie de l’œuvre de Guy Augé a porté sur la notion de légitimité politique. Il sera cependant permis de renvoyer plus particulièrement à deux textes synthétisant son analyse philosophique de la question : CR de L’idée de légitimité politique (Annales de philosophie politique, 1967), in APD, 1970, 15, p. 415-427 ; « L’actualité du légitimisme en 1984 », texte établi par Claude Jalifier, Franck Bouscau, appareil critique établi par Guillaume Bernard, in Légitimité ? , Actes du colloque universitaire du 2 avril 2005, La Légitimité, 2005, 51, Sées, 2006 (« Cahier de l’Association des Amis de Guy Augé », 10). p. 149-160.↩
- En dernier lieu, cf. notamment : V. Baranger, « La légitimité du pouvoir politique dans l’ancienne France », in Légitimité du pouvoir politique et représentation, Actes du colloque organisé par le centre de recherches Hannah Arendt, les 27 et 28 mars 2008, à l’ICES, Paris, p. 9-27.↩
- M. Duverger, « Contribution à l’étude de la légitimité des gouvernements de fait », in Revue du droit public et de la science politique, 1945, p. 74 : « il est manifeste que tous les gouvernements révolutionnaires témoignent d’un grand souci de légitimité. Plus ils violent un droit ancien, plus ils se réclament d’un droit nouveau. Ils reprennent tous à leur compte la formule de Napoléon III au lendemain du 2 décembre : Je ne suis sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. »↩
- Saint Paul, Rom., XIII, 5. G. Augé, Légitimité, Légitimisme et jusnaturalisme, thèse de droit, Paris II,1992, 2 vol., dactyl., t. I, p. 7 : « Pour exiger l’obéissance, il ne suffit pas que le pouvoir soit légal, il faut qu’il soit légitime. C’est la légitimité qui fonde la légalité, et le non le contraire. (…) la légitimité n’est pas seulement un formalisme générateur d’obéissance (la force y suffirait peut-être) ; elle est un appel aux consciences, elle suscite l’adhésion morale des assujettis. »↩
- P.-C. Timbal, Cours d’histoire des sociétés politiques, Paris, 1957, p. 22.↩
- Duverger. loc. cit., p. 75.↩
- Cf. J. Leclercq, Leçons de droit naturel, Namur-Louvain. 1934, t. II, p. 137.↩
- Il aura fallu les préoccupations douloureuses et récentes pour réintroduire l’expression dans notre vocabulaire politique, peut-être parce que la chose signifiée était ressentie « existentiellement. » Cf. L. Salleron, Pouvoir et légitimité, Dossier du C.E.P.E.C., n° 9, avril 1959.↩
- Cf. G. Burdeau, Traité de science politique, Paris, t. III, 1950, p. 139.↩
- G. Ferrero, Pouvoir, Les génies invisibles de la Cité, Paris 1945. p. 10 s.↩
- Ibid., p. 22.↩
- Ibid., p. 35.↩
- Augé, Légitimité, Légitimisme et Jusnaturalisme, op. cit., t. I. p. 6.↩
- En droit positif, la notion est d’un faible intérêt puisqu’elle se confond avec la légalité ; elle peut jouer, cependant, comme élément de la théorie du gouvernement de fait, qui est, par définition, illégal, mais qui pourrait être ou ne pas être légitime, selon qu’il respecte ou non ses propres principes : cf. l’article précité de Maurice Duverger, à rapprocher des raisonnements de Georges Burdeau centrés autour de l’« idée de droit » … et qui s’efforce de se situer à mi-chemin du droit naturel et du positivisme juridique.↩
- D. 50, 17, 1 : Non ex regula jus sumatur, sed ex jure quod est, regula fiat (on ne doit pas tirer le droit de la règle, mais la règle du droit).↩
- Nec erit alia lex Romæ, alia Athenia, alia nunc, alla posthac : Cicéron, De Republica, éd. K. Ziegler, Leipzig. 1955, 3, 22, 33. Mais il s’agit là d’une réflexion d’ordre moins juridique que morale et même cosmique : cf. H. de Page, Droit naturel et positivisme juridique, Bruxelles, 1939, p. 8, n. 5.↩
- Leclercq, op. cit., p 153.↩
- Comte de Vareilles-Sommières, Les principes fondamentaux du droit, Paris, 1889, p. 220.↩
- « Le Pouvoir », in Annales de philosophie politique, Paris, 1957, t. Il, p. 37.↩
- Cf. É. Chenon, Théorie catholique de la souveraineté nationale, Paris, 1898.↩
- Cf. Otto von Gierke, Les théories politiques du Moyen Âge, trad. J. de Pange, Paris, 1914, p. 162-163 : « Le Moyen Âge ignore complètement la doctrine d’après laquelle les sujets auraient un devoir d’obéissance inconditionnelle. … La doctrine médiévale… commence par enseigner que tout ordre donné par le souverain en excès de ses droits est nul et n’oblige personne à l’obéissance. »↩
- Les réserves portent moins sur le droit de révolte lui-même que sur l’opportunité de son exercice.↩
- Saint Thomas d’Aquin explique avec force que « c’est le tyran qui est un révolté » : Summa theologica, IIa, IIæ, Qu. 92, art. 2, ad 3 ; cf. à ce propos Leclercq, op. cit., p 157.↩
- R. Heckel, Le chrétien et le Pouvoir. Légitimité, résistance, insurrection, Paris, 1962, p. 21.↩
- Elle justifie ses immixtions, soit en faisant observer qu’elle se borne à sanctionner religieusement une réalité politique constituée et définie par ailleurs (cas du sacre dans la royauté française moderne), soit, lorsqu’elle intervient aussi dans la définition de la réalité politique, au nom d’un « fonction de suppléance » plutôt qu’en vertu d’un droit intrinsèquement lié à sa mission.↩
- J. Monnerot, Sociologie du communisme, Paris, 1949, 3e partie, VI, p. 428 s.↩
- Remarquons au passage que le rapport de l’État avec l’absolu peut n’être pas posé en termes d’Absolu révélé ; il n’est pas de l’ordre de la foi ; il signifie principalement que l’État n’est pas la raison dernière de tout jugement et de tout comportement, parce qu’il est lui-même soumis à une norme transhistorique. Un État qui nie tout rapport avec l’absolu est sur la voie du totalitarisme. L’État monarchique traditionnel avait évidemment compris sa relation avec l’absolu sous sa seule forme religieuse ; l’État contemporain post-révolutionnaire, au contraire, en rejetant cette dépendance, a, du même coup, renié toute dimension métaphysique. L’avenir montrera peut-être qu’il est possible d’aboutir à une solution intermédiaire. Sur cet aspect cf. « Autorité et pouvoir », in Lumière et vie, 1960, 49, p. 5 s.↩
- G. Ferrero, La ruine de la civilisation antique, Paris, 1921, 9e éd., p. 224.↩
- Ibid.,p. 225.↩
- J. Monnerot, « Aristocratie et démocratie », in Revue des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 4e série, 1958, 2e semestre, p 127.↩
- B. de Jouvenel, De la souveraineté, À la recherche du bien politique, Paris, 1955, p. 257.↩
- La formule se rencontre pour la première fois, il semble, dans un traité sur les droits de la Reine de 1667, directement inspiré par Louis XIV. Elle est reproduite dans l’édit de juillet de 1717 sur les princes légitimés (F.-A. Isambert, et alii, éd., Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, 1821-1833, 29 vol., t. XXI, p. 146) et dans un autre édit de février 1771, parlant de « ces institutions que nous sommes dans l’heureuse impuissance de changer » (Ibid., t. XXII, p. 513).↩
- Jouvenel, op. cit., p 260. La théorie de l’heureuse impuissance ne contredisait pas l’esprit de la monarchie absolue où le roi était, traditionnellement, le souverain juge du bien commun. Sans doute peut-on alors parler, avec M. David d’une « autolimitation » de la dynastie par elle-même : cf. La souveraineté et les limites juridiques du pouvoir monarchique du IXe au XVe siècle, Paris, 1954, p. 241. Mais, est-ce à dire qu’autolimitation ne soit pas limitation ? Nous inclinerions plutôt à penser — et, en tout cas, c’était dans la logique du système — que toute souveraineté ne se garde de l’arbitraire que par une vertu interne. Et pour la monarchie française, c’est ici que devait intervenir ce que Fr. Olivier-Martin appelait joliment son « mystère » : cf. Histoire du droit français des origines à la Révolution, Paris, 1948, p 334-335). Il est cependant évident que la théorie de l’« heureuse impuissance » offrait des perspectives excellentes au thème de la royauté-fiction progressivement substituée à la royauté-fonction, comme dans l’évolution anglaise.↩
- Cf. Ferrero. Pouvoir, op. cit., p 135.↩
- Cf. sa contribution aux Mélanges Hauriou, Paris, 1929.↩
- Jouvenel, op. cit.. p. 48. R. Folz, avec son enquête sur L’idée d’Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, Paris, 1953, donne de saisissants exemples de cette recherche d’un ascendant induit.↩
- Cf. Burdeau, Traité, op. cit.. t. II, 1949, p. 170 s.↩
- Cité in Vareilles-Sommières. op. cit., p. 235.↩
- On sait que pour Georges Burdeau, Traité, op. cit., t. II, l’« idée de droit » ne procède pas de représentations particulières purement subjectives ; elle est une idée objective, douée d’une existence autonome, dominante dans un groupe donné, et résultant de l’interprétation de l’homme et du milieu, à la fois spirituel et matériel, qui l’entoure. Si l’idée de droit n’est pas un concept pétrifié, si elle évolue, du moins ses transformations échappent-elles aux remous superficiels qui agitent l’opinion publique, et sont-elles uniquement liées « aux mouvements profonds de la conscience juridique du groupe » (p 118). Dès lors, selon lui. « à mi-chemin entre le légalisme exagérément artificiel et la métaphysique politique trop absolue dans ses conclusions, l’idée de droit, tout imprégnée de relativisme qui est le propre des enseignements praticables » paraît être « le point de référence théoriquement exact et utilisable en fait, permettant d’éprouver la légitimité des gouvernements » (p. 142).↩
- J. Bodin (Les six livres de la République, Paris. 1578) cependant, parle de « monarchie royale et légitime » (II, 2 ; VI, 5) et de « successeur légitime », (VI, 4). Mais, le terme « légitimité » n’y est pas.↩
- J. Declareuil, Histoire générale du droit français des origines à 1789. Paris, 1925. p. 404 s.↩
- Ibid., p. 407.↩
- G. Pere, Le sacre et le couronnement des rois de France dans leurs rapports avec les lois fondamentales, Bagnères-de-Bigorre, 1921, p. 104.↩
- Cf. J. Barbey, La fonction royale, Essence et légitimité d’après les Tractatus de Jean de Terrevermeille, Paris, 1983.↩
- Outre les ouvrages précités et les manuels, on se reportera aux thèses de droit suivantes : A. Lemaire, Les lois fondamentales de la monarchie française d’après les théoriciens de l’Ancien Régime, Paris, 1907 ; Prince Sixte de Bourbon-Parme, Le traité d’Utrecht et les lois fondamentales du royaume. Paris, 1914 ; B. Basse, La constitution de l’ancienne France, principes et lois fondamentales de la Royauté française, Liancourt, 1973 : ce travail était encore tapuscrit à l’époque de la rédaction de ce texte par Guy Augé ; P. Watrin, La tradition monarchique, éd. G. Augé. Paris, 1983.↩
- H. Grotius, De jure bello ac pacis, trad. Barbeyrac, Bâle, 1746, 2 vol., t. 1, livre II, ch. VII, § 23, p. 344 ; repris in J. Le Grand, Traité de la succession à la couronne…, Paris, 1728, p. 23.↩
- Cf. par exemple, Bodin, op. cit., 1. 8. p 160 ; C. Le Bret, Œuvres, Paris, éd. de 1689 : De la souveraineté du Roy, Liv. I. chap. IV, p 8 ; J.-B. Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, cf. en particulier l’éd. de J. Le Brun, Genève, 1967, Livre II, art. 1er, 10e proposition.↩
- Cf. J. de Pange, Le roi très-chrétien. Paris, 1949. p 78.↩
- Cette vision du pouvoir royal à l’époque franque mérite sans doute d’être relativisée : cf. not. O. Guillot, Arcana imperii (IVe-XIe siècle), Limoges, 2003 ; K.-F. Werner. Naissance de la noblesse. Paris, 1998.↩
- Declareuil. op. cit.. p 408 : « Les aînés mâles de la famille royale ne disposaient pas d’eux-mêmes. Leurs personnes étaient confisquées au profit du royaume, avant leur naissance. Ils étaient par avance englobés dans la suite ininterrompue d’individus destinés à perpétuer l’office royal, un et immuable. Ce n’était pas un droit qu’avait le plus proche parent du roi de lui succéder, mais une obligation, comme si la nation avait sur lui une hypothèque, un droit de suite. » Cette conception est à rapprocher du mot de Wiickham Steed, pour l’Angleterre (cité in J. de Pange, Comment se fait un roi, Paris, 1937, p. 18) : « Autrefois, la royauté était propriétaire du pays ; aujourd’hui, c’est le pays qui est propriétaire de la royauté. »↩
- Luc de Heusch, « Pour une dialectique de la sacralité du Pouvoir », in Le Pouvoir et le Sacré, Bruxelles, 1962.↩
- A. Camus. L’homme révolté. Paris, 91e éd., 1952, p. 152-153.↩
- A. Pose. Philosophie du Pouvoir. Paris, 1948.↩
- Jouvenel, op. cit., p 217.↩
- Cf. J. Madiran, On ne se moque pas de Dieu. Paris, 1957, p 61 s.↩
- Cf. Salleron, op. cit. Il apparaît donc nécessaire de noter une confusion à ne pas commettre. Il ne faudrait pas s’imaginer que, parce qu’elle est une rébellion contre l’ordre naturel des choses et la religion chrétienne, la Révolution ignore la notion de légitimité : il semble bien qu’il n’y ait pas « contradiction (…) à parler de légitimité athée et révolutionnaire (…), à condition de ne pas confondre le sacré et le religieux. Les deux catégories ne se recouvrent pas : il n’y a pas de religion sans sacré, mais il y a certainement un sacré a-religieux, voire antireligieux. » (Augé, Légitimité, Légitimisme et Jusnaturalisme. op. cit., t. I, p. 7-8.)↩
- Monnerot, loc. cit., p 127.↩
- V. Canet, Les éléments de l’ancienne constitution française, Castres. 1872, p 397.↩
- Selon une expression de R. Gillouin ; cf. sa communication « Gouvernement et représentation », in Revue des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1958, 2e semestre, p 54 s.↩
- Cf. L. Moulin, « Les origines religieuses des techniques électorales et délibératives modernes », in Revue internationale d’histoire politique et constitutionnelle, 1953.↩
- F. Maugras, Discours sur les avantages de la Légitimité, Dissertation d’un professeur de philosophie pour traiter le sujet proposé au concours par la Société Royale des Bonnes-Lettres en 1824. p. 12.↩
- Guy Augé précisait qu’il devait, dans la suite de son étude, être nuancé.↩