Société traditionnelle et société bourgeoise. Bourgeoisie absolue

Société traditionnelle et société bourgeoise « La bourgeoisie est l'autre nom de la société moderne » (François Furet)

Durant tout notre propos, nous ne parlerons nullement du bourgeois traditionaliste désireux de transmettre à ses enfants une société harmonieuse fondée sur la loi naturelle voulue par le Créateur, une société dont la finalité terrestre est le bien commun. Le bourgeois dont il est ici question est celui prophétisé par Thomas Hobbes : le bourgeois révolutionnaire qui professe l‘autonomie de l’homme et promeut la propriété en « droit naturel imprescriptible » avec l’article II de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Cette seconde catégorie présente un large spectre : du bourgeois conservateur — qui espère fixer la Révolution dans le stade le plus avantageux pour lui —, au « bobo » qui, en égalitariste honteux de sa richesse, vante l’engagement de ses enfants dans un mouvement anarchiste, antifas ou d’aide aux migrants. Pourquoi s’intéresser à cette bourgeoisie dans notre Camp chouan 2023 ? C’est que, nous dit l’historien François Furet, « La bourgeoisie est l’autre nom de la société moderne1. »

Société traditionnelle et propriété

La place traditionnelle de l’homme dans l’univers

Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »
Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme.
Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »
Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture.
À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte.
» Et ce fut ainsi.
Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.

Que l’on soit croyant ou non, ce récit du Livre de la Genèse (24-31) résume bien la position de l’espèce humaine au sein de cet univers qu’elle habite :
– La Création est bonne. Le Monde est organisé selon des lois qui en font quelque chose d’harmonieux, propre à être contemplé.
– Il revient à l’homme — créature intelligente — de prendre soin du jardin Monde qui lui est confié en respectant ses lois.
– L’homme n’est pas le propriétaire du Monde (le croyant dira que seul le Créateur, qui en est le principe, en est propriétaire).

Une loi naturelle commune à tous les hommes

L’homme fait donc partie de ce monde et obéit, comme toute créature, à des lois propres à son espèce : des lois physiques et physiologiques bien sûr, mais aussi des lois morales qui l’invitent à un bon comportement, que ce soit envers son Créateur, envers ses semblables (en particulier envers l’autre sexe), envers lui-même ou envers le reste des créatures. Ces lois — qui constituent ce que l’on appelle la « loi naturelle » — sont accessibles par la seule raison, et appelées pour cela lois de « droite raison » par le païen pré-chrétien Cicéron2 (106-43 av. J.-C.). On retrouve la loi naturelle dans toutes les civilisations sous forme plus ou moins aboutie3 :
– Adorer Dieu (il n’existe pas de peuple sans religion45 dont l’objet naturel est de relier l’homme à la divinité.)
– Respecter la vie (ne pas tuer, ne pas violenter.)
– Respecter l’autre (honorer ses parents, et plus généralement l’autorité qui nous fait grandir, ne pas commettre d’adultère, ne pas voler, ne pas mentir…)
– Se respecter soi-même (se maîtriser, développer son intelligence et sa volonté, ne pas nuire à sa santé…)
– etc.

Pareillement, l’usage des biens de ce monde (la propriété) est encadré par la loi naturelle avec cet impératif qui est d’assurer la vie humaine et d’entretenir la paix par la justice.

Précisions sur la propriété

Si l’homme peut posséder des biens extérieurs, ce ne peut être que par leur usage, le temps d’une vie, et pour permettre sa vie corporelle. Saint Thomas d’Aquin (1226-1274) explique en effet :

Dieu a la maîtrise de tous les êtres, étant leur principe. Et c’est lui qui, selon l’ordre de sa providence, a ordonné certaines choses à sustenter la vie corporelle de l’homme. C’est pour cela que l’homme a la possession naturelle de ces choses, en ce qu’il a le pouvoir d’en faire usage. Ce riche est blâmé parce qu’il croyait que les biens extérieurs lui appartenaient à titre principal, comme s’il ne les avait pas reçus d’un autre, c’est-à-dire de Dieu6.

La propriété des biens terrestres par le genre humain est de droit naturel, cependant la propriété privée ne relève pas directement du droit naturel, mais de conventions humaines :

La communauté des biens est dite de droit naturel, non parce que le droit naturel prescrit que tout soit possédé en commun et rien en propre, mais parce que la division des possessions est étrangère au droit naturel ; elle dépend plutôt des conventions humaines et relèvera par là du droit positif7.

Aussi la propriété du riche peut-elle être juste si elle est limitée moralement :

Le riche n’est pas injuste, lorsque s’emparant le premier de la possession d’un bien qui était commun à l’origine, il en fait part aux autres. Il ne pèche qu’en leur interdisant à tous d’en user7.

En résumé, si saint Thomas montre ailleurs que la propriété privée est souhaitable, elle ne saurait être absolue et…

… les biens que certains possèdent en surabondance sont dus, de droit naturel, à l’alimentation des pauvres8.

Entre autres missions, il revient à l’autorité politique de travailler à une plus juste répartition des biens de sorte que chacun puisse vivre honnêtement.

Le peuple et son unité réalisée par l’autorité légitime

Les hommes se multipliant, se regroupent en peuples, qui se définissent par leurs lois et leurs communautés d’intérêts. Dans sa Somme théologique, saint Thomas dit en effet :

Saint Augustin cite cette définition du peuple par Cicéron : « C’est la multitude rassemblée par les liens de l’unité de droit et de la communauté d’intérêts9 »…

Il revient au Prince d’assurer l’unité du peuple et de légiférer pour que chacun puisse vivre honnêtement et soit incité à bien agir, autrement dit à agir conformément à sa raison10, pour le bien commun :

Trois conditions seront requises pour que la multitude s’établisse dans une vie conforme à l’honnêteté naturelle.
– La première sera qu’elle se fonde sur l’unité de la paix.
– La seconde, qu’étant unie par le lien de la paix, elle soit dirigée à bien agir. Car, s’il est impossible à l’homme de bien agir lorsque l’unité de ses parties, ne se trouve préalablement réalisée, de même il sera impossible [de bien agir] à une société humaine à qui manque l’unité de la paix, en raison de ses luttes intestines.
– La troisième condition requise est que la prudence du souverain prévoie tout ce qui suffit à [assurer] le plein développement d’une vie conforme au bien honnête.
Or le bien et le salut des hommes agrégés en société est de conserver cette unité [harmonieuse] qu’on appelle paix ; que celle-ci s’éloigne, l’utilité de la vie sociale disparaît ; bien plus, la société désunie devient insupportable à ses membres. Voilà donc à quoi doit par dessus tout s’appliquer le chef de la société : à procurer l’unité qui fait la paix11.

En légiférant selon la loi naturelle (ou loi de la droite raison) le Prince reconnaît une loi supérieure à la sienne, celle de notre nature voulue par le Créateur. Il devient alors le ministre de Dieu, son lieutenant, et cette légitimité lui permet d’obtenir, non seulement l’obéissance libre, mais plus encore l’amour de ses sujets nous dit le jurisconsulte Jean Bodin (1539-1596) :

C’est donc la vraie marque de la Monarchie Royale, quand le Prince se rend aussi doux, et ployable aux lois de nature, qu’il désire ses sujets lui être obéissants. Ce qu’il fera,
– s’il craint Dieu surtout,
– s’il est pitoyable aux affligés,
– prudent aux entreprises,
– hardi aux exploits,
– modeste en prospérité,
– constant en adversité,
– ferme en sa parole,
– sage en son conseil,
– soigneux des sujets,
– secourable aux amis,
– terrible aux ennemis,
– courtois aux gens de bien,
– effroyable aux méchants,
– et juste envers tous.
Si donc les sujets obéissent aux lois du Roi, et le Roi aux lois de nature, la loi d’une part et d’autre sera maîtresse, ou bien, comme dit Pindare, Reine. Car il s’ensuivra une amitié mutuelle du Roi envers les sujets, et l’obéissance des sujets envers le Roi, avec une très plaisante et douce harmonie des uns avec les autres, et de tous avec le Roi. C’est pourquoi cette Monarchie se doit appeler royale et légitime12.

On le voit avec Jean Bodin : La monarchie royale et légitime réalise le mieux l’unité harmonieuse de la multitude. Par l’amitié politique qu’il vise et qu’il instaure, ce régime favorise pleinement l’accomplissement de notre nature d’animal rationnel, de notre vertu.

La vertu de justice source d’unité et d’égalité

« Juste envers tous » dit Bodin, qui insiste :

La raison principale qui peut mouvoir les Princes à juger leurs sujets, est l’obligation mutuelle, qui est entre le Prince et les sujets, car
– tout ainsi que le sujet doit obéissance, aide, et connaissance à son Seigneur,
– [de même] aussi le Prince doit au sujet justice, garde et protection13.

Saint Thomas confirme que la vertu principale requise pour maintenir l’unité est la vertu de justice :

Cicéron nous dit : « La justice est la règle qui maintient la société des hommes entre eux, et leur communauté de vie »14.

L’Aquinate remarque alors que la justice implique une certaine égalité entre les hommes :

La justice, parmi les autres vertus, a pour fonction propre d’ordonner l’homme en ce qui est relatif à autrui. En effet, elle implique une certaine égalité, comme son nom lui-même l’indique : ce qui s’égale « s’ajuste », dit-on communément ; or l’égalité se définit par rapport à autrui15.

Il revient à l’autorité politique de maintenir l’unité en établissant l’égalité de la justice, et Aristote (384-322 av. J.-C.) souligne :

Le dirigeant est le gardien du juste, il est aussi celui de l’égalité16.

L’égalité de justice : Justices commutative et distributive

Cependant, il ne faudrait pas limiter l’égalité — dont il est ici question — à une égalité arithmétique. En réalité, deux types de justice existent conjointement dans la Cité :

Une justice commutative qui règle l’échange d’une chose avec une autre chose, les deux choses échangées devant être égales arithmétiquement.

Dans les échanges, on rend à une personne particulière quelque chose en remplacement de ce que l’on a reçu d’elle ; ce qui est évident dans l’achat et la vente, qui nous donnent la définition élémentaire de l’échange. Il faut égaler objet à objet, de telle façon que, tout ce que l’un a reçu en plus en prenant sur ce qui est à l’autre, il le lui restitue en égale quantité17.

Une justice distributive qui règle la chose due à une personne en fonction de son importance ou de son mérite par rapport à un bien commun. Dans ce cas, une égalité proportionnelle est recherchée.

Il appartient à la justice distributive de donner quelque chose à une personne privée pour autant que ce qui appartient au tout est dû à la partie. Mais ce dû est d’autant plus considérable que la partie occupe dans le tout une plus grande place. Et c’est pourquoi, en justice distributive, il est donné d’autant plus des biens communs à une personne que sa place dans la communauté est prépondérante.

Tous les types de sociétés pratiquent une justice distributive jaugée en fonction de la finalité poursuivie par la société, et saint Thomas continue :

– Dans les communautés à régime aristocratique, cette prépondérance est donnée à la vertu ;
– dans les oligarchies, à la richesse ;
– dans les démocraties, à la liberté ;
– et sous d’autres régimes, d’autres façons.
C’est pourquoi, dans la justice distributive, le juste milieu vertueux ne se détermine pas par une égalité de chose à chose, mais selon une proportion des choses aux personnes ; de telle sorte que si une personne est supérieure à une autre, ce qui lui est donné doit dépasser ce qui est donné à l’autre.
Et c’est pourquoi le Philosophe dit qu’un tel milieu vertueux s’établit selon une proportion géométrique, où l’égalité n’est pas une égalité de quantité, mais une égalité proportionnelle17.

Notons que les paradigmes de ces différents régimes sont des biens en eux-mêmes (vertu, richesse, liberté…), et sont donc tous souhaitables sans exclusion, mais ils sont moralement hiérarchisés. C’est une des raisons pour lesquelles saint Thomas préconise le régime mixte d’une monarchie tempérée par de l’aristocratie et de la démocratie.

La monarchie organique

L’autorité organise18 les différentes parties de la société en vue du bien commun, en veillant à ce que chacune soit bien proportionnée au tout. Dans une société politique, chaque classe sociale a en effet son importance pour le bien commun de la Cité, et il revient au monarque de les faire concourir harmonieusement :
– Le clergé assure le service religieux, des œuvres de charité (hospices pour les nécessiteux, les vieillards, les orphelins, les filles mères…) et des œuvres sociales (enseignement, soin des malades…)
– L’aristocratie est tenue de montrer l’exemple de la vertu et du sacrifice.
– L’administration, par ses officiers d’État, relaie les lois du souverain. En particulier, les parlements rendent la justice au nom du roi.
– La bourgeoisie a pour mission de répandre l’aisance, et de contribuer principalement à l’impôt nécessaire au bien commun.
– L’artisanerie, celle de produire les biens.
– La paysannerie a charge de nourrir tous les autres…

Maintenir l’unité nécessite un effort constant

Maintenir l’État de justice nécessite un effort constant nous dit saint Thomas d’Aquin :

La justice est l’habitus par lequel on donne, d’une perpétuelle et constante volonté, à chacun son droit19.

Aussi, quand l’autorité s’affaiblit, le travail harassant de l’unité de la justice est mal assuré, et chaque composante du tout a tendance à vivre pour son intérêt. Parfois elle est même tentée de s’emparer du pouvoir pour l’asservir à sa fin propre.

L’histoire a retenu de telles tentatives dans la monarchie française, comme celle de la Fronde qui voit la noblesse et la magistrature disputer chacune au jeune Louis XIV une partie des prérogatives royales.

Pareillement, on se souvient de cette tentative de révolution bourgeoise menée par Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris :
En 1356, devant la menace anglaise, le roi Jean le Bon sollicite une « aide » des villes de son royaume. L’argent rentrant mal et pas assez vite, les États généraux — investis par la haute bourgeoisie commerçante de Paris — décident de lever un impôt supplémentaire, inique, car en raison inverse de la fortune, et qui exemptera les non-nobles les plus riches20. Cette décision se fait contre l’avis du Roi, favorable à l’impôt traditionnel, donc proportionnel à la fortune.
Pendant la captivité de Jean le Bon, cette haute bourgeoisie parisienne provoque une révolte : Étienne Marcel fait exécuter le maréchal de Champagne Jean de Conflans et le maréchal de Normandie Robert de Clermont devant le Dauphin (le futur Charles V), qui est couvert de leur sang. Le Prévôt des marchands l’oblige alors à porter le chaperon rouge et bleu des émeutiers (aux couleurs de Paris), alors que lui-même se coiffe du chapeau du Dauphin. Il se déclare ensuite Régent et impose une dictature. Le 31 juillet 1358, il est massacré par la foule.

Cet épisode présente d’évidentes similitudes avec la révolte des Tuileries du 20 juin 1792, où le roi Louis XVI est contraint de porter le bonnet phrygien révolutionnaire. Il révèle aussi les velléités de domination politique de la haute bourgeoisie ; velléités d’autant plus pressantes que cette classe sociale est puissante.

Bourgeoisie et modernité

Fondements religieux de la modernité

L’avènement de la modernité se caractérise par l’autonomisation de l’homme qui n’accepte plus d’autres lois que celles qu’il s’est données. Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) le proclame :

L’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi21.

C’est un renversement de perspective, une subversion complète, une révolution : l’homme s’affranchit des lois de la nature (dont la nature humaine fait partie) pour lui en donner de nouvelles selon sa volonté du moment. Suivant une démarche toute imprégnée de gnose, l’homme passe du statut naturel de jardinier du Monde à celui d’un dieu tout puissant, libre de changer la nature — et sa propre nature — selon son utilité ou sa fantaisie. Les sociétés abandonnent alors la transcendance pour l’immanence.

Selon ce nouveau schéma, l’homme devient son propre dieu. C’est ainsi que, très vite, la Révolution française de 1789 instaure le culte de la déesse Raison lors de la fête de la Fédération le 14 juillet 1790. L’historien révolutionnaire Jules Michelet (1798-1874) explique la nouvelle religion :

La Révolution n’adopta aucune église. Pourquoi ? C’est qu’elle était une église elle-même22.

Un vaste effort est réalisé pour affranchir la philosophie de la métaphysique, cette science rigoureuse de l’être — héritée de la pensée grecque et adoptée par la chrétienté catholique —, qui permet, entre autres, de remonter rationnellement à l’existence de Dieu. Faute de pouvoir sérieusement la réfuter on la dénigre, à l’instar de Thomas Hobbes (1599-1679) le père de la modernité anglo-saxonne et de la philosophie bourgeoise23 :

Il n’existe rien de si absurde que certains des anciens philosophes (comme le dit Cicéron, qui était l’un des leurs) ne l’aient soutenu. Et je crois qu’il n’est guère possible de dire quelque chose de plus absurde que ce que l’on appelle aujourd’hui la métaphysique d’Aristote, ni de plus incompatible avec le gouvernement que ce qu’il a dit dans sa Politique, ni de plus ignorant que son Éthique24.

De nouvelles philosophies à prétention scientifique — mais fondées sur le mythe gnostique du progrès de l’humanité — voient le jour. Elles proclament toutes l’homme-dieu.

Ainsi le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) — dont l’influence pèse encore si lourdement sur l’enseignement du droit en France — se propose-t-il de réorganiser la société « sans dieu ni roi25 ». Un disciple du philosophe résume le fondement de ce courant :

Le dogme positiviste établit à son centre le plus grand être qui puisse être connu, mais connu « positivement », c’est-à-dire en dehors de tout procédé théologique ou métaphysique.
[…] Le Grand-Être est l’Humanité26.

Peu après Comte, Karl Marx (1818-1883) nous avoue l’ambition de son propre système :

La philosophie ne s’en cache pas. Elle fait sienne la profession de foi de Prométhée : « en un mot j’ai de la haine pour tous les dieux ! » Et cette devise elle l’applique à tous les dieux du ciel et de la terre qui ne reconnaissent pas la conscience humaine comme la divinité suprême. Elle ne souffre pas de rivale27.

Aujourd’hui encore, cette même volonté anime les philosophes modernes, à l’instar de l’ancien ministre Luc Ferry28 (né en 1951) qui déclare dans son livre L’homme-Dieu ou le sens de la vie :

Pour le pire comme pour le meilleur, notre univers laïc tend donc à récuser toute référence à ce qui est extérieur aux hommes au nom d’une exigence sans cesse accrue d’autonomie29.

La démocratie, ou le régime ad hoc de la modernité

1789 voit le triomphe politique du principe moderne d’autonomie de l’homme et, par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, l’Église révolutionnaire en donne le Credo :

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation30.

Les hommes, regroupés en nation, remplacent désormais Dieu en tant que source de la souveraineté. Or nous avons vu avec Bodin que, dans les sociétés traditionnelles, l’autorité politique ne gardait sa légitimité — et donc l’obéissance libre — qu’en tant qu’elle légiférait selon la loi naturelle voulue par le Créateur. Ce que confirme en termes plus actuels la philosophe politique Hannah Arendt (1906-1975) :

La source de l’autorité dans un gouvernement autoritaire est toujours une force extérieure et supérieure au pouvoir qui est le sien ; c’est toujours de cette source, de cette force extérieure qui transcende le domaine politique, que les autorités tirent leur « autorité », c’est-à-dire leur légitimité, et celle-ci peut borner leur pouvoir31.

Aussi les bornes naturelles de l’autorité — ainsi que l’autorité elle-même — disparaissent-elles avec l’abandon de la transcendance divine et de sa loi naturelle, pour laisser la place à un pouvoir politique moderne libre de croître sans limites.

Par ailleurs, la Révolution plaçant l’origine de la souveraineté dans le peuple, le philosophe anarchiste Pierre-Joseph Proudhon conclut :

La Révolution est essentiellement démocratique32.

Notons que la démocratie peut se décliner selon plusieurs formes de gouvernements :
– Les monarchies constitutionnelles, dans lesquelles le roi n’est plus le représentant de Dieu mais celui de la nation.
– Les républiques, qu’elles soient autocratiques ou libérales.

Les paradigmes démocratiques de l’égalité et de la liberté

Nous avons vu que l’autorité coupée de sa justification transcendante est vouée à la disparition, car elle apparaît alors aux modernes comme totalement arbitraire, et en tant que telle, doit être implacablement combattue. Disciple de Comte, et ministre de l’Éducation nationale sous la IIIe république, Jules Ferry (1832-1893) expose l’objectif d’une société nouvelle sans transcendance :

Mon but, c’est d’organiser l’humanité sans Dieu et sans roi33.

L’autorité étant niée, la hiérarchie sociale n’est plus justifiée ; logiquement l’égalité devient l’aspiration essentielle du régime démocratique, et Ferry en professe la foi progressiste :

Qu’est-ce d’abord que l’égalité ? C’est la loi même du progrès humain ! C’est plus qu’une théorie : c’est un fait social, c’est l’essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons. En effet, la société humaine n’a qu’une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les inégalités primitives données par la nature34.

Remarquons bien que l’égalité revendiquée ici est une égalité stricte, arithmétique, celle réalisée par la justice commutative. En revanche, la justice distributive est oubliée, qui récompense à proportion l’importance du service que la partie rend au tout.

Saint Thomas nous disait, en amont, que l’accent est donné « dans les démocraties, à la liberté ». Précisons que la liberté est un bien qui, dans la société traditionnelle, est proportionné au bien commun selon la justice distributive. Par analogie avec une famille, quand un enfant se montre plus responsable et soucieux du bien commun, ses parents lui font plus confiance et lui accordent plus de liberté. En revanche tel oncle ivrogne et violent, sera plus surveillé quand il rend visite à la famille.

Dans la société moderne, la justice distributive ayant disparu, et l’égalité étant la règle, la liberté n’est plus proportionnée mais limitée égalitairement sans référence morale. Aussi l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame-t-il :

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Autre constat important : cet article — à l’image du reste de la Déclaration dont il est tiré — ne reconnaît que des individus isolés ; aucune place n’est faite aux communautés sociales (clergé, aristocratie, bourgeoisie, artisanerie, paysannerie…) Si ces dernières ne cessent pourtant pas d’exister, elles disparaissent en tant que telles de l’horizon légal, et avec elles, la composition organique de la société, ainsi que la justice distributive associée.

Démocratie, propriété et bourgeoisie

Tout est désormais en place pour favoriser la classe bourgeoise. Sans existence officielle et sans régulateur, le bourgeois apparaît, selon l’image bien connue, comme « un renard libre dans un poulailler libre. »
Et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) — qui est pourtant un des pères de la Révolution — perçoit bien le danger d’un gouvernement démocratique dont la classe bourgeoise ne peut que s’emparer :

Jamais dans une monarchie l’opulence d’un particulier ne peut le mettre au-dessus du prince ; mais dans une république elle peut aisément le mettre au-dessus des lois. Alors le gouvernement n’a plus de force, et le riche est toujours le vrai souverain35.

De fait, le premier souci de la bourgeoisie révolutionnaire consiste à sanctuariser discrètement la propriété au même titre que la liberté. De droit positif dans la société traditionnelle, la propriété privée acquiert le statut de « droit naturel » avec l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels36 et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

On retrouve ici explicitement énoncés les deux paradigmes des deux types de société dont nous parlait saint Thomas17 :
– La propriété (richesse) des oligarchies.
– La liberté des démocraties.

Deux conséquences importantes découlent alors de cet article :
1) Non seulement la propriété est sacralisée par son nouveau statut de « droit naturel », mais associée à l’autre nouveau « droit naturel » de la liberté, elle n’est plus ordonnée à l’impératif traditionnel du bien commun, et ne se trouve donc plus bornée par lui. La propriété devient libre de croître sans limites.
2) L’article dit que « le but de toute association politique » — et donc le but de l’action politique — « est la conservation de […] la liberté, la propriété ». Aussi pouvoir politique et conservation de la propriété se trouvent-ils désormais subordonnés l’un à l’autre.

1789, ou la naissance de l’oligarchie au détriment du bien commun

Ainsi la prise de pouvoir par la bourgeoisie lors de la Révolution se traduit-elle par l’application immédiate des principes de liberté et de propriété sacralisés.

Au nom de la liberté de commerce, la loi le Chapelier du 14 juin 1791 abroge définitivement les corporations. Ces associations permettaient à tous les hommes de métier de gérer leur métier avec :
– une régulation interne qui empêchait la concurrence déloyale ;
– un service « qualité » pour garantir la justice dans les transactions avec les clients ;
– des salaires honnêtes qui permettaient à tous de faire vivre une famille ;
– une protection sociale pour venir en aide au membre blessé, ou à sa famille s’il venait à mourir.
Pire ! la loi le Chapelier interdit désormais toute association, toute revendication collective (syndicats, mutuelles…) :

Article 1. La destruction de tous types de corporations de citoyens de même métier et profession étant l’une des bases fondamentales de la Constitution française, il est interdit de les rétablir de fait, sous quelque prétexte ou sous quelque forme que ce soit.

Article 2. Les citoyens du même métier ou de la même profession, les entrepreneurs, ceux qui ont des magasins, les ouvriers et artisans de n’importe quel art, ne peuvent pas, quand ils se retrouvent ensemble, nommer un président, un secrétaire ou un syndic, tenir des registres, prendre des décrets ou des décisions, ni formuler des règlements sur leurs intérêts communs supposés.

Article 3. Il est interdit à tous les organes administratifs ou municipaux de recevoir une adresse ou une pétition sous la dénomination d’un métier ou d’une profession [et] d’y répondre…

Article 4. Si, à l’encontre des principes de liberté et de la Constitution, des citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers prennent des décisions ou concluent entre eux des accords qui les conduiraient à refuser, ou à ne mettre à disposition qu’à un prix fixe, leur industrie ou leur travail, lesdites décisions, accompagnées ou non d’un serment, sont déclarées inconstitutionnelles et préjudiciables à la liberté et à la Déclaration des droits de l’homme, et nulles et non avenues… [Ceux qui enfreignent cette loi se verront] infliger une amende de 500 livres et un sursis pendant un an à compter de l’exercice de tous les droits des citoyens actifs et de l’entrée dans les assemblées…

Article 6. Si lesdites décisions ou accords, affichés ou distribués par circulaire, constituaient une menace pour les entrepreneurs, commerçants, ouvriers ou journaliers étrangers susceptibles de venir travailler dans la région, ou pour ceux qui se contentent d’un salaire inférieur, tous les auteurs, les instigateurs et les signataires des actes ou des écrits seront punis d’une amende de 1.000 livres chacun et de trois mois de prison.

Article 7. Si la liberté individuelle des entrepreneurs et des travailleurs devait être attaquée par des menaces de violence de la part de ces coalitions, les auteurs de la violence seraient poursuivis en tant que perturbateurs de la paix publique.

Article 8. Les coalitions de travailleurs ayant pour but d’entraver la liberté que la Constitution accorde à l’industrie, et de s’opposer aux décisions de police ou à l’exécution de jugements à cet effet, seront considérées comme des insurgés et par conséquent punies37.

Sous couvert de liberté, le monde ouvrier se trouve donc livré sans défense à l’exploitation bourgeoise ; aussi sombre-t-il dans cette effroyable misère du XIXe siècle qui a inspiré Zola.

Le monde paysan n’est pas épargné avec l’abrogation des traditionnels droits d’usage des ressources vitales — champs communaux ou droit de vaine pâture et droit de glanage — qui protégeaient les plus pauvres. L’historienne Régine Pernoud (1909-1998) rapporte :

Nous avons du mal aujourd’hui à imaginer la place tenue par les communaux dans les terroirs de France et plus tard encore, car ils ont été lents à disparaître, la ténacité des paysans n’ayant cédé que peu à peu devant la rigueur des lois.
Il y a peu encore, en Lorraine, on parlait de « vaine pâture » : elle subsistait sous la forme des troupeaux qui pouvaient librement pâturer sur toutes les terres des paysans entre le temps des récoltes et celui des labours. La terre était considérée comme commune à tous aussitôt rentrée la première récolte des foins et celle des blés.
Tel était le régime général des campagnes avant la Révolution — une pratique qui permettait au non-possédant de subsister, d’avoir son petit cheptel à lui, et tant par le droit de glanage et les divers droits d’usage dans la forêt que par la vaine pâture, de se suffire en fournissant à l’agriculture la main d’œuvre saisonnière dont elle a le plus grand besoin.
Ce n’est qu’avec le Code civil, puis le Code forestier de 1827, que la propriété bourgeoise a réellement éliminé la propriété seigneuriale ou, pour mieux dire, que la propriété, devenue pleine et entière, a éliminé le droit d’usage.
Telle qu’elle était définie par le Code, puisant sa source au droit romain, la propriété du sol était désormais individuelle, absolue, soumise aux lois de l’achat et de la vente, comme tout objet de commerce38.

Non seulement le nouveau régime démunit ouvriers et paysans en les rendant « libres » d’être exploités et en les privant de ressources propres, mais la petite bourgeoisie elle-même est menacée. En effet, avec l’impôt censitaire, seule la haute bourgeoisie peut élire et se faire élire. Bonald explique alors la réorganisation de cette classe sociale apportée par la Révolution :

On se plaint avec raison de la ruine du commerce ; mais peut-être faut-il en chercher la cause dans le commerce lui-même. Ce ne sont pas quelques fortunes colossales — qui écrasent et humilient le petit commerce — qui font pour l’État la prospérité du commerce, c’est un grand nombre de fortunes médiocres qui répandent une aisance générale.
– Autrefois un commerçant enrichi s’empressait de quitter le commerce pour acheter une charge et passer dans l’État public, il faisait ainsi place à d’autres commerçants qui, délivrés de cette concurrence, travaillaient avec plus de succès à faire leur fortune pour quitter à leur tour le commerce et faire place à d’autres.
– Aujourd’hui le commerçant enrichi veut s’enrichir encore et ne voit point de terme aux progrès de sa fortune. Il y a telle ville où un riche négociant est le tyran des plus petits commerçants qui ne peuvent faire aucune spéculation qu’ils ne soient devancés par un homme à qui une immense fortune et des relations étendues donnent les plus grands avantages ; et si par la constitution de l’État, ces mêmes hommes sont revêtus de fonctions publiques avec lesquelles et même à la faveur desquelles ils continuent leur commerce, s’ils peuvent être députés ou pairs et rester banquiers ou fabricants, on sent qu’il n’est plus possible de lutter contre une si redoutable concurrence.

Cet empressement à quitter le commerce lorsqu’on avait fait une fortune honnête et suffisante avait un grand avantage en morale et en politique.
– En morale, en ce qu’il mettait un frein à la cupidité qui ne dit jamais « c’est assez » ;
– En politique en ce qu’il empêchait l’accumulation de fortunes mobilières qui toutes poussent à la démocratie, aident aux révolutions, et nous en avons vu la preuve, et cependant tendent à détruire cette égalité dont les démocraties sont si jalouses 39.

Bonald l’avait donc bien compris : la liberté absolue de s’enrichir associée à la domination politique ne peut qu’aboutir à la concentration conjointe de la fortune et du pouvoir, tout en détruisant la petite bourgeoisie.

La richesse illimitée implique un pouvoir illimité

Hannah Arendt résume l’aspiration bourgeoise à toujours plus de pouvoir :

Le processus illimité d’accumulation du capital a besoin de la structure politique d’« un pouvoir illimité », si illimité qu’il peut protéger la propriété croissante en augmentant sans cesse sa puissance40.

Ce système idéologique fondé sur la croissance simultanée du capital et du pouvoir est bien à l’origine de l’impérialisme européen du XIXe siècle :

Quand l’accumulation du capital eut atteint ses limites naturelles, nationales, la bourgeoisie comprit que ce serait seulement avec une idéologie selon laquelle « l’expansion, tout est là » et seulement avec un processus d’accumulation du pouvoir correspondant que l’on pourrait remettre le vieux moteur en marche41.

C’est en effet pour satisfaire l’appétit insatiable des richesses d’une haute bourgeoisie — trop à l’étroit dans les frontières de l’État-nation — que, devant l’Assemblée nationale, le ministre Gauche radicale Jules Ferry se déclare…

… le partisan de l’expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce42.

La même instrumentalisation de l’État par la haute bourgeoisie en vue de son enrichissement, persiste plus que jamais aujourd’hui par le biais des multinationales qui infléchissent les décisions politiques au plus haut niveau.
Régulièrement, des scandales éclatent quand ces influences sont mises à jour, comme dernièrement celui du vaccin de Pfizer, dont le prix d’achat a été négocié 25% plus cher que son prix de base par Ursula von der Leyen43 — présidente de la Commission européenne — pour 1,8 milliard de doses. Pire ! Ce contrat mirifique suscite de forts soupçons de conflits d’intérêts quand on sait que Heico von der Leyen, son mari médecin, « est le directeur médical d’Orgenesis Inc., une entreprise qui collabore avec Pfizer-BioNTech44. »

« La bourgeoisie est l’autre nom de la société moderne »

L’argent constitue bien la valeur suprême de la bourgeoisie, et cette nouvelle élite au pouvoir parvient à l’imposer comme finalité à toute la société, au point que l’ouvrier ou l’enfant d’immigré n’ambitionnent que de devenir bourgeois à leur tour. Hannah Arendt souligne que les valeurs de cette élite moderne ont tellement imprégné la société que le mot de bourgeoisie ne saurait plus se limiter à la simple classe sociale :

Étiqueter la bourgeoisie comme classe possédante n’est que superficiellement correct, étant donné que l’une des caractéristiques de cette classe était que quiconque pouvait en faire partie du moment qu’il concevait la vie comme un processus d’enrichissement perpétuel et considérait l’argent comme quelque chose de sacro-saint, qui ne saurait en aucun cas se limiter à un simple bien de consommation.

De fait, le contrôle du pouvoir politique des sociétés modernes par la classe bourgeoise, sous couvert de gouvernement populaire, est tellement total, et sa finalité de richesse tellement partagée, que l’historien François Furet (1927-1997) conclut :

La bourgeoisie est l’autre nom de la société moderne1.

Reste à comprendre comment cette minorité de la haute bourgeoisie parvient à maintenir un pouvoir politique démesuré et appliqué à son seul profit ; ceci sans susciter de réactions d’indignation ou de révolte d’envergure.

Une puissance bourgeoise assurée par sa main-mise sur la presse qui façonne l’opinion

Dès le début du XIXe siècle la presse suscite l’intérêt du pouvoir bourgeois comme instrument de domination et de profit. Ne permet-elle pas le contrôle de l’opinion sous couvert de liberté ? Régine Pernoud commente :

La presse, notre bourgeois le discerne clairement, va être l’agent le plus efficace de la vie économique étant donné son pouvoir sur l’opinion ; il ne doute pas qu’elle tienne en respect, s’il le faut, la puissance politique adverse45.

Aussi le philosophe Louis de Bonald (1754-1840) relève-t-il le rôle prépondérant de la presse dans la révolution orléaniste de juillet 1830 qui vit, avec la chute du roi légitime Charles X, le triomphe de la « bourgeoisie absolue » :

Le commerce et l’industrie ont fait la révolution de Juillet, la presse sans doute y a puissamment contribué, mais la presse aussi est une spéculation d’industrie et un objet de commerce, et c’est uniquement pour soutenir cette industrie et son commerce qu’elle a fait sa révolution46.

Plus récemment, la comédie démocratique d’une « presse libre » se révèle avec éclat lors des élections présidentielles de 2017. N’assistons-nous pas alors à un battage unanime des médias en faveur du candidat de la bourgeoisie libérale (Emmanuel Macron), et cela durant plusieurs mois ? Le parti-pris est tellement manifeste que les journaux eux-mêmes se sentent obligés d’en rendre-compte a posteriori, à l’instar du Monde diplomatique :

Le succès d’un candidat inconnu du public il y a trois ans ne s’explique pas seulement par la décomposition du système politique français. Inventeur d’une nouvelle manière de promouvoir les vieilles idées sociales-libérales qui ont valu au président François Hollande des records d’impopularité M. Emmanuel Macron a trouvé dans les médias un solide point d’appui. Son histoire ressemble à un rêve d’éditorialiste. […]
M. Macron plaît à la presse et à ses dirigeants. Et pour cause : son discours libéral, europhile, atlantiste et moderniste évoque une synthèse des éditoriaux du Monde, de Libération, de L’Obs et de L’Express qu’un acteur de théâtre expérimental aurait entrepris de hurler sur scène47

Acteur ou marionnette du pouvoir bourgeois et de ses médias ? Toujours est-il que la presse ne donne que très peu d’échos aux multiples scandales qui s’égrènent au cours des mandats du président Macron. Le sociologue Marc Loriol48 s’étonne que de telles affaires — dénoncées par des journalistes, mais hors presse — ne soient pas relayées, et n’engendrent pas d’enquête parlementaire ou de poursuites judiciaires :

Les ouvrages des journalistes Laurent Mauduit (La caste. Enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, 2018) et Marc Endeweld (L’ambigu Monsieur Macron, 2018, Le Grand Manipulateur, 2019), des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot (Le président des ultrariches, 2019), du juriste Juan Branco (Crépuscule, 2019) ou du député et journaliste François Rufin (Ce pays que tu ne connais pas, 2019) ont relaté avec précision l’entremêlement hallucinant et luxuriant d’affaires, de conflits d’intérêts, de renvois d’ascenseurs, de lucratives carrières accélérées par la magie des pantouflages et des rétropantouflages, etc. Ces ouvrages n’ont pour l’instant pas fait l’objet de plaintes pour diffamation. Ce qu’on y lit est pourtant ahurissant !
Profiter de sa position dans l’appareil d’État pour rendre des services à des milliardaires ou à des grandes entreprises en remerciement du soutien lors des campagnes électorales ou pour ensuite y trouver (en échange) un poste semble devenir une pratique courante. Conjoints, frères et sœurs, anciens collaborateurs, riches sponsors forment une toute petite caste prompte à défendre ses intérêts personnels49.

Une puissance bourgeoise camouflée derrière la théâtralisation des combats égalitaristes

Pour masquer l’identité du véritable souverain et de son pouvoir colossal, le régime démocratique suscite et entretient la passion de l’égalité présentée — dans une démarche toute progressiste — comme une lutte perpétuelle. En ethnologue de la jeune démocratie américaine, Alexis de Tocqueville (1805-1859) remarque en effet :

Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l’égalité sans pouvoir jamais la satisfaire entièrement50.

Et notre société ne voit-elle pas en effet sans cesse émerger de nouvelles luttes libertaires et égalitaires, dont la promotion est assurée par les médias et financée par l’État et les entreprises ?
– Ainsi d’énormes moyens sont aujourd’hui investis dans des campagnes de propagande pour l’homosexualité, pour l’inclusion des « personnes gays », et plus récemment celle des « personnes trans », le tout sur fond de combat contre l’autorité naturelle du père de famille rebaptisée « lutte intersectionnelle contre le patriarcat ».
– Il n’est pas jusqu’au genre des mots eux-mêmes qui échappe à la revendication égalitaire, comme si les mots avaient un sexe. Aussi, face à la déferlante de la passion égalitariste, les rappels rationnels de linguistes de renom comme Franck Neveu demeurent-ils vains :

Les mots n’ont pas de sexe, mais ils ont un genre, qui est conventionnel, et qui en français se répartit entre deux pôles (masculin/féminin). Le genre est une catégorie grammaticale, comme le nombre, l’aspect, par exemple, ou, dans les langues flexionnelles, le cas (c’est-à-dire la fonction).
Ces catégories ont un rôle morphosyntaxique. Elles permettent d’établir les relations entre les mots au sein de l’énoncé, les accords par exemple. Elles n’ont aucun effet sur les représentations du monde.
– Si au restaurant je commande un lapin aux pruneaux, je ne demande pas qu’on me serve un lapin mâle.
– Si j’évoque les sentinelles qui gardent l’entrée d’un bâtiment militaire, je ne féminise pas les soldats qui occupent cette fonction.
Il n’y a aucune corrélation à établir entre le genre des mots et le sexe de leur référent51.

D’un pouvoir bourgeois schizophrène, à la haine de soi

Malgré l’étendard de l’égalité qu’il brandit, l’État bourgeois ne peut cacher l’inégalité de richesse qu’il génère. Aussi, les pauvres constituent-ils un reproche vivant à son ambition de jouissance de la propriété. Hannah Arendt approfondit les raisons de cette indécence de la pauvreté dans la société bourgeoise :

Selon les critères bourgeois, ceux à qui la chance ou le succès ne sourient jamais sont automatiquement rayés de la compétition, laquelle est la vie de la société [bourgeoise]. La bonne fortune s’identifie à l’honneur, la mauvaise à la honte.
En déléguant ses droits politiques à l’État, l’individu lui abandonne également ses responsabilités sociales : il demande à l’État de le soulager du fardeau que représentent les pauvres, exactement comme il demande à être protégé contre les criminels.
La différence entre indigent et criminel disparaît — tous deux se tenant en dehors de la société. Ceux qui n’ont pas de succès sont dépouillés de la vertu que leur avait léguée la civilisation classique ; ceux qui n’ont pas de chance ne peuvent plus en appeler à la charité chrétienne 52.

Fin analyste, François Furet examine alors la schizophrénie qu’engendre le divorce entre l’idéal égalitaire affiché par la société bourgeoise et la réalité :

Ainsi l’idée d’égalité fonctionne-t-elle comme horizon imaginaire de la société bourgeoise, jamais atteint par définition, mais constamment invoquée comme dénonciation de ladite société ; de plus en plus lointain d’ailleurs au fur et à mesure que l’égalité progresse, ce qui lui assure un interminable usage.
Le malheur du bourgeois n’est pas seulement d’être divisé à l’intérieur de lui-même. C’est d’offrir une moitié de lui-même à la critique de l’autre moitié53.

En effet, la schizophrénie du bourgeois est la source d’une véritable haine qu’il éprouve à son égard :

La scène fondamentale de cette société [la société moderne] n’est pas, comme l’a cru Marx, la lutte de l’ouvrier contre le bourgeois : en effet, si les ouvriers ne rêvent que de devenir bourgeois, cette lutte est simplement partie du mouvement général de la démocratie.
Beaucoup plus essentielle est la haine du bourgeois pour lui-même, et cette déchirure intérieure qui le retourne contre ce qu’il est : tout puissant sur l’économie, maître des choses, mais sans pouvoir légitime sur les hommes, et privé d’unité morale dans son for intérieur. Créateur d’une richesse inédite, mais bouc émissaire de la politique démocratique54.

Voici qui explique sans doute la détestation que nos sociétés bourgeoises se vouent à elles-mêmes. Ultimement, la crise de la société démocratique n’est-elle pas une crise de la légitimité ? Le bourgeois, maître omnipotent de la démocratie, se sachant illégitime :

Un roi est infiniment plus vaste que sa personne, un aristocrate tient son prestige d’un passé plus ancien que lui, un socialiste prêche la lutte pour un monde où il ne sera plus. Mais l’homme riche, lui, n’est que ce qu’il est : riche, c’est tout.
L’argent ne témoigne pas de ses vertus ni même de son travail, comme dans la version puritaine ; il lui est venu au mieux par chance, et dans ce cas il peut le perdre demain par malchance ; au pis, il a été acquis sur le travail des autres, par ladrerie ou par cupidité, ou les deux ensemble.
L’argent éloigne le bourgeois de ses semblables, sans lui apporter ce minimum de considération qui lui permette de les gouverner paisiblement 55.

Le pouvoir sans les bornes de la loi naturelle — autrement dit sans l’idéal de la vertu — ne fait pas l’autorité. Pour la même raison la légalité ne fait pas la légitimité. Cette légalité devient même odieuse quand elle est dédiée à la protection d’intérêts égoïstes au détriment du bien commun. Ainsi l’aversion pour la légalité bourgeoise suscite-t-elle de nouvelles idéologies qui en gardent cependant le caractère autonome et l’aspiration à la toute puissance :

Dénoncer le mensonge de la légalité bourgeoise est un lieu commun du socialisme ou du syndicalisme révolutionnaire avant d’être un leitmotiv du mouvement fasciste56.

Après une vie passée à l’étude des totalitarismes, Hannah Arendt doit reconnaître qu’ils sont bien les fruits de l’abandon de toute référence transcendante :

Je suis parfaitement sûre que toute cette catastrophe totalitaire ne serait pas arrivée si les gens avaient encore cru en Dieu, ou plutôt en l’Enfer, s’il y avait encore eu ces références ultimes57.

Perte de transcendance et unité politique

Pas si simple d’assurer l’unité d’un pays sans la légitimité d’un roi fondée sur la transcendance divine. Dans sa Réforme intellectuelle et morale, Ernest Renan expose la solution alternative du volontarisme nationaliste et/ou racial :

Il est clair que, dès que l’on a rejeté le principe de la légitimité dynastique, il n’y a plus, pour donner une base aux délimitations territoriales des États, que le droit des nationalités, c’est-à-dire des groupes naturels déterminés par la race, l’histoire et la volonté des populations58.

Pour pallier le manque de légitimité de la société bourgeoise et donner l’illusion d’une destinée nationale commune, c’est la solution adoptée par la IIIe République laïcarde. Le nationalisme empreint de racisme « scientifique » servira de justification idéologique à la politique de colonisation de l’Afrique et de l’Asie commandée par les appétits commerciaux de la haute bourgeoisie. L’universitaire Carole Reynaud Paligot explique les fondements de cette politique :

Le « paradigme racial » s’est inscrit pleinement dans l’idéologie républicaine, et sa scientificité proclamée participe de la lutte anticléricale et du refus de la tradition biblique monogéniste59. L’inégalité « démontrée » par la méthode anthropologique justifie l’entreprise impériale. La colonisation est inscrite comme l’aboutissement de l’histoire du progrès humain et la France, guide de l’Europe depuis la Révolution française selon la vision vulgarisée par Michelet, devient ainsi le guide des autres races en retard sur la voie de l’ordre et du progrès selon le paradigme comtien60.

En effet, par la voix du ministre Jules Ferry, la Gauche républicaine motive ainsi la colonisation devant l’Assemblée nationale lors du débat du 28 juillet 1885 :

Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures42.

Plus radical encore, le ministre de l’Instruction publique et des Cultes Paul Bert (1833-1886) — médecin éminent d’extrême gauche, puis de Gauche républicaine — enseigne le racisme au jeunes Français. Dans son manuel scolaire de Deuxième année d’enseignement scientifique on lit en effet :

Les Nègres ont la peau noire, les cheveux frisés comme de la laine, les mâchoires en avant, le nez épaté ; ils sont bien moins intelligents que les chinois, et surtout que les blancs. […] Seulement il faut bien savoir que les blancs, étant plus intelligents, plus travailleurs, plus courageux que les autres, ont envahi le monde entier, et menacent de détruire ou de subjuguer toutes les races inférieures. Et il y a de ces hommes qui sont vraiment bien inférieurs61.

Ailleurs ce même ministre expose, selon un schéma très darwiniste, le sort que la République réserve aux populations colonisées :

Il faut placer l’indigène en position de s’assimiler ou de disparaître62.

Opportuniste, le bourgeois ne connaît d’autre règle que celle de la loi du libre commerce, de la loi de l’offre et de la demande. La démocratie lui permet de la mettre en œuvre incognito, selon ses intérêts du moment et au nom de la volonté générale. Chronologiquement :
– L’égalité sert de moteur populaire aux révolutions qui propulsent la haute bourgeoisie au pouvoir et lui ouvrent ainsi de nouveaux marchés.
– Le nationalisme abolit les privilèges des provinces — qui freinent le libre échange — et uniformise la consommation.
– Le racisme justifie le colonialisme quand les frontières nationales sont devenues trop petites pour les affaires. C’est aussi aussi un moyen détourné de s’opposer « scientifiquement » à une religion catholique insupportable avec ses rappels moraux sur les limites de la propriété, sur le devoir de partage et contre l’appât du gain.
– L’antiracisme, cent ans plus tard, est l’arme pour désamorcer toute contestation à l’importation massive de travailleurs immigrés bon marché. Les autochtones qui essaient de préserver leur pays et ses traditions sont taxés du titre désormais infamant de « racistes » et mis ainsi hors de combat.
– Le mondialisme abolit les cultures — et les États qui les protègent — pour livrer à l’oligarchie les individus désormais déracinés, sans défense, et pour les réduire à la fois à l’état de consommateurs et à celui de produits de consommation dans un marché planétaire.

Restaurer la société traditionnelle en France

La société monstrueuse créée par la démocratie aux mains du pouvoir bourgeois n’est pas sans effrayer les modernes eux-mêmes, et un penseur comme Ernest Renan — pourtant tout pétri du principe d’autonomie de l’homme — ne peut qu’espérer, selon une vision naturaliste :

Un pays qui a joué un rôle de premier ordre n’a pas le droit de se réduire au matérialisme bourgeois qui ne demande qu’à jouir tranquillement de ses richesses acquises. […]
Donnez à la France un roi jeune, sérieux, austère en ses mœurs ; qu’il règne cinquante ans, qu’il groupe autour de lui des hommes âpres au travail, fanatiques de leur œuvre, et la France aura encore un siècle de gloire et de prospérité63.

En effet, l’organisation traditionnelle de la société ambitionne de permettre à tous de vivre tout en contribuant au bien commun. En particulier, la liberté pour les membres d’une même profession de s’organiser en métier juré moralise le travail en limitant les effets de la concurrence, en assurant des salaires honnêtes et une protection sociale à tous ses membres. Le sociologue allemand Werner Sombard (1863-1941) ne s’y trompe pas en déclarant que…

… les corporations étaient les ennemis mortels du capitalisme64.

Dès le milieu du XIXe siècle, le Comte de Chambord — successeur des rois de France sous le titre de Henri V — stigmatise la misère ouvrière provoquée par la Révolution bourgeoise, et ceci bien avant sa récupération par l’idéologie socialiste. Pour remédier à cette calamité sociale, il préconise le retour à la société naturelle organique en redonnant aux hommes de métier la propriété de leur travail, en restaurant les corporations dans ses instances paritaires (maîtres, compagnons et apprentis) pour le bien commun :

L’Assemblée constituante ne se contenta pas, ainsi que l’avaient demandé les cahiers, de donner plus de liberté à l’industrie, au commerce et au travail ; elle renversa toutes les barrières, et au lieu de dégager les associations des entraves qui les gênaient, elle prohiba jusqu’au droit de réunion et à la faculté de concert et d’entente.
Les jurandes et les maîtrises disparurent. La liberté du travail fut proclamée, mais la liberté d’association fut détruite du même coup.
De là cet individualisme dont l’ouvrier est encore aujourd’hui la victime. Condamné à être seul, la loi le frappe s’il veut s’entendre avec ses compagnons, s’il veut former pour se défendre, pour se protéger, pour se faire représenter, une de ces unions qui sont de droit naturel, que commande la force des choses, et que la société devrait encourager en les réglant.
Il faut rendre aux ouvriers le droit de se concerter, en conciliant ce droit avec les impérieuses nécessités de la paix publique, de la concorde entre les citoyens et du respect des droits de tous. Le seul moyen d’y parvenir est la liberté d’association sagement réglée, et renfermée dans de justes bornes. […]
La communauté d’intérêts entre les patrons et les ouvriers sera une cause de concorde, et non d’antagonisme. La paix et l’ordre sortiront de ces délibérations, où, selon la raison et l’expérience, figureront les mandataires les plus capables et les plus conciliants des deux côtés. Une équitable satisfaction sera ainsi assurée aux ouvriers ; les abus de la concurrence seront évités autant que possible, et la domination du privilège industriel resserrée en d’étroites limites.

Le renoncement à l’égoïsme bourgeois — qui fonde la société moderne — et le retour à une société traditionnelle centrée sur le bien commun, ne pourront se réaliser que si le pouvoir politique reconnaît la loi naturelle comme limite à sa propre législation, ce qui revient à se soumettre à l’Auteur de cette loi de notre nature, à reconnaître institutionnellement la suzeraineté de Dieu. Tel est bien le rôle du Sacre et de ses serments dont le successeur légitime des rois de France — Louis, duc d’Anjou — a rappelé récemment l’importance65 :

Le sacre revêt une dimension politique de tout premier plan.
– Il permet en effet de réaffirmer, roi après roi, la transcendance sans laquelle il n’est pas de vrai pouvoir, à la fois fort et équilibré. Mettre le divin au cœur du pouvoir permet d’abord au souverain d’avoir toujours présent à l’esprit qu’il n’est pas un maître absolu, parce qu’il n’est pas lui-même à l’origine de son propre pouvoir, et qu’il devra par suite rendre des comptes de l’exercice de ce pouvoir devant Dieu.
– Cela permet aussi à ses sujets de se souvenir qu’il y a un ordre des choses, qui dépasse la volonté et les désirs des hommes, et qui ne saurait être enfreint sans péril. Comment ne pas y être tout particulièrement sensibles en des jours où les événements tragiques se multiplient dans notre pays, jusqu’à parfois atteindre des sommets d’horreur, comme tout dernièrement avec le meurtre barbare de cette jeune enfant66 à Paris ?

L’onction du roi consacrait ainsi le bien commun comme principe qui légitime le pouvoir, celui du plus grand et du plus puissant comme celui du plus humble.
Le sacre rappelait que, tous, nous sommes responsables de nos actes. Les rois, mes ancêtres, le savaient et le serment qu’ils prononçaient au jour du sacre demeurait pour toujours leur principale loi. C’est ce qui fit la grandeur de leur office pouvant aller jusqu’au sacrifice, comme pour Louis XVI.

Louis de Bourbon, duc d’Anjou

 

  1. François Furet, Le passé d’une illusion, Robert Laffont, col. Le livre de poche, Paris, 1995, p. 19.
  2. « Il est une loi véritable, la droite raison, conforme à la nature, universelle, immuable, éternelle dont les ordres invitent au devoir, dont les prohibitions éloignent du mal.
    Soit qu’elle commande, soit qu’elle défende, ses paroles ne sont ni vaines auprès des bons, ni puissantes sur les méchants. Cette loi ne saurait être contredite par une autre, ni rapportée en quelque partie, ni abrogée tout entière. Ni le sénat, ni le peuple ne peuvent nous délier de l’obéissance à cette loi. Elle n’a pas besoin d’un nouvel interprète, ou d’un organe nouveau.
    Elle ne sera pas autre dans Rome, autre dans Athènes ; elle ne sera pas autre demain qu’aujourd’hui : mais, dans toutes les nations et dans tous les temps, cette loi régnera toujours, une, éternelle, impérissable ; et le guide commun, le roi de toutes les créatures, Dieu même donne la naissance, la sanction et la publicité à cette loi, que l’homme ne peut méconnaître, sans se fuir lui-même, sans renier sa nature, et par cela seul, sans subir les plus dures expiations, eût-il évité d’ailleurs tout ce qu’on appelle supplice.
    » (Cicéron, De republica, livre III, 17, La république de Cicéron traduite d’après un texte découvert par M. Mai, par M. Villemain de l’Académie française, Didier et Cie librairies-éditeurs, 1858, p. 184-185.)
  3. Voir à ce sujet la collection de préceptes recueillie chez une multitude de peuples par le philosophe anglais Clive Staples Lewis (1898-1963) dans son livre L’abolition de l’homme (Éditions Raphaël, Paris, 2000, p. 99-114.)
  4. Le philosophe Henri Bergson (1859-1941) constate : « On trouve dans le passé, on trouverait même aujourd’hui des sociétés humaines qui n’ont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il n’y a jamais eu de société sans religion. » (Les Deux Sources de la morale et de la religion, Félix Alcan, 1937, p. 105.)
  5. Dans la modernité les religions perdurent sous forme d’idéologies — ou religions séculières (libéralisme, socialisme et nationalisme) — qui remplacent la divinité créatrice par l’homme-dieu. « Étant donné que l’homme ne peut vivre sans religion, quelle qu’en soit la forme, le recul du christianisme en Occident a été suivi par la montée de religions de remplacement sous la forme des idéologies post-chrétiennes — le nationalisme, l’individualisme et le communisme. » (Arnold Toynbee cité par Jean-Pierre Sironneau, Sécularisation et religions politiques, Mouton & Cie, Paris, 1982, p. 206.)
  6. Saint Thomas d’Aquin, (Somme théologique, IIa IIæ, Question 66, article 1.)
  7. Ibidem.
  8. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIæ, Question 66, article 7.
  9. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, IIæ, Question 105, article 2.
  10. Saint Thomas d’Aquin dit : « Il y a en tout humain une inclination naturelle à agir conformément à sa raison. Ce qui est proprement agir selon la vertu. » (Somme théologique, Ia, IIæ, « La loi », Question 94, Article 3.)
  11. Saint Thomas d’Aquin, Du gouvernement royal, Livre I, Chapitre XV, « Conditions d’une vie honnête », trad. Claude Roguet, Éditions de la Gazette française, 1926, p 119-129.
  12. Jean Bodin, Les Six Livres de la République, livre II, chap. III (De la monarchie royale), Librairie Jacques du Puys, Paris, 1577, p. 239.
  13. Jean Bodin, Les six livres de la République, livre IV, Ibidem, p. 478.
  14. Cicéron, cité par saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIæ, Question 58, article 2.
  15. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIæ, Question 57, article 1.
  16. Aristote, Éthique à Nicomaque, livre V, trad. Jean Defradas, Presses pocket, col. Agora les classiques, 1992, p. 134.
  17. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIæ, Question 61, article 2.
  18. Le Professeur Marie-Pauline Deswarte précise ce qu’on peut entendre par le terme société organique en prenant l’exemple de la monarchie traditionnelle française : « La monarchie de l’Ancien Régime reposait effectivement sur cette conception organique de la société. […]
    On avait ainsi l’idée que la direction de l’État était confiée à un Prince qui constituait la tête du corps social et qui était responsable de son autorité devant Dieu et, jusqu’à un certain point, devant les sujets. Lui seul représentait l’État, c’est à dire le corps politique et social pris dans son ensemble. […]
    Selon la vision chrétienne héritée du Moyen Âge, il convenait […] de soustraire l’homme à l’arbitraire de l’État pour s’inscrire dans un ordre social soumis à la loi divine exigeant, entre autres, que justice soit rendue à chacun. Aussi deux principes de vie organique s’étaient-ils naturellement dégagés ; ils montrent combien l’on était loin de la conception mécanique et individualiste des temps modernes.
    – Le premier visait à assurer l’harmonie au sein de l’État ; c’est ce que l’on a appelé, depuis, le principe de subsidiarité, principe de base de toute société organique, selon lequel le groupement d’ordre supérieur ne devait pas intervenir dans la vie des groupements d’ordre inférieur, à commencer par la famille, mais les soutenir.
    – Le second tendait, par delà la variété des groupements naturels, à réaliser l’unité de l’État en harmonisant les fins respectives de l’ensemble de ces groupes ; c’est ce que l’on a nommé le principe de finalité. Selon ce principe, les groupements du corps social sont des organes vivants et complémentaires qui agissent chacun pour leur bien commun propre, mais aussi pour le bien commun du corps tout entier. Et, au lieu de s’opposer (comme dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau), les deux catégories de biens se complètent.
    Cette conception organique avait une grande force instituante car elle s’enracinait dans le modèle de la famille, cellule de base sur laquelle reposait la société tout entière
    ». (La République organique en France, Via romana, Paris, 2014, p. 16-19.)
  19. Somme théologique, IIa, IIæ, Question 58, article 1.
  20. Cf. Régine Pernoud, La bourgeoisie, Presses universitaires françaises, col. « Que sais-je ? », Paris, 1985, p. 43-46.
  21. Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, trad. H. Lachelier, Deuxième section, « L’autonomie de la volonté comme principe suprême de la moralité », Hachette et Cie, 3e édition, Paris, 1915 p. 85.
  22. Jules Michelet, Œuvres de J. Michelet, Histoire de la Révolution française, Alphonse Lemerre éditeur, Paris, 1888, tome I, p. 12.
  23. Hannah Arendt déclare : « Hobbes est en effet le seul grand philosophe que la bourgeoisie puisse revendiquer à juste titre comme exclusivement sien, même si la classe bourgeoise a mis longtemps à reconnaître ses principes. » (Les origines du totalitarisme, tome II « L’impérialisme », Fayard, col. Essais, Paris, 1982, p. 44-45.)
  24. Thomas Hobbes, Léviathan, Chap. 46 « Des ténèbres produites par la vaine philosophie et les traditions fabuleuses », traduction Gérard Mairet, Gallimard, col. Folio essais, Paris, 2000, p. 913.
  25. Auguste Comte explique en effet : « L’ensemble des indications propres à cette seconde partie caractérise déjà l’aptitude spéciale du positivisme, non seulement pour déterminer et préparer l’avenir, mais aussi pour conseiller et améliorer le présent, toujours d’après l’exacte appréciation systématique du passé, suivant la saine théorie fondamentale de l’évolution humaine. Aucune autre philosophie ne peut aborder l’irrévocable question que l’élite de l’humanité pose désormais à tous ses directeurs spirituels : réorganiser sans dieu ni roi, sous la seule prépondérance normale, à la fois privée et publique, du sentiment social, convenablement assisté de la raison positive et de l’activité réelle. » (Discours sur l’ensemble du positivisme, Éd. Société positiviste internationale, Paris, 1907, p. 134.)
  26. Charles Maurras (disciple de Comte), Romantisme et Révolution, Éd. Nouvelle librairie nationale, Paris, 1922, Auguste Comte, « L’ordre positif d’après Comte », p. 106-107.
  27. Karl Marx, Œuvres philosophiques, « Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure (1841) », trad. Jacques Molitor, A. Costes, Paris, 1946, p. XXIV.
  28. Le philosophe Luc Ferry a été ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche de mai 2002 à mars 2004 sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et sous la présidence de Jacques Chirac.
  29. Luc Ferry, L’homme-Dieu ou le sens de la vie, Grasset, Paris, 1996, p. 210.
  30. Article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1791.
  31. Hannah Arendt, La crise de la culture, Gallimard, col. Folio-essais, Paris, 2007, p. 130.
  32. Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l’Église, Office de publicité, Bruxelles, 1860, p. 8.
  33. Jules Ferry, cité par Jean Jaurès, « Préface aux Discours parlementaires », Le socialisme et le radicalisme en 1885, Présentation de Madeleine Rebérioux, « Ressources », réédition Slatkine, 1980, p. 28-29.
  34. Jules Ferry, « Discours sur l’égalité d’éducation », Discours et opinions de Jules Ferry, tome I, Armand Colin, Paris, 1893, p. 284.
  35. Jean-Jacques Rousseau, Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Garnier-Frères, Paris, 1889, p. 254.
  36. N’en doutons pas, les droit naturels invoqués ici ne sont pas ceux des classiques dont nous parlions en première partie, mais ceux des modernes (Hobbes, Grotius …). On se référera à l’article de Guy Augé : « Droit et justice dans les écoles du droit naturel classique et moderne ».
  37. Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, avis du Conseil d’État, tome troisième, A. Guyot et scribe, Paris, 1834, p. 22.
  38. Régine Pernoud, La bourgeoisie, Presses Universitaires de France, col. Que sais-je, Paris, 1985, p. 91-92.
  39. Louis de Bonald, Réflexions sur la révolution de 1830 et autres inédits, présentés et annotés par Jean Bastier, Éditions Duc/Albatros, Paris, 1988, p. 84.
  40. Hannah Arendt, L’Impérialisme, Les origines du totalitarisme, trad. Martine Leiris, Fayard, col. Points Essais, Paris, 2002, p. 51.
  41. Hannah Arendt, L’Impérialisme, Les origines du totalitarisme, trad. Martine Leiris, Fayard, col. Points Essais, Paris, 2002, p. 52.
  42. Jules Ferry à l’Assemblée nationale le 28 juillet 1885, Journal officiel, Année 1885, rapporté le 29 juillet, p. 1668, colonne centrale.
  43. Jean Quatremer, Libération,  « Textos avec le PDG de Pfizer : mais que cache Ursula von der Leyen ? », 28 janvier 2022 : « Ursula von der Leyen voudrait alimenter les thèses complotistes qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. En effet, la présidente de la Commission a refusé de rendre publics les SMS échangés en avril 2021 avec le directeur général du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer, le Grec Albert Bourla, alors qu’elle négociait, au nom des Etats membres de l’Union, l’achat de 1,8 milliard de doses supplémentaires du vaccin contre le Covid pour un montant de 35 milliards d’euros. La particularité de ce contrat, conclu en mai, est qu’il a porté le coût de la dose de 15,50 à 19,50 euros, soit une augmentation d’un quart du prix, ce qui n’est guère un résultat brillant vu la quantité commandée… »
  44. Question parlementaire – E-003740/2022 – Parlement européen : « Le mari de l’actuelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est le directeur médical d’Orgenesis Inc., une entreprise qui collabore avec Pfizer-BioNTech et participe directement au développement de thérapies génétiques, en particulier de vaccins à acide ribonucléique messager (ARNm). L’entreprise agit également en relation avec des consortiums qui ont participé à des appels d’offres en matière de fonds de recouvrement pour la recherche et le développement et en ont remporté, et ce dans au moins deux États membres. La présidente de la Commission joue un rôle de premier plan dans la gestion des relations avec les entreprises pharmaceutiques et dans la gestion des fonds européens destinés à la recherche et au développement de thérapies géniques. M. von der Leyen tire un avantage économique appréciable de la manière dont la position de premier plan de son épouse dans l’Union influence son activité.
    Compte tenu de ce qui précède, comment la Commission entend-elle résoudre ce grave conflit d’intérêts ? »
    (Dépôt: 17.11.2022)
  45. Régine Pernoud, La bourgeoisie, Presses Universitaires de France, col. Que sais-je, Paris, 1985, p. 11.
  46. Louis de Bonald, Réflexions sur la Révolution de 1830 et autres inédits, « Du commerce et de l’industrie », DUC/Albatros, Paris, 1988, p. 83.
  47. Marie Bénilde, Le Monde diplomatique,  « Le candidat des médias. Emmanuel Macron, fabriqué pour servir », mai 2017, p. 9.
  48. Marc Loriol est sociologue, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société (IDHES) Paris 1.
  49. Marc Loriol, Reporterre, « La macronie, royaume des conflits d’intérêts », 12 juin 2019.
  50. Alexis de Tocqueville, Œuvres complètes d’Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome II, chap. V, Paris, 1868, p. 48.
  51. Franck Neveu, Le Figaro, « Pour ou contre l’écriture inclusive? Deux linguistes débattent », 30/03/2021.
  52. Hannah Arendt, L’Impérialisme, Les origines du totalitarisme, trad. Martine Leiris, Fayard, col. Points.Essais, Paris, 2002, p. 49.
  53. François Furet, Le passé d’une illusion, éd. Robert Laffont, coll. Le livre de poche, Paris, 1995, p. 23.
  54. François Furet, Le passé d’une illusion, éd. Robert Laffont, coll. Le livre de poche, Paris, 1995, p. 35.
  55. François Furet, Le passé d’une illusion, éd. Robert Laffont, coll. Le livre de poche, Paris, 1995, p. 30.
  56. François Furet, Le passé d’une illusion, éd. Robert Laffont, coll. Le livre de poche, Paris, 1995, p. 284.
  57. Hannah Arendt, The recovery of the public world, St. Martin’s press, 1979, New York, p. 113-114.
  58. Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale, Michel Lévy Frères, Paris, 1871, p. 169.
  59. La Bible enseigne en effet que toutes les races sont filles d’Adam et Ève créés à l’image de Dieu. La génétique moderne confirme l’existence d’une « Ève mitochondriale » mère de toute l’humanité actuelle.
  60. Carole Reynaud Paligot, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine (1860-1930), Paris, Presses Universitaires de France, 2006.
  61. Paul Bert, Deuxième année d’enseignement scientifique, Armand-Colin, Paris, 1888, p. 17-18.
  62. Paul Bert cité par Carole Reynaud Paligot, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine (1860-1930), Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 69.
  63. Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale, Michel Lévy Frères, Paris, 1871, p. 2, 75-76.
  64. Werner Sombard, Le bourgeois. Contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme économique moderne, « L’activité professionnelle pré-capitaliste », Éditions Payot, Trad. S. Jankélévitch, Paris, 1928.}
  65. Nous transcrivons ici le discours du Duc d’Anjou, prononcé à l’occasion du tricentenaire du sacre de Louis XV.Source : Instagram @louisducdanjou
  66. Louis XX fait référence à la petite Lola Daviet, violée, torturée et tuée par Dahbia Benkired, jeune femme algérienne, et immigrée en situation illégale sur le sol français. Voir l’article du Point : Meurtre de Lola : retour sur huit heures de barbarie.
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