La philosophe Hannah Arendt remarque bien que « l’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté*. » Et en effet, dans l’extraordinaire diversité de l’Ancienne France, non seulement le Roi protège les libertés concrètes des corps intermédiaires, mais il est aussi le principe de leur unité harmonieuse. Pour ordonner et diriger chacun vers le bien commun, son autorité est absolue, autrement dit indépendante des intérêts particuliers. Parce que le Roi exerce cette autorité à la manière bienveillante d’un père, il obtient le meilleur de ses sujets et suscite chez eux amour, courage et dévouement. [La Rédaction]
* Hannah ARENDT, La crise de la culture, Folio Essais, p. 140.
Table des matières
Une autorité royale créatrice d’ordre et de libertés
Le thème de cette étude1 sera centré sur les rapports de l’ordre et de la liberté dans la monarchie d’Ancien Régime.
Il faut tenir compte, évidemment, du fait que nous sommes des Français de 2010 et que dans l’esprit du Français moyen, intoxiqué par deux cents ans de propagande démocratique, les deux notions de liberté et d’ordre sont apparemment contradictoires.
Si cette contradiction était réelle, ce serait très grave ; saint Thomas avait déjà remarqué ceci :
Toute société est instituée par quelqu’un qui la réalise.
En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de société sans une autorité qui donne aux activités individuelles leur unité de direction. Même dans une société d’anges, il faudrait bien que quelqu’un coordonne l’action des anges. L’Église, autrefois, traitait d’ailleurs des hiérarchies d’anges. Elle les a oubliées aujourd’hui. N’insistons pas.
La société suppose ainsi l’autorité. Parce qu’elle a initialement l’intelligence du but commun, l’autorité doit communiquer cette intelligence à tous les membres de la société.
En réalisant la vie sociale, la société augmente, développe, protège le champ des possibilités de la liberté. Les libertés humaines, en effet, sont toujours menacées. Elles sont d’abord menacées les unes par les autres. Elles ont besoin d’être protégées et fortifiées. En les maintenant, l’autorité est protectrice et éducatrice des libertés, elle les canalise vers le bien commun.
L’ordre public réalisé par une autorité puisant ses forces dans la doctrine chrétienne ne peut d’ailleurs pas être oppressif, et l’histoire fournit de cette vérité un exemple significatif du jeu harmonieux et durable d’une autorité créatrice d’ordre et de liberté : la doctrine politique et l’action des Rois français d’Ancien Régime, qui ont réalisé cet idéal d’ordre public, harmonisé avec les libertés : un ordre public résultant de la conjonction d’une autorité véritable, mais modérée dans son exercice, et de liberté authentique.
Je verrai donc d’abord l’autorité royale, puis les libertés.
Sur le sens de l’expression « autorité absolue »
L’autorité royale, évidemment, sous l’Ancien Régime, et dès le début, est absolue, c’est-à-dire indépendante.
L’œuvre des rois de France a été de faire de la France une société naturelle ; la famille est justement le type des sociétés de ce genre où l’on est jeté par la Providence (ou par le sort) : on ne choisit pas sa famille. De la même façon, on ne choisit pas le Royaume où l’on apparaît, on ne choisit pas la société où l’on apparaît.
La monarchie française, prolongement de la famille, va devenir une société où la loi, le droit, la longue habitude du travail en commun, œuvrent dans le même sens que les forces du sol, que les forces de la race2 et les ressorts sentimentaux. Maurras a d’ailleurs écrit :
la patrie française est devenue par œuvre royale une société naturelle, elle en a tous les attributs dont l’essentiel est la bienfaisance.
La Monarchie française constitue donc le résultat d’une combinaison harmonieuse d’ordre et de liberté, et le problème de l’ordre, c’est le problème de l’autorité.
Cette autorité, sous les Rois de France, était indépendante, et le juriste Gui Coquille qui écrit au début du XVIIe siècle, dit ceci :
le Roi est monarque et n’a pas de compagnon en sa majesté royale
« Monarque » signifie, étymologiquement, que le Roi est seul à commander, et l’adage proclame donc l’unité du pouvoir entre les mains du Roi ; le Roi dispose de tout le pouvoir ; le commentaire qui accompagne d’ailleurs le mot « monarque », et qui consiste à ajouter « et n’a pas de compagnon en sa majesté royale » rappelle d’ailleurs un dicton qui existe dès le XVe siècle « il n’est pas possible d’avoir en la monarchie pair et compagnon ».
Le pouvoir est donc unique et il est entre les mains du Roi, — et la formule de Gui Coquille semble viser pour l’exclure un état différent ; en effet, la monarchie s’est présentée comme protectrice de l’ordre contre un certain nombre d’obstacles : le pouvoir royal qui existe au départ de la dynastie capétienne a été obligé de défendre son indépendance et son autorité contre différentes forces ;
— contre, d’abord, les emprises de son lignage,
— contre les emprises de la haute noblesse,
— contre les prétentions, dépourvues d’ailleurs de fondements, il faut le souligner, des Parlements et des États Généraux.
Indépendance du roi à l’égard de son lignage
La monarchie familiale des premiers Capétiens
Dans le haut Moyen Âge la force du lien familial est très grande et elle est très connue ; l’individu ne se conçoit pas coupé de sa lignée, coupé de ses aïeux.
Les premiers Capétiens ont baigné dans cette ambiance. La Royauté n’a pas été confiée à Hugues Capet, mais à la famille d’Hugues Capet, tout autant qu’à lui-même.
Il est par conséquent naturel, bien sûr, que le Roi exerce son autorité de concert avec sa famille, avec la Reine et avec son fils aîné ; il y a d’ailleurs là une trinité qui n’est pas absurde : au XIe siècle, les diplômes royaux sont signés des trois personnes à la fois, ils sont expédiés au nom de toute la famille, au nom du Roi, au nom de sa femme et au nom de son fils aîné, le Roi associé ; ils sont souscrits conjointement par les trois.
Au premier siècle de la Monarchie capétienne, la royauté s’exerce donc dans une atmosphère familiale, où collaborent l’action du Roi qui est dans la plénitude de l’âge, les impulsions féminines de la Reine, et les vues d’avenir du jeune Prince qui, lui aussi, sera Roi.
Le Roi fait aussi parfois appel — c’est dire combien le gouvernement est familial — aux conseils de sa mère, qu’on appelle traditionnellement la « reine blanche » ; il requiert aussi éventuellement les conseils de ses frères, qui sont par nature les soutiens de la couronne. Les filles ne jouent évidemment aucun rôle, puisque, par mariage, elles passeront dans un autre lignage.
L’autorité royale qui s’exerce en famille au départ doit aussi s’exercer à l’origine avec le concours des Grands et des prélats ; ils élisent le Roi associé, sous l’œil paternel du Roi présent ; ils reconnaissent la souveraineté du Roi à qui ils prêtent hommage et fidélité, mais ils participent aussi à l’autorité royale, d’abord en venant assister, à des périodes accoutumées, sur semonce du Roi, aux sessions de la cour du Roi ; ils y viennent non pas pour exercer des prérogatives précises, mais pour remplir leur devoir de cour et de conseil ; il reste que le Roi leur fait part de ses projets, qu’il demande leur concours, qu’il accueille leurs prières, et leur influence dans la marche des affaires est absolument certaine, au moins au XIe siècle.
Une première mutation amorcée sous Philippe Auguste
Cette atmosphère familiale où baigne le pouvoir des premiers Capétiens s’est rapidement modifiée ; dès le règne de Philippe-Auguste (1180) l’influence de la Reine décline : Louis IX, qui a constamment défendu contre les prétentions de sa mère Blanche de Castille sa femme Marguerite de Provence, n’a jamais appelé celle-ci à son conseil, — changement capital.
Plus tard, Charles V a bien fait participer sa femme au gouvernement, mais le nom de la reine n’apparaît jamais dans les actes royaux.
La dislocation de la trinité capétienne est un fait à ce moment-là, elle résulte aussi de ce que le fils aîné n’est plus associé au trône du vivant de son père, cela depuis 1180 ; dès lors, il ne peut plus invoquer un droit propre à l’exercice du pouvoir royal.
Des expériences cruelles au sein de la famille royale ont accentué cette évolution vers l’unicité de décision.
La conduite d’Isabeau de Bavière, pendant la maladie de Charles VI, qui s’analyse en une dépression profonde chronique, a détourné les Rois de faire confiance aux reines.
Se prémunir contre les complots de parents
Quant aux parents du Roi, leurs complots ont jalonné l’histoire depuis Robert d’Artois et Charles de Navarre jusqu’à Gaston d’Orléans ; les querelles des oncles du Roi pendant la folie de Charles VI ont entraîné la guerre entre Armagnacs et Bourguignons ; elles ont favorisé le jeu de l’Angleterre, ce qui est beaucoup plus grave encore.
Sous Charles VII, le Dauphin Louis a participé activement à la révolte de la Praguerie, et lorsqu’il a été couronné sous le nom de Louis XI, le Roi a dû combattre la Ligue du Bien Public, qui était animée par le futur Louis XII, c’est-à-dire le Duc d’Orléans (décidément…).
Vers une unité du pouvoir souhaitée par tous
À toutes ces querelles s’associent les nobles qui dépendent des princes apanagistes, au nom de la fidélité, et aussi certains prélats, si bien que dans ces conditions on ne doit pas être surpris de voir le peuple de France souhaiter de toutes ses forces le renforcement de l’autorité royale ; ce renforcement, pour les Français, c’était le rempart de l’ordre public face aux malheurs de l’anarchie.
La formule de Gui Coquille correspond à la réalisation d’un vœu populaire : « le Roi n’a pas de compagnon en sa majesté royale » ; et elle marque l’aboutissement d’une tendance profonde, ancienne, naturelle vers l’unité du pouvoir entre les mains du Roi.
La conception que la Monarchie française avait de l’ordre public relève ainsi de l’ordre naturel et de l’empirisme historique.
Les rois de France ont tiré toutes les conséquences de ce principe de l’unicité du pouvoir.
Toutes les conséquences pratiques : le Roi seul est Roi, il est seul revêtu de l’autorité souveraine, il est seul à porter le titre de « majesté », et en 1560, aux États d’Orléans, le Tiers a refusé le titre de « majesté » à la reine-mère ; la reine a des privilèges honorifiques et lucratifs, elle a une maison mais elle n’a le droit à aucune participation aux affaires. Le Roi peut l’appeler à son conseil, comme il peut d’ailleurs y appeler qui il veut, mais cette initiative est à l’entière discrétion du seul Roi.
Le statut particulier des Princes de sang
La situation des fils de France et des Princes du sang est du même genre que celle de la reine : ils ont une très belle situation honorifique, évidemment — (il faut reconnaître que socialement leur position est très difficile à tenir) ; ils sont de sang royal, mais ils n’ont aucun pouvoir, ils ne sont rien ; leur situation honorifique relève du bon sens, le Roi leur confie de grands emplois.
Au moment opportun, le Roi introduit le Dauphin dans ses conseils pour l’initier au gouvernement — immense sagesse de la Monarchie à cet égard : le fils du Roi est formé dès qu’il balbutie ; à cette époque, on ne fait pas de l’enfant un dieu.
Louis XIV agit de cette façon envers le grand Dauphin, et comme celui-ci meurt avant lui, il se comporte de la même façon le Duc de Bourgogne, et Louis XV traitera de même façon avec son petit-fils, ce que l’on a trop tendance à passer sous silence. Néanmoins, ces princes n’ont de place dans les conseils que parce que le Roi les appelle ; les fils de France n’ont aucun droit à une initiative politique.
Pendant les minorités, il est vrai que les fils de France et les Princes du sang ont tendance à envahir le conseil, mais aussitôt que le Roi est majeur, il y met bon ordre. Malgré plusieurs tentatives perpétrées par les Princes du sang, ils n’ont jamais été membres de droit du conseil ; la conduite constante des Rois de France est que nul n’est membre du conseil sans y avoir été appelé par le Roi. Il n’y a pas de droit « né » à faire partie du conseil.
Henri IV écrit ceci :
je veux aussi peu que les princes apprennent à gourmander ma noblesse, cette autorité seule n’appartient qu’à moi, je ne veux céder ce droit à personne et n’en abuser point.
Il a dans l’esprit l’idée de l’unicité du pouvoir, et, plus tard, lorsque le Comte d’Artois voudra forcer la porte du conseil de Louis XVIII, le baron Louis lui rappellera : « le trône est un fauteuil et non pas une banquette » — et encore s’agissait-il de la Restauration.
Indépendance du Roi à l’égard des « Grands »
Si la famille royale n’a aucun droit à participer au pouvoir, à plus forte raison, bien sûr, les membres de la haute noblesse se trouvent-ils privés de tout droit personnel à participer au pouvoir.
Ils sont considérés, à côté et au-dessous des Princes du sang, comme les conseillers naturels du Prince, « les étais du trône », comme dit Saint-Simon ; il est normal de recourir à eux, mais le Roi n’est jamais obligé de le faire, et n’est jamais obligé de les consulter.
Au cours du XVIIIe siècle, le Parlement de Paris a essayé de s’assurer l’appui politique des pairs pour lutter contre la Monarchie et obtenir le partage du pouvoir avec celle-ci. Cette doctrine n’avait pas de fondement sérieux et le Roi l’a parfaitement compris : il a répété qu’il était entièrement et seul maître de la composition de son conseil de gouvernement.
On peut donc affirmer que l’unité du pouvoir, tant à l’égard de la haute noblesse qu’à l’égard de la famille royale est pleinement réalisée au profit du Roi à la fin du XVIe siècle ; on peut vraiment parler d’une Monarchie authentique : le seul qui ait le pouvoir, le seul qui gouverne, c’est le Roi.
Le Roi est absolu : qu’est-ce que cela veut dire ? Cela ne signifie pas qu’il soit tyrannique, mais qu’il est totalement indépendant, qu’il n’est limité par aucun organe constitutionnel indépendant de lui.
Indépendance du Roi à l’égard des États généraux
À côté de la famille royale et de la haute noblesse, deux puissances ont essayé de rogner la puissance royale, et se sont efforcées d’empiéter sur cette indépendance du pouvoir : les États Généraux et le Parlement.
Les États de France étaient étroitement unis au Roi qui les convoquait lorsque bon lui semblait, ensemble ou séparément : il pouvait fort bien ne réunir que les représentants de la noblesse si cela lui chantait, dans le cadre des pays, ou dans le cadre du Royaume tout entier, mais ces assemblées n’existaient que par la volonté du Roi ; elles n’étaient que le conseil étendu du Roi, elles n’avaient aucun droit en elles-mêmes, elles n’exerçaient aucune part de souveraineté.
Comme l’écrit Saint-Simon : « ils sont simplement plaignants et remontrants » — c’était d’ailleurs beaucoup, je veux dire qu’ils pouvaient donner un état du royaume au Roi, mais ils ne sont que « plaignants et remontrants ».
Les États Généraux ont essayé, bien sûr ; ils ont exercé des pressions politiques puissantes sur la Royauté, ils ont même essayé d’accroître cette pression en demandant la périodicité de leurs réunions, ils ont souhaité que celles-ci fussent « automatiques ». Jamais la Monarchie ne l’a accepté, sachant pertinemment d’où venait le modèle : d’outre-Manche, du Parlement d’Angleterre, qui suscitait une émulation parmi les membres les plus agités du Tiers ; la doctrine de la Monarchie est restée très ferme, Jean Bodin, célèbre juriste du XVIe siècle l’a exprimée :
L’assemblée des États Généraux ne parle que par requête et ne fait aucun contre-poids à la puissance souveraine.
Au contraire, cette assemblée des États Généraux ne peut que relever la dignité du trône en se groupant au pied du trône, montrer l’union des sujets autour du Roi, mais l’idée qu’elle ait pu partager un instant quelque fragment du pouvoir était absurde, grotesque, libérale en un mot.
Saint-Simon, au XVIIIe siècle, estime que ce corps représentatif de tout l’État mérite de la considération, c’est vrai : « les Rois doivent de l’estime aux États Généraux », mais Saint-Simon précise que les États ne peuvent se réunir que sur la convocation du Roi, « quand il plaît au Roi ». D’ailleurs, il écrit :
Les États n’avaient pas été convoqués depuis 1614, et cette dernière réunion avait laissé dans l’opinion une impression durable d’inefficacité et d’anarchie.
De fait, ils avaient été d’une parfaite inefficacité en 1614 ; le 14 janvier 1719, l’avocat général Lamoignon demande au Parlement de Paris la suppression d’un libelle qui attribue la souveraineté à l’assemblée des États Généraux et il s’exprime ainsi :
Nous ne reconnaissons en France d’autre souverain que le Roi, les États n’ont que l’avis de la remontrance ; si le Roi était obligé de leur accorder toutes leurs demandes, il cesserait d’être Roi.
Indépendance du Roi à l’égard des Parlements
Le pouvoir du Roi est donc indépendant : il est indépendant à l’égard de sa famille, indépendant à l’égard de la haute noblesse, indépendant à l’égard des États Généraux, et à l’égard du Parlement.
Les cours souveraines, en effet, — entendez par là les cours d’appel —, les cours supérieures, et surtout le Parlement de Paris, ont utilisé très tôt leur prérogative d’enregistrer les lois pour exercer une pression politique sur le Roi, pression politique très forte qui tendait à entraver l’exercice de l’autorité.
Le Parlement nourrissait en réalité l’ambition de convoquer de son propre chef les vassaux du Roi, les conseillers d’État, et de convoquer tous les officiers, de traiter lui-même des affaires de l’État.
Cela, bien sûr, n’est pas venu tout seul à l’esprit du Parlement, qui est une simple cour de justice ; cette prétention se manifeste dans la première moitié du XVIIe siècle, précisément lorsque le Parlement d’Angleterre s’oppose à la Monarchie en un conflit qui aboutira au premier régicide d’un Roi chrétien, en la personne de Charles 1er.
Le Parlement de France, parallèlement enthousiasmé par le brillant exemple du Parlement d’Angleterre, s’est mis en tête, lui aussi, de partager le pouvoir, si bien que le 13 mai 1648, par l’arrêt d’union, le Parlement de Paris convoque les députés des cours souveraines pour : « délibérer en commun sur les affaires de l’État. »
Pourquoi une cour de justice irait-elle délibérer en commun sur les affaires de l’État ? Qui plus est, le Parlement entendait ne recevoir le Roi que s’il voulait le consulter sur une question politique !
Le Parlement, naturellement, se posait, non pas en cour ambitieuse de magistrats avides de pouvoir, mais en défenseur de la tradition. En réalité, il s’agissait d’une tentative de coup d’État, les magistrats voulaient ériger à côté du Roi une assemblée qui disposerait du pouvoir législatif et qui contrôlerait l’exécutif.
Le Parlement paraissait ignorer que la curia regis, comme le parlamentum, dont il se voulait l’héritier n’avait jamais existé en dehors du Roi.
Louis XIV a d’abord cédé, mais, aussitôt que ce fut possible, il réagit et, lors du lit de justice du 10 avril 1653, le Roi a fait défense au Parlement de s’assembler toutes chambres réunies.
La déclaration du 22 octobre 1653, l’ordonnance du 20 avril 1667, le règlement de 1673, ont pris des dispositions pour interdire au Parlement toute activité politique et lui refuser la possibilité de jouer sur les mots pour s’assimiler au Parlement anglais.
Les Rois, après s’être battu pour assurer l’unicité de leur pouvoir, ont fait, contrairement aux politiciens post-révolutionnaires, très peu de déclarations sur la nature de leur pouvoir : ils ne sont pas des théoriciens du pouvoir.
D’une façon générale, la logomachie constitutionnelle n’est pas le fait des Rois de France. Ils ont affirmé qu’ils tenaient leur pouvoir de Dieu, qu’ils étaient les lieutenants de Dieu sur terre, et qu’ils rendraient compte de leurs actes devant Dieu ; évidemment, pour un politicien légèrement contaminé par les Lumières, énoncer qu’on rendra compte à Dieu ne signifie pas grand chose ; pour un Roi de France, au contraire, c’était d’autant plus ressenti qu’un Bossuet ou un Bourdaloue pouvait le lui rappeler vigoureusement : « Vous êtes comme des dieux sur terre, mais vous répondrez devant Dieu, et le compte sera plus dur », disaient-ils au Roi, et les Rois en étaient pénétrés.
Alors ils disaient tout bonnement qu’ils avaient reçu leur pouvoir de Dieu, et qu’ils lui en rendraient compte. Les Rois manifestaient leur autorité, ils n’en dissertaient pas.
Henri IV dit simplement : « je suis Roi, parle Roi, et veux être obéi » ce qui est parfaitement synthétique, il faut le reconnaître. Tout découle du fait qu’ils sont rois conformément à la coutume constitutionnelle du Royaume.
Cet état sera celui des souverains jusqu’en 1789. Lorsque le 3 mars 1766, Louis XV vient au Parlement de Paris, sans prévenir, pour y tenir une séance qu’on a appelé la séance de la Flagellation, parce qu’elle fut douloureuse, Saint-Florentin lut au nom du Roi la déclaration suivante :
C’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine ; c’est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité. La plénitude de cette autorité, qu’elles n’exercent qu’en mon nom demeure toujours en moi.
En d’autres termes, les parlementaires qui se griment en sénateurs romains, ne sont que les délégataires du Roi. Ils n’existent que parce que le Roi leur a donné puissance de juger en son absence. C’est tout.
Ainsi, le pouvoir royal est indépendant, il sert tout entier le bien commun, il est lié aux intérêts de la nation, tous les membres de la communauté politique française vivent à l’abri du pouvoir royal, en repos et en confiance sous l’autorité du Roi.
À cette même séance de la Flagellation, Louis XV le rappelle :
L’ordre politique tout entier émane de moi, j’en suis le gardien suprême, mon peuple n’est qu’un avec moi ; les droits et les intérêts de la nation dont on ose faire un corps séparé du monarque sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’entre mes mains.
C’est un homme politique, — qui écrit en français, cela se rencontrait à l’époque, c’est pourquoi sa pensée est parfaitement intelligible.
Absolutisme n’est pas tyrannie
Louis XVI lui-même est resté parfaitement fidèle à la position de ses prédécesseurs, jusqu’au milieu même de la Révolution. Dans la déclaration qu’il a faite en quittant Paris le 20 juin 1791, Louis XVI écrit :
Le Roi, qui ne fait qu’un avec la nation, qui ne peut avoir d’autre intérêt que le sien, connaît ses droits, connaît ses besoins et ses ressources, et ne craint pas alors de prendre les engagements qui lui semblent propres à assurer son bonheur et sa tranquillité.
Après les journées de Juin 1792, dans la proclamation qu’il lança, Louis XVI se dit prêt à sacrifier sa tranquillité, sa sûreté et même la jouissance des droits qu’il a en commun avec tous les hommes, et il poursuit :
mais le Roi, comme représentant héréditaire de la nation française a des devoirs sévères à remplir, et s’il peut faire le sacrifice de son repos, il ne fera pas le sacrifice de son devoir.
Tous les textes reflètent exactement la même doctrine : la Monarchie d’Ancien Régime est une Monarchie pure, par une espèce de nécessité logique, elle est absolue. Absolutisme signifie totale indépendance du pouvoir et rien d’autre.
L’absolutisme ne va pas, évidemment, sans quelques inconvénients.
Louis XI a usé durement de l’autorité suprême, c’est vrai, mais il n’a jamais été tyran au sens propre ; Louis XI a respecté la différence des groupes sociaux, il n’a pas fait disparaître les rangs intermédiaires pour transformer le peuple en une espèce de tourbe de citoyens plus ou moins égaux sur qui s’appesantit une tyrannie ; il n’a pas fait disparaître les corps politiques, il a respecté les lois fondamentales.
En toute hypothèse, pour éviter les abus possibles de l’absolutisme, personne n’a jamais un instant souhaité des remèdes qui ne pourraient convenir qu’à un gouvernement républicain.
Si le Roi cède une partie de son autorité suprême, écrit Merlin, il changera la constitution établie depuis sept siècles, puis on disputera (il écrit cela, en 1778) sur le plus ou moins d’étendue de la prérogative royale, il se formera des cabales et des factions et cela dégénérera en guerre civile, c’est l’expérience de tous les temps et de tous les lieux.
Merlin était prophète, (l’ennui est que ce même Merlin est devenu révolutionnaire sous le nom de Merlin de Douai : il a eu des sincérités successives : prenons-en la meilleure).
Dans la France d’Ancien Régime le Roi tient son pouvoir de Dieu et son autorité totalement indépendante doit être respectée. Le Roi est source de toute justice ; au sacre, il s’engage à faire justice entre ses sujets, il s’engage à respecter les droits des hommes.
Un tel pouvoir limité presque uniquement par la conscience religieuse du Roi semblait exorbitant aux écrivains athées ou républicains du XIXe siècle.
Albert Sorel, qui était républicain, se référant à une étude de Lavisse, écrit dans L’Europe et la Révolution française :
Dès le XIVe siècle, il était déjà décidé pour le malheur de la royauté comme pour celui du peuple que la Monarchie serait absolue, et que la vieille France ne connaîtrait pas la liberté.
Or, l’étude des institutions d’Ancien Régime, et celle des textes, montrent que les libertés étaient garanties, sous l’Ancien Régime, par l’exercice paternel du pouvoir et par l’organisation corporative du Royaume.
Le droit naturel au lieu des Droits de l’homme
Dans les théories juridiques modernes, les droits individuels sont garantis aux citoyens par la Constitution et leur autorité s’impose en principe au pouvoir politique.
Cette notion remonte aux déclarations des droits formulées par certains États de l’Amérique du nord, avant et après la reconnaissance de leur indépendance ; elles étaient marquées par l’esprit maçonnique des rédacteurs et par la notion de contrat social.
Elles ont été copiées et développées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Notre tradition juridique antérieure à la révolution française ignore la notion de droit de l’homme, au singulier ou au pluriel.
Si l’existence de droits individuels, garantis, inviolables, est incompatible avec l’absolutisme d’un monarque, on a admis très tôt, néanmoins, que l’homme devait jouir normalement de certains droits fondés sur sa dignité de créature de Dieu.
Louis XVI constate en 1791 l’engouement pour les droits de l’homme. « Tout insensés qu’ils sont », dit-il. Mais le 19 novembre 1787, il avait déclaré au Parlement qu’il ne voulait pas priver ses sujets protestants de leurs droits naturels, et notamment de celui d’avoir un état civil normal.
Une conception paternelle du pouvoir qui garantit les libertés des sujets
L’un des éléments les plus sûrs de la protection des sujets se trouvait dans la conception paternelle du pouvoir. Le Roi était très couramment appelé le père du peuple, et lorsque la France avait encore les quelques arpents de neige que Voltaire a dénigrés de l’autre côté de l’Atlantique, les Indiens, fidèles à la France et christianisés, appelaient aussi Louis XV « leur père ». Ils ont été détruits par les Anglo-bostoniens, mais, dans les têtes des sujets du Roi, indiens ou européens, cette certitude était profondément enracinée.
On exprimait ainsi une conception de l’autorité royale comparée dans sa force et dans sa douceur à l’autorité paternelle.
Jean Bodin assimilait le gouvernement des États au gouvernement d’une famille, et il affirmait tout naturellement que le Roi était un vrai père de famille.
Aux États Généraux de 1614, l’orateur du Tiers État, Savaron, dit au Roi : « Ceux qui réclament votre justice sont vos enfants dont vous êtes le père » ; et ce n’était pas un effet oratoire.
Bodin explique très nettement que le Royaume est simplement un ensemble de familles et que le gouvernement du Royaume, c’est le gouvernement des « ménages et de ce qui leur est commun ».
Cardin Le Bret, juriste du XVIIe siècle, note à son tour ceci :
Les Rois n’ont été créés que pour procurer le bien de leurs sujets avec le même zèle et la même affection que les pères procurent à leurs enfants.
Même chose de la part de La Bruyère, qu’on considère généralement comme un critique systématique de Louis XIV : il proclame que nommer le Roi père du peuple n’est pas faire autre chose que de définir le Roi.
Une société naturelle, organique
Des sujets et des corps intermédiaires au lieu d’individus et de masses
Un caractère essentiel de la société monarchique assure aux sujets du Roi une garantie de fait considérable. En effet, les sujets du Roi, sous la Monarchie d’Ancien Régime ne sont pas une « masse » : ils forment un corps organisé ; les sujets sont groupés dans des formations naturelles qu’on peut appeler des groupements intermédiaires.
Le Roi n’est jamais en présence de 10.000 ou 100.000 sujets : il est en présence des trois États de la ville de Pau ou d’ailleurs, il est en présence des représentants de tel pays, il est en présence de l’université, du corps des déchargeurs de grain du port de Paris… Il ne règne pas sur une population atomisée, il règne sur des gens qui sont groupés organiquement et naturellement.
Le Roi est absolu, et veut rester absolu, mais il n’y a pas entre ses sujets et lui-même une sorte d’espace désertique : les corps établissent entre le Roi et la population une série de groupements intermédiaires qui protègent leurs franchises, et qui habituent, surtout, leurs membres à aider le Roi dans le service du bien commun. En échange, la force du Roi garantit l’usage paisible des libertés. Il y a là une véritable harmonie.
Des corps intermédiaires qui œuvrent ensemble pour le bien commun
On peut facilement classer les groupements intermédiaires : on peut les classer selon les intérêts auxquels ils se réfèrent ; ces intérêts doivent être légitimes ; ils ne peuvent pas contredire le bien commun.
— Il est évident que les corps sont des communautés réunies par une identité professionnelle. Il y a des communautés d’épiciers, ou des communautés de maçons, des chapitres de chanoines, etc.
— Les Ordres et les États, eux, représentent des groupements de sujets unis dans un cadre régional, local ou national selon leurs qualités sociales.
Les sujets sont donc, de toutes façons, répartis en trois groupes : l’ordre du clergé, la noblesse et le tiers état, mais ils sont aussi représentés par les consulats ou les échevinages des villes ou par les officiers du Roi.
Cette distinction n’est pas artificielle, elle n’a pas été voulue par le Roi, elle est née spontanément, mais elle a été respectée par le Roi. Elle traduit simplement en termes juridiques la réalité sociale, le fait tout simple que dans une société quelconque il y a des groupes sociaux distincts correspondants aux besoins divers de la population.
L’idée essentielle qui domine toutes ces associations, c’est que le sujet est toujours incorporé. Le sujet n’est jamais isolé, il est conduit vers le bien ; son action est dirigée vers le bien commun, il est protégé et guidé.
Cette incorporation, je le souligne, n’a pas été voulue par le Roi — les Rois de France n’établissaient pas des plans quinquennaux à cet égard — et il faut souligner que cette organisation rendait le gouvernement plus difficile. Il est beaucoup plus épineux de diriger des gens qui sont rattachés à des organisations complexes que de diriger trente millions de fourmis encadrées de fonctionnaires de toutes sortes. Ces corps étaient tous hérissés de privilèges, de « privatæ leges », de statuts particuliers, qui étaient la marque de leurs libertés, (avec un « l » minuscule et un pluriel) et qu’ils défendaient jalousement.
Les monarques d’Ancien Régime, malgré les difficultés que représentait la complexité de cette situation, n’ont jamais lutté contre elle.
La corporation était un phénomène naturel, c’est un produit de l’histoire, et la Royauté française s’inclinait devant ce phénomène.
Le Roi réalise l’unité dans la diversité
La distinction dans les groupes sociaux, sous l’Ancien Régime, n’implique pas que ces groupes soient en lutte les uns contre les autres, il faut une doctrine sauvage pour imaginer des choses pareilles. Ils ne sont pas en lutte : il y a des difficultés entre eux, c’est vrai, il y a eu des jacqueries, comme celle du Beauvaisis en 1358, mais les théoriciens orthodoxes estiment que la distinction voulue par Dieu, dont la charité est la première loi doit mener à l’accord des classes.
L’action de la Monarchie a donc tendu constamment à protéger la diversité des ordres, et même à maintenir en même temps l’union et la protection des ordres. Les Rois ont toujours manifesté leur intention de respecter les privilèges des ordres et des régions ; par exemple, les déclarations de Louis XIV du 23 août 1661, du 13 juin et du 27 octobre 1687 confirment les privilèges de l’Artois qui vient d’être réuni à la Couronne.
Pour les Rois, l’idéal était que chacun vive selon son état. C’était la solution conservatrice et sage qui était en liaison étroite avec leur conception religieuse.
Louis XI a parfaitement défini ce programme : il veut permettre à ses sujets de vivre chacun
en son état, c’est à savoir les gens d’église en leur église et au service divin, les nobles et bourgeois en leurs héritages, droits et prérogatives, les marchands en leur marchandise et qu’elle peut sûrement avoir cours, et les autres, chacun en son degré et vocation.
Cette union, le Roi la prêche, lorsqu’il assemble les trois ordres à Tours en 1484, à Blois en 1576, ou encore lorsqu’il les réunit en 1614. C’est cette volonté d’union qui inspira tous les édits de pacification qui préludèrent à l’Édit de Nantes.
Tous les groupements intermédiaires, états, corps, communautés d’habitants, pays, ont accepté vis à vis du Roi, parce qu’il représente le bien commun avec efficacité, une position subordonnée ; ils n’en représentent pas moins, eux, très utilement, le bien commun de leur ordre, de leur profession, de leur ville, de leur communauté et ils le font valoir auprès du Roi.
En même temps, ils exhortent leurs membres à faire leur devoir envers le Roi, support de ces communautés restreintes. Certains de ces corps ont même le droit de légiférer par voie de statuts, et de faire des règlements dans les matières de leur compétence. Ils suggèrent au Roi des mesures législatives, que le Roi par ses secrétaires d’État — recopie souvent.
Les individus, vous le voyez, ne jouissent d’aucun droit inviolable envers le Roi, mais, bien encadrés dans leur ordre, dans leur corps, dans leur pays, dans leur paroisse, ils ont des moyens de se faire entendre en chose raisonnable, parce que le Roi ne saurait ignorer les réclamations répétées de ses groupements intermédiaires qui sont les garants de la fidélité des sujets.
Une unité naturelle fondée sur des liens sociaux charnels et spirituels
La France d’Ancien Régime, dans ces conditions, a connu un équilibre harmonieux grâce à un pouvoir indépendant dont la légitimité n’était pas discutée3.
En tous cas, à l’époque, on n’écrivait pas le mot « liberté » avec un « L » majuscule, on n’en badigeonnait pas les façades des prisons, ni des édifices publics, mais les sujets du Roi avaient une conscience aiguë de leurs libertés.
D’ailleurs, entre eux, ces sujets étaient associés, non pas par une fraternité utopique, mais par des liens charnels et spirituels.
— Il y avait, entre les sujets du Roi des liens qui étaient ceux des familles et des lignages.
— Je pense aussi des liens spirituels, ceux qui unissent les enfants de Dieu.
— Et, enfin, ce sont des liens de fidélité : les fidélités sont vivantes, dans la société de l’Ancien Régime ; les rapports du Roi et de ses sujets sont des rapports de fidélité, et le serment du sacre est un serment de fidélité, fidélité à la couronne. Le Roi est fidèle à ses sujets, comme Yaveh est fidèle à Israël, c’est rappelé par Bossuet. Le Roi de France est semblable à un Dieu fidèle qui garde son alliance, et la fidélité, dans l’esprit des hommes du Royaume de France, est une forme de charité : le pouvoir royal apparaît charitable dans son essence, le Roi est le « père nourricier » disent les textes du XVIIe siècle, il est la « lumière du peuple » et la moindre manifestation de sa substance (sic) est une espèce d’élancement de sa charité paternelle envers son pauvre peuple.
C’est aussi dans cet esprit de charité que les ordres, dans la diversité de leur vocation, concourent à l’édification de la cité humaine, qui est une préfiguration, dans l’esprit des hommes de l’époque, de la cité de Dieu, de même que les saints coopèrent à la construction du corps du Christ.
Le Roi garantit la justice et l’harmonie sociale
La société d’Ancien Régime est ainsi divisée en ordres hiérarchisés, eux-mêmes subdivisés, nous l’avons vu, mais je cite Charles Loiseau :
Par le moyen de ces divisions et subdivisions multipliées, il se fait de plusieurs ordres un ordre général, et de plusieurs états un état bien réglé, auquel il y a bonne harmonie et consolidation de sorte qu’enfin par l’ordre, un ordre innombrable aboutit à l’unité.
La société politique n’est pas organisée par des rapports de force, et encore moins par des rapports de violence. Si le Roi contrevenait aux lois de la nature ou aux lois fondamentales, il ne serait plus qu’un tyran, il troublerait l’harmonie du monde et il compromettrait son pouvoir.
La Monarchie française est le contraire de la violence, parce que le Roi est d’abord un juge : il met chacun dans son droit. On a un peu perdu de vue cette réalité : il protège les droits de chacun — protection du pauvre et de l’opprimé, voilà la fonction, qu’il jure au sacre de remplir contre les abus des nobles, contre les ravages, contre les réquisitions des gens de guerre.
Le Prince met tout son devoir dans le soulagement des pauvres sujets. Telle est la structure de l’Ancien Régime : un corps uni par les liens du sang et de la charité, un corps dont le Roi est la tête, et dont il commande les mouvements vers la volonté de Dieu.
Pour détruire ce corps, il est évident qu’il fallait en passer par la rupture des liens de ce corps. Comme ce corps politique était organique, comme il était le fruit du travail des siècles, la désagrégation qui a suivi ne pouvait être que sanglante, il faut bien le reconnaître. Je ne dis pas cela pour justifier la terreur, je tiens à vous rassurer, mais pour l’expliquer.
Voilà les quelques remarques que je voulais donner à propos de l’harmonie de ce Royaume de France.
- Cette conférence du professeur Jean-Pierre Brancourt a été publiée dans la revue La Science Historique, No26, Paris, 1992.↩
- Le mot « race » était employé sous l’Ancien Régime sans sa connotation actuelle, déformée par le racisme.↩
- Cette proclamation répétée de légitimité, en fait, n’existe que depuis 1789, peut-être depuis 1793, même, à partir du moment où l’on a guillotiné le Roi ; tous les gouvernements qui se sont succédé depuis lors ont souligné, en trépignant, qu’ils étaient légitimes : peut-être ont-ils un doute, la question est ouverte.↩