Le Ralliement de l’Église à la République sous le pontificat de Léon XIII Ou comment le pape sauve la République antichrétienne

Un argument fréquemment opposé aux catholiques favorables à la restauration d’une monarchie chrétienne et légitime en France a trait au Ralliement à la République que l’Église aurait opéré voici plus d’un siècle, par la volonté du pape Léon XIII. Il est utile d’approfondir cette question, et nous recommandons pour cela l’excellent ouvrage Le Ralliement de Léon XIII, l’échec d’un projet pastoral (traduction française aux éditions du Cerf, Paris 2016). L’essentiel de cet article s’appuie sur ce livre du professeur Roberto de Mattéi, grand universitaire italien qui s’est notamment appuyé pour son étude sur les Mémoires, non publiées à ce jour, du cardinal Aloisi Masella, nonce puis membre éminent de la Curie romaine et témoin privilégié de ces événements. Ainsi que l’observe Roberto de Mattéi :

de simple événement historique, le Ralliement devint (…) paradigme pastoral et mode de gouvernement ecclésiastique aux profondes conséquences1.

Nous subissons encore les effets délétères de cette « pastorale ». [La Rédaction]

L’Église à la mort de Pie IX

Le pape Pie IX, rappelé à Dieu le 7 février 1878, avait été un grand pontife durant son long règne de trente deux ans.
Ses choix politiques avaient toujours été « subordonnés à la défense primordiale du bien surnaturel de l’Église et des âmes2 », et il n’avait eu de cesse de combattre la Révolution anti-chrétienne qui se prolongeait au XIXe siècle, notamment par le truchement des sociétés secrètes (comme la franc-maçonnerie).
L’invasion de Rome par l’armée italienne, le 20 septembre 1870, et l’occupation du palais pontifical du Quirinal par Victor-Emmanuel II, semblaient sceller le triomphe des idées révolutionnaires contre lesquelles le pape avertissait ses fidèles de se garder, ainsi que des
« pernicieuses et ravageuses doctrines catholiques libérales3. »
Le conclave s’ouvrit très rapidement. On sait que le concile Vatican I, achevé depuis peu, avait défini comme vérité de foi la Primauté du pontife romain. Certes, le dogme de l’infaillibilité ne concernait pas la politique de l’Église. Toute l’Europe avait cependant les yeux fixés sur Rome.
Les cardinaux ne souhaitaient pas un pape saint, continuateur de l’œuvre de Pie IX, mais un politique à la tête froide rétablissant de bonnes relations avec les États (sauf l’Italie). Le cardinal Luigi Bilio, rédacteur principal du Syllabus et homme de foi et de piété fut ainsi écarté.
Avec l’appui des catholiques libéraux, et le soutien de la diplomatie française, fut donc élu à une large majorité Gioacchino Pecci. Perspicace, en France, le républicain et anticlérical Léon Gambetta salua ce « grand jour », promesse « d’un mariage de raison avec l’Église4. »

Le pape Léon XIII

Un pape dans le sillage des « poloticanti »

Âgé de soixante huit ans, le cardinal Pecci avait entamé une brillante carrière diplomatique, jusqu’à la nonciature en Belgique d’où il fut retiré pour s’être opposé à la politique du roi Léopold Ier.
Il fut alors mis à l’écart de la diplomatie pontificale et nommé au siège archiépiscopal de Pérouse, où il demeura trente deux années :

« À Rome ils n’ont jamais pu me voir, et c’est pour cela que je me trouvais relégué là à Pérouse » dira-t-il un jour à son secrétaire5.

Quoi qu’il en soit, les tendances libérales de MgrPecci étaient manifestes, même s’il demeurait discret et prudent comme membre du « troisième parti » entre les infaillibilistes et les anti-infaillibilistes. Le Syllabus et l’encyclique Quanta cura de Pie IX ne l’enthousiasmèrent pas.
Léon XIII s’adjoignit à la secrétairerie d’État le très « modéré » et « pacificateur » Lorenzo Nina, et s’entoura d’anciens collaborateurs de son archevêché de Pérouse, qu’on dénommera alors les « Pérugins ». Selon Henri des Houx, biographe du pape, la politique pérugine se fondait sur la conviction

qu’entre l’Église et le monde moderne, c’est à dire révolutionnaire, il n’y a non une contradiction de principes, mais simple malentendu. (…) Un concordat universel où les principes de 89 seraient accommodés avec les principes fondamentaux de l’Église, tel est (son) rêve6.

La faute aux légitimistes

Léon XIII se montra aussi intraitable que son prédécesseur sur la question romaine. Il reprochait toutefois à Pie IX sa supposée naïveté, qui aurait provoqué la perte des États Pontificaux.
Pour briser son isolement, il était bien décidé à se réconcilier avec tous les gouvernements, en particulier ceux qui étaient en lutte contre l’Église. Son attitude plutôt bienveillante envers le catholicisme libéral, voire le modernisme, tant combattus par le pontife précédent, facilitaient cette réconciliation annoncée. Pour le pape Pecci :

la faute principale de son prédécesseur avait été de lier le Saint-Siège aux légitimistes européens, partisans du comte de Chambord en France, carlistes en Espagne, miguélistes au Portugal, le reléguant ainsi dans une situation d’isolement7.

Pie IX, pour signifier le deuil et la souffrance causés par la perte de ses États, avait pratiquement aboli les cérémonies solennelles au Vatican. Prenant là aussi le contre-pied de ce dernier, Léon XIII restaura la splendeur de la liturgie, voire la magnificence de la pompe pontificale.

L’anti-libéralisme doctrinal du Corpus léonin

On aurait cependant tort de réduire ce pape à son ouverture aux idées libérales et à une opposition quasi personnelle à l’héritage de Pie IX. Ses écrits, le Corpus Leoninum — quatre vingt six encycliques en vingt cinq ans —, démontrent en effet son attachement à l’enseignement traditionnel de l’Église, et mettent en évidence le caractère conjoncturel du Ralliement. On en retiendra quelques uns :
– encyclique Inscrutabili Dei consilio (1878) : constat affligé des maux de la société contemporaine, causés d’abord par le refus de la sainte autorité de l’Église.
– encyclique Quodapostolici numeris (1878) : condamnation du communisme, du socialisme, du nihilisme, défense de la famille, de la propriété, de la religion.
– encyclique Aeterni Patris (1879) : encyclique capitale sur la restauration du thomisme dans l’enseignement, la philosophie de saint Thomas d’Aquin devenant le substrat philosophique des études des futurs prêtres.
– encyclique Arcanum Divinæ Sapientiæ (1880) : rappel de la sainteté et l’indissolubilité du mariage catholique.
À propos du pouvoir politique, le pape va également promulguer des encycliques de tonalité contraire à toute tentation libérale, voire moderniste : Diuturnum illud (1881), Immortale Dei (1885), Libertas (1888), Humanum genus (1884), cette dernière relayée auprès des évêques du monde par une note du Saint-Office qui appelle à combattre la franc-maçonnerie.

Le caractère inachevé de l’encyclique Rerum Novarum

Enfin, Rerum Novarum traite de la question ouvrière. Si ce texte demeure une référence de la doctrine sociale de l’Église (à laquelle Pie XI puis Jean-Paul II rendront hommage par leurs propres encycliques Quadragesimo anno (1931) et Centesimus annus (1991), il a été quelque peu instrumentalisé par les promoteurs de la démocratie-chrétienne, qui réduisent l’apport des textes léonins à celui-ci alors qu’il ne fait que s’inscrire dans le large développement de la pensée du pape.
Celle-ci peut être résumée par sa lettre apostolique Annum Ingressi (1902), qui dénonce les erreurs et les errements de la révolution anti-chrétienne, de la Réforme du XVIe siècle aux doctrines et théories révolutionnaires des XVIIIe et XIXe siècles.
S’il prône un retour à l’ordre et moral et social chrétien, il ne fait cependant pas mention d’un choix institutionnel particulier.

Orthodoxie doctrinale et politique libérale : un paradoxe énigmatique

Le tropisme libéral du cardinal Pecci, peut-être influencé par une certaine hostilité envers un Pie IX intransigeant, est donc contredit par les écrits de Léon XIII, conformes à une saine défense de l’enseignement de l’Église. On va voir cependant que son sens politique va primer sur toute autre considération, et conduire cet homme cultivé, érudit et poète — il pouvait réciter de mémoire la Divine Comédie — à prendre une décision lourde de conséquences.

L’Église et la France au XIXe siècle

Reconnaissance naturaliste de la religion catholique comme celle « de la majorité des Français »

La France — modèle achevé des gouvernements de droit divin d’avant la Révolution —, fut en ce siècle au cœur de l’affrontement entre l’Église et le monde moderne.
Dès 1789, elle s’était violemment coupée de ses racines catholiques pour adopter et diffuser une conception du monde et de l’ordre social résolument contre-nature, et donc, antichrétienne.
La fracture révolutionnaire se manifeste en France par une instabilité constitutionnelle chronique : après le Consulat et le Premier Empire, viennent la Restauration, la monarchie libérale de Louis-Philippe, la Seconde République, puis le Second Empire, la Troisième République enfin. À l’exception de la Restauration, et, dans une certaine mesure, du Second empire, ces régimes furent hostiles à l’influence de l’Église, bien qu’à des degrés divers.
Les sept papes qui s’étaient succédés sur le Siège de Pierre surent conjuguer intransigeance des principes et souplesse diplomatique.
Le fondement de la relation entre les deux États fut posée par le concordat du 15 juillet 1801 entre Pie VII et le premier consul Napoléon Bonaparte.
Ce dernier, et ses successeurs, nommeraient les évêques à qui le pape donnerait ensuite l’investiture canonique.
Quant à la religion catholique, elle serait seulement reconnue comme celle « de la majorité des Français8 ».

Un catholicisme français conquérant

Cependant, un siècle après la tourmente révolutionnaire, qui voulait éradiquer toute trace de civilisation chrétienne par la persécution et l’iconoclasme, au moment où Léon XIII est élu, le catholicisme en France a repris force et vigueur :
– On compte alors trente cinq millions de baptisés catholiques (la quasi totalité de la population, exception faite de six cent mille protestants et cinquante mille juifs), deux cent seize mille prêtres et une proportion de religieux de un pour deux cent cinquante habitants.
– On sait par ailleurs que sur six mille cent missionnaires catholiques dans le monde, quatre mille cinq cent étaient français (songeons à l’œuvre pour la « Propagation de la foi »fondée à Lyon par Pauline Jaricot).
– À partir de la Restauration, les ordres anciens supprimés par la Révolution s’étaient reconstitués, tandis qu’étaient fondées de nouvelles congrégations.
– Le nombre de catholiques augmentait dans l’armée, la magistrature, l’Université.
Comme l’écrit Mattéi, « l’atmosphère en France était imprégnée de dévotion et de piété » (piété mariale, eucharistique, pèlerinages, culte du Sacré-Cœur).
On se souvient que le drapeau brodé du Sacré-Cœur par les visitandines de Paray-le-Monial fut brandi par le colonel de Charette, commandant des Zouaves pontificaux, à la bataille de Patay (2 décembre 1870) contre les Prussiens au cri de « Vive Pie IX ! Vive la France ! ».
Même si une partie de la population était déchristianisée depuis le XVIIIe siècle, notamment dans le bassin parisien, le catholicisme n’avait donc pas disparu dans la tourmente sous l’attaque révolutionnaire, et renaissait au contraire plus fort et plus attaché encore à la Monarchie légitime.

Le très minoritaire courant libéral mennaisien

Un courant minoritaire du catholicisme français s’était toutefois formé, qui voulait concilier l’Église et le monde moderne. Félicité de Lamennais, son initiateur, voulait en quelque sorte « catholiciser la Révolution » (Cf. son ouvrage qui acte la naissance du « catholicisme libéral » : Du progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église9.)
L’encyclique Mirari vos(1832) de Grégoire XVI condamna la doctrine de Lamennais, qui resurgit plus virulente lors des évènements de 1848.
À l’occasion de la loi Falloux sur l’enseignement (1850), deux partis se formèrent et s’opposèrent :

  • les ultramontains, derrière le journaliste Louis Veuillot (directeur de l’Univers, lu et suivi par le clergé) et MgrPie, évêque de Poitiers, défenseurs intransigeants des droits de l’Église, d’une part,
  • les libéraux, qui subordonnaient la liberté de l’Église à la loi commune, réunis autour de MgrDupanloup, évêque d’Orléans, et du comte de Montalembert, d’autre part, qui déclare :

Le catholicisme n’a rien à redouter de la démocratie libérale. Il a tout à espérer du développement des libertés qu’elle comporte (…) Toutes les extensions de la liberté politique et civile sont favorables à l’Église ; toutes les restrictions tourneront contre elles10.

En réaction, le pape Pie IX (qui accordait sa vive sympathie à Veuillot) condamna sévèrement ces thèses libérales, par l’encyclique Quanta cura, et surtout par le Syllabus qui devint le manifeste des « ultramontains » (ou « intégraux »).

Un « catholicisme social » essentiellement légitimiste

Après la chute du Second Empire et de la Commune de Paris, du tronc du catholicisme ultramontain va naître un nouveau mouvement connu sous le nom de catholicisme social. Celui-ci fut inspiré de la fameuse « Lettre sur les ouvriers » (1865) du successeur légitime au trône de France (Henri V, Comte de Chambord). La doctrine naturelle de justice sociale exposée dans cette lettre trouvait un écho chez des laïcs catholiques comme Le Prévost, Myonnet et le légitimiste Maignen, fondateurs de l’Institut des Frères de Saint Vincent de Paul. Maurice Maignen, qui avait ensuite crée le Cercle des jeunes ouvriers rencontra en 1871 deux officiers français légitimistes, René de la Tour du Pin et Albert de Mun.
Ces derniers, emprisonnés par les Prussiens après Sedan, s’étaient connus en captivité et y avaient découvert le livre du député alsacien Émile Keller intitulé L’encyclique du 8 décembre et les principes de 1789, qui démontrait l’incompatibilité entre l’ordre social chrétien et la société française fille de la Révolution.
Avec quelques compagnons, lors de la Messe de Noël 1871, ils fondèrent l’Œuvre, destinée à moraliser et pacifier la société par l’action charitable des classes dirigeantes, sous la forme d’une « paternité sociale chrétienne ». Maignen prônait le retour à l’ordre corporatif de l’Ancien Régime, inséré dans une plus vaste restauration catholique et monarchique.
En 1875 l’Œuvre comptait 130 comités, 150 cercles et 18 000 membres, dont 15 000 ouvriers.

Une IIIe république naissante… monarchiste

Ainsi l’historien (démocrate-chrétien) René Rémond qualifie-t-il l’Assemblée nationale élue le 8 février 1871.
Les monarchistes en constituaient les deux tiers. Ils élurent à la tête du pouvoir exécutif le maréchal de Mac-Mahon de sensibilité légitimiste, avec mandat implicite de restaurer la monarchie en France.
Les bonapartistes étaient discrédités après Sedan. Face aux républicains très minoritaires demeuraient seuls légitimistes et orléanistes :

  • Les légitimistes comptaient cent quatre-vingt-deux députés (surnommés les « Chevaux-légers » du nom de la rue qui abritait à Versailles l’hôtel où ils se réunissaient). Ils se réclamaient de la monarchie traditionnelle, fondée sur les corps intermédiaires et les communautés naturelles. Cette conception s’incarnait dans la personne du comte de Chambord, devenu Henri V à la mort de son oncle Louis XIX, exilé à Frohsdorf près de Vienne.
  • En face, les orléanistes, de peu de principes, ne voyaient en la monarchie qu’une forme de gouvernement qui faisait place au parlementarisme et assurait la perpétuation de la bourgeoisie qui avait triomphé en 1789.

La manche politique décisive se joua donc entre légitimistes et ultramontains d’un côté, orléanistes et conservateurs libéraux de l’autre, lors des années 1872-1873.
On ne reviendra pas sur la polémique tristement célèbre du « drapeau blanc ». Roberto de Mattéi apporte cependant sur la question un éclairage intéressant.
Il explique et justifie le refus du comte de Chambord de renier son honneur et ses convictions en adoptant le drapeau tricolore réclamé par les orléanistes :

Un homme qui aspire à porter la couronne de France et qui conserve encore l’éclat sur son front ne commence pas par une apostasie (Veuillot)11.

Roberto de Mattéi s’interroge toutefois sur cette intransigeance, à la lumière des propos tenus par Pie IX, soutien notoire du prétendant légitime. Pour le pape, en cas d’acceptation, c’est le drapeau tricolore et non pas Chambord qui aurait renié ses origines.
On peut comprendre ce point de vue, tout en estimant qu’Henri n’avait pas, selon ses propres termes, à « devenir le roi légitime de la Révolution »12 C’est d’autant plus vrai que les orléanistes, ainsi qu’un républicain conservateur — et notoirement opportuniste — comme Thiers, guettaient sa succession pour pousser la branche cadette sur le Trône et assurer le triomphe de leurs idées libérales.
Les démarches des orléanistes (MgrDupanloup et le comte de Paris lui-même13 puis à la visite (5 août) du comte de Paris à Frohsdorf, enfin à la mission du député légitimiste « modéré » — c’est-à-dire déjà libéral — Charles Chesnelong devant la commission représentant tous les groupes monarchistes seront vaines. Le prince, ses exigences déçues, arriva incognito à Versailles le 9 novembre dans l’espoir de se présenter devant l’assemblée aux côtés de Mac-Mahon et d’être acclamé souverain. Le maréchal refusa de le recevoir14, Henri V arriva à Paris dans l’espoir que le maréchal Mac-Mahon lui cédât le pouvoir.
Le refus de ce dernier, le vote de l’Assemblée qui en prorogea les pouvoirs, contraignirent le roi à un exil définitif.

Triomphe de la République et des ennemis de l’Église

Ces députés orléanistes qui assurent le triomphe de la République

Pourtant, après l’échec d’une restauration, puis la mort du comte de Chambord (1883), les monarchistes, toutes tendances confondues, demeuraient majoritaires à l’Assemblée nationale.
Peu à peu cependant une fraction des orléanistes se rapprochait de la « République conservatrice », poussée par les dynasties bourgeoises qui avaient soutenu la Monarchie de Juillet et faisaient primer leurs intérêts sur la forme du régime.
Les élections de 1876, puis de 1877 — qui suivit la dissolution décidée par Mac-Mahon en conflit avec les républicains anticléricaux — vit le succès définitif des républicains et de la « libre pensée » (la fameuse République des « Jules », Simon, Ferry, Grévy…)

L’avènement de Léon XIII en pleine pensée laïciste

Léon XIII accéda au Trône pontifical en pleine conquête du pouvoir en France par les républicains, tenants de la libre-pensée qui voyaient en la religion catholique son principal ennemi.
La Révolution avait commencé à détruire l’ancien système d’enseignement, fondé sur la Ratio studiorum des jésuites et l’apprentissage des humanités.
Le positivisme, fruit de l’« hybris scientiste » — selon l’expression de l’économiste Hayek —, fut la philosophie de cette libre-pensée qui réduisait toute connaissance à l’approche scientifique, voire matérialiste : on substitua aux anciens lieux d’excellence académique des nouvelles écoles centrales, comme l’école polytechnique.
– Pour Claude-Henry de Saint-Simon ou pour Auguste Comte, la société devait s’organiser comme une grande entreprise, transformation favorisée par la religion purement humanitaire du « Nouveau christianisme ».
– Au scientisme philosophique de Comte vient s’ajouter le scientisme philologique de Renan.
– Edgar Quinet, historien auteur de l’« Enseignement du peuple » (« c’est mon bréviaire » dira Jules Ferry), regrettait que la Révolution se fût achevée avant d’avoir consommé la transformation religieuse radicale de la société.
– Ferdinand Buisson, disciple de Quinet, donna à l’école républicaine la tâche d’établir cette « morale laïque », chargée d’anéantir toute trace de catholicisme.
– Pour Charles Renouvier enfin :

il fallait que les républicains suivent Kant en philosophie et Calvin quant à la religion15.

La Franc-maçonnerie, fer de lance du laïcisme

Le laïcisme avait un instrument, la Franc-Maçonnerie. Constituée dès le XVIIIe siècle, celle-ci avait joué un grand rôle dans le déclenchement de la Révolution et la diffusion de ses idées (on lira avec profit à ce sujet les ouvrages du grand historien Augustin Cochin, tombé au front en 1916, notamment Les sociétés de pensée et la démocratie moderne).
Le Grand Orient, sa principale obédience, réunissait son convent une fois l’an à Paris.
Jules Ferry et Émile Littré, le célèbre lexicographe y furent initiés le 8 juillet 1875 devant deux mille membres.
Du positivisme de Comte, qui laissait place à une « religion de l’humanité », républicains et maçons évoluèrent rapidement vers un athéisme scientiste, embrassant les théories darwiniennes qui se faisaient connaître en France.
Alec Mellor, auteur de La vie quotidienne de la franc-maçonnerie française du XVIIIe siècle à nos jours peut écrire :

Durant près de quarante ans, le « Grand Orient » sera le véritable gouvernement de la France, sous le masque du gouvernement officiel du pays. (…) Deux mots-clefs caractérisent ce véritable règne.
– Le premier est celui de « République » (…) Il est la Contre-Église. (…)
– Le second mot est le terme de « laïcité » dont le sens apparent est sans doute celui de neutralité, voire de tolérance, mais dont la signification profonde est celle d’élimination de toute influence religieuse, dont l’anticléricalisme, et, à un second stade, de guerre non seulement à toute Église mais à l’idée religieuse en soi16.

Premier président franc-maçon de la Chambre, Gambetta put ainsi prononcer son fameux :

Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi17 !

L’instituteur laïque remplacerait le prêtre, les congrégations seraient dispersées et l’Église soumise au droit commun.
Même si les républicains se divisaient entre opportunistes (Gambetta, Ferry) et radicaux (Clémenceau), leur orientation idéologique était identique.
Jaurès raconte qu’il avait un jour questionné Ferry, en le poussant dans ses retranchements pour lui faire avouer la finalité ultime de son engagement politique.

Mon but, « lâcha Ferry » est d’organiser l’humanité sans Dieu et sans roi18.

Ferry s’entoura de collaborateurs franc-maçons, décidés à en finir avec le catholicisme, pour lui substituer une religion républicaine, tels Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 189619ou Jean Macé, fondateur de la « Ligue de l’enseignement ».

C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Église, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi20.

Ferry présenta deux projets de loi, qui visaient à exclure le clergé et les congrégations religieuses de l’enseignement, notamment la Compagnie de Jésus dont les francs-maçons avaient fait leur ennemi prioritaire. Paul Bert, qui fut ministre de l’Instruction Publique et des Cultes (1881-1882) compara le catholicisme au phylloxéra.
MgrPie, évêque de Poitiers, protesta solennellement à Rome, lors de la prise de possession de son titre cardinalice.
En même temps un nouveau nonce pontifical, MgrWladimir Czacki arrivait à Paris.

Premières réactions de l’Église

Le nonce apostolique recherche le compromis

MgrCzacki se présentait comme légitimiste et contre-révolutionnaire. Il avait servi Pie IX et déployé une grande influence pour la défense de la papauté.
Ses détracteurs voient cependant sa mise au service de Léon XIII comme une manifestation d’opportunisme et d’ambition, le qualifiant même de « mauvais génie du Saint-Siège21.
Czacki rencontra les principaux représentants du pouvoir républicain, en particulier ceux de la gauche anticléricale qui l’écoutèrent avec une courtoisie hypocrite mais ne modifièrent en rien leurs positions. Il demeurait persuadé que la République pouvait être « aimable22 » et que ses dignitaires accepteraient une « entente cordiale23 »

On dissuade les légitimistes

En revanche, aux légitimistes, notamment au marquis de Dreux-Brézé qui représentait le comte de Chambord, il signifia qu’à son avis le courant républicain avait définitivement vaincu et que toute lutte pour une restauration était désormais vouée à l’échec.
Comme Léon XIII le nonce croyait avoir affaire à des hommes d’État ordinaires, il n’avait pas compris qu’il avait affaire à des représentants des loges maçonniques décidés à déchristianiser la France (on retrouvera cet aveuglement cinquante ans plus tard, lors des premières relations de l’Église avec le régime national-socialiste).

Une résistance catholique s’organise avec les persécutions

Une résistance s’organisait cependant parmi les catholiques, autour de Louis Veuillot et aussi du père Emmanuel d’Alzon, supérieur général des Assomptionnistes qui éditaient le journal La Croix (devenu quotidien en 1883, sous la houlette de son directeur, le combatif père Vincent de Paul Bailly).
Toutefois, reçu en audience par le pape le 23 janvier 1880, le père Monnot, Provincial des Jésuites de Lyon, s’entendit conseiller la soumission « dans le for extérieur24 » à la loi civile, tandis que le Pontife confiait à MgrLavigerie que

les jésuites étaient irrémédiablement condamnés25.

Finalement les deux décrets hostiles aux congrégations furent promulgués (29 mars 1880).
Quatre cent magistrats démissionnèrent pour ne pas collaborer à une telle injustice, sacrifiant leurs carrières à leurs convictions.
Contre l’avis du nonce, MgrFreppel, évêque d’Angers, se présenta à une élection partielle et fut élu député de Brest à une forte majorité.
L’illusion entretenue par MgrCzsacki se dissipait quelque peu. C’est alors que le cardinal Lavigerie entra en scène.
Lavigerie était une personnalité imposante et forte. Réformateur, partisan d’un accommodement de l’Église avec le monde moderne par le moyen d’une coalition conservatrice, le cardinal avait pour ambition l’œuvre de pacification religieuse universelle et de réconciliation de la société moderne26.
Opposé aux ultramontains et plus proche des républicains anticléricaux que des monarchistes catholiques, il était apprécié par Léon XIII. Pour Lavigerie les catholiques intransigeants — au premier rang desquels se plaçait MgrFreppel —, étaient des « sectaires » :

Vous verrez, Monsieur le Président, que j’ai ouvertement conseillé à mon clergé et aux catholiques de faire adhésion ouverte au gouvernement de la République afin de faire entrer le pays dans une aire d’apaisement religieux si désirable et aussi de pouvoir défendre enfin constitutionnellement la Religion et ses œuvres contre les attaques dont elle fait l’objet de la part des sectaires27.

La politique des compromis

Persécutions et compromis pontifical

Le 29 juin 1880 les jésuites étaient violemment expulsés de leur Maison Mère rue de Sèvres à Paris, par les soins du préfet de police le franc-maçon Louis Andrieux.
Du 30 juin au 2 juillet, ce fut au tour des maisons de province, dont les gendarmes défoncèrent les portes et jetèrent les religieux à la rue.
Le comité des religieux rejeta la proposition de soumission suggérée par Lavigerie, qui consistait à sacrifier les jésuites sur l’autel d’un compromis. Le cardinal en référa directement au pape :

Je voudrais que (…) l’Église déclarât hautement sa neutralité politique et qu’elle fit acte de déférence vis à vis des pouvoirs publics28.

Léon XIII donna raison à ce dernier, et demanda qu’un accord soit passé avec le gouvernement, laissant désespérés et atterrés la majorité des membres du clergé français.
Malgré cela, la gauche républicaine refusa cette première proposition de Ralliement, et la majorité des autres religieux fut expulsée.

La déchristianisation reprend de plus belle

MgrCzacki, après cet échec, demanda à ce que sa nonciature soit abrégée et fut remplacé MgrCamillo di Rende. Pendant ce temps la politique de laïcisation et de sécularisation suivait son cours en France.

  • La loi du 28 mars 1882 imposa l’obligation de l’instruction primaire pour les enfants de six à treize ans, le catéchisme étant remplacé par des cours « d’instruction morale et civique ».
  • L’enseignement fut imprégné d’anticléricalisme, notamment par la sélection et la formation des maîtres.
  • Le repos dominical fut aboli en 1880, les signes religieux interdits dans les lieux publics, les aumôneries militaires supprimées. La jurisprudence était favorable aux laïcistes, du fait des nombreuses démissions de magistrats catholiques.
  • Le 24 juin 1884 le divorce (supprimé en 1816) fut rétabli.
  • Les mesures fiscales contre les congrégations furent alourdies.
  • La Marseillaise et le 14 juillet devinrent l’hymne et la fête nationaux.
  • Les obsèques de Victor Hugo, en 1885, furent une apostasie laïque, la république confisquant l’église de Sainte Geneviève pour en faire son temple.

Le temps des reniements se profile

Dans ces années disparaissaient aussi deux figures de la contre-révolution catholique, Louis Veuillot, et surtout le comte de Chambord lui-même (1883, lire Les dernières heures du drapeau blanc, d’Albert de Mun).
Le comte Albert de Mun avait toujours — on l’a évoqué —, défendu la foi catholique et l’idée monarchiste la plus traditionnelle. Peu à peu cependant, sous l’influence de la politique du Saint-Siège et après la mort d’Henri V le député de Mun se rallia à la république.
Avant les élections de 1885, il annonça vouloir organiser un parti catholique sur le modèle allemand (le fameux Zentrum) ou belge.
Léon XIII lui-même demanda fermement à de Mun d’y renoncer, ce que ce dernier accepta.
Les élections permirent à la droite, toujours minoritaire (200 députés contre 383 aux républicains), de se raffermir et de se rassembler dans l’Union Conservatricemêlant légitimistes, orléanistes et bonapartistes et ne proposant pas de changement institutionnel.
On peut enfin relater, pour rendre compte de la lutte sourde qui s’amplifiait dans l’Église, le cas du cardinal Jean-Baptiste Pitra, éminent patrologue bénédictin du « parti piano » (parti de Pie IX) qui dans un courrier défendait la revue Le journal de Rome, à la ligne « intransigeante » et louait Pie IX sans mentionner son successeur. Tous les catholiques libéraux, avec Lavigerie et cinq évêques français, avec aussi la presse laïciste réclamèrent la « punition » de Pitra, tancé par Léon XIII lui-même. En 1887, MgrLuigi Rotelli fut nommé nonce à Paris. Sadi Carnot devint président de la République, et demanda à Pierre Tirard de former le gouvernement : tous deux étaient francs-maçons.

Le cardinal Rampolla

Depuis son accession au pontificat Léon XIII avait « usé » trois secrétaires d’État successifs, les cardinaux Franchi, Nina et Jacobini. Tous étaient de tendance « modérée » et pro germanique.
MgrGalimberti, secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires (la politique étrangère du Saint-Siège) dirigeait officieusement le « groupe allemand » de la Curie. Il prônait une association du Saint-Siège avec la nouvelle Triple Alliance (instaurée en 1882) entre l’Italie et les Empires centraux : Allemagne et d’Autriche-Hongrie.
Galimberti espérait succéder au cardinal Jacobini mais ce fut le nonce en Espagne, Mariano Rampolla del Tindaro, que Léon XIII appela comme secrétaire d’État (3 juin 1887).
Âgé alors de quarante quatre ans, de petite noblesse sicilienne, Rampolla s’était distingué à la nonciature de Madrid en soutenant le roi Alphonse XII contre les carlistes et les catholiques intransigeants.
1888, jubilé des cinquante années de sacerdoce du pape, fut l’année d’un véritable tournant. Plusieurs auteurs y voient le début de la décadence du pontificat.
La substitution de Rampolla à Jacobini marqua en tous cas un changement de cap diplomatique, qui de pro germanique devint pro français.
Il faut comprendre que les prélats de l’un ou l’autre camp ne travaillaient pas pour telle ou telle puissance européenne, mais cherchaient le moyen de préserver les intérêts du Saint-Siège, prioritairement au sujet de la « question romaine » née de l’invasion puis de l’occupation par l’Italie des États pontificaux en 1870.
Les « germaniques » estimaient qu’un rapprochement avec la Triple Alliance permettrait d’obtenir de l’Italie des concessions territoriales à moindre frais.
Dans un premier temps une « conciliation » (cf l’opuscule de l’abbé du Mont Cassin « La Conciliazone ») sembla engagée, mais une visite du nouvel empereur Guillaume II au gouvernement italien, lors de laquelle le Kaiser porta un toast à « Rome capitale intangible de l’Italie », mécontenta le pontife.
Par ailleurs Francesco Crispi, le président du conseil italien — ancien garibaldiste et franc-maçon —, mettait en place une série de mesures teintées du même anti catholicisme qu’en France (anti catholicisme qui culmina lors de l’érection à Campo de Fiori le 9 juin 1889, solennité de la Pentecôte, d’un monument à la gloire de Giordano Bruno brûlé sur cette place romaine en 1600 comme hérétique et apostat, suivi par un cortège bruyant surmonté des drapeaux noirs, verts et rouges de la franc-maçonnerie, des républicains et des communistes).
La nomination de Rampolla correspondit bien au souhait par Léon XIII d’un changement de cap diplomatique. Le pape voulait récupérer par tous les moyens diplomatiques sa souveraineté sur les États pontificaux, par l’alliance avec les puissances catholiques (Espagne, France, Autriche-Hongrie) dans un sens hostile au gouvernement italien (on a vu qu’il mésestimait l’entreprise de déchristianisation à l’œuvre en France).
Rampolla estimait que la guerre européenne était imminente, avec pour conséquence l’écroulement de la monarchie de Savoie en Italie et la désagrégation de l’unité italienne, laquelle permettrait à l’Église de récupérer ses États.

La République demande au clergé de renoncer à la Monarchie

En France, après la chute du gouvernement Ferry s’ouvrit une période d’instabilité.
Sept ministères se succédèrent jusqu’en 1889. Le célèbre « Scandale des décorations » obligea le président Grévy à démissionner (on se souvient du couplet satyrique « Ah quel malheur d’avoir un gendre ! »). Survint ensuite l’épisode boulangiste : le général Boulanger, ancien ministre de la Défense, aux soutiens divers (catholiques, monarchistes mais aussi radicaux), élu député demanda la dissolution de la Chambre et l’instauration d’une république autoritaire. Accusé d’attitude factieuse il s’enfuit en Belgique et se suicida (1891) à Bruxelles sur la tombe de sa maîtresse.
Ce mouvement composite, que l’on peut qualifier de bonapartiste, voire de « populiste », manifestait cependant un certain essoufflement de la IIIe République, que les fêtes du centenaire de la Révolution et l’Exposition Universelle de 1889 qui vit s’ériger la Tour Eiffel, symbole de la science et du progrès, masquaient difficilement.
Le gouvernement demandait au clergé de se séparer de la droite monarchiste et conservatrice, en échange d’un soutien au pouvoir temporel du pape.
Fin 1889, MgrFerrata, secrétaire de la Congrégation des Affaires Ecclésiastiques, fut chargé de rédiger un rapport sur la situation en France.
Ce document conforta le pape et le cardinal Rampolla dans la conviction que

la cause de l’anticléricalisme de la IIIe République était l’hostilité que lui portaient les partis monarchistes. Si cette hostilité cessait, l’antichristianisme cesserait et les catholiques entreraient au Parlement29.

Léon XIII réunit au cours de six audiences, autour du cardinal Rampolla, plusieurs prélats français.
MgrPlace, évêque de Rennes, connu comme libéral, suggéra de faire appel à MgrLavigerie.
Le cardinal Lavigerie avait, par son rôle en Afrique dont il était Primat, un ascendant sur le personnel politique républicain qu’il rencontra.
Le 16 octobre 1890, lors d’une ultime audience, Léon XIII demanda au cardinal de prendre une initiative qui serait un acte d’adhésion des catholiques à la République sans engager directement le Saint-Siège.

Le toast d’Alger, préfiguration du Ralliement

Le toast à la République du cardinal Lavigerie

Au début novembre 1890, la flotte de guerre française en Méditerranée commandée par l’amiral Duperré, mouilla dans le port d’Alger. En l’absence du gouverneur général Louis Tirnon, c’était au cardinal Lavigerie de recevoir, dans la résidence épiscopale, l’État Major et les principaux chefs de l’administration civile et militaire d’Alger.
Au dessert, Lavigerie se leva et donna lecture du texte qu’il avait préparé et qui concluait :

quand la volonté d’un peuple s’est nettement affirmée ; que la forme du gouvernement n’a rien en soi de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui, seuls, peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées ; lorsqu’il faut pour arracher enfin son pays aux abîmes qui le menacent, l’adhésion, sans arrière-pensée, à la forme du gouvernement, le moment vient de déclarer l’épreuve faite et, pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l’honneur permettent, ordonnent à chacun de nous de sacrifier pour le salut de la Patrie.

À la fin du toast un chœur musical des Pères Blancs entonna l’hymne révolutionnaire La Marseillaise. Les convives, en majorité des officiers monarchistes, pétrifiés restèrent silencieux et se gardèrent d’applaudir. Prié d’une réponse par le cardinal, l’Amiral Duperré s’exprima de manière froide et laconique.

Conséquences du toast d’Alger

En France l’opinion publique catholique fut désemparée par le discours de Lavigerie.
Pour dissiper l’attentisme, voire l’hostilité du clergé français, MgrRampolla répondit à une demande formulée par MgrBaduel, évêque de Saint-Flour. Sa réponse, qui laissait deviner qu’elle avait été dictée par le Pontife lui-même, suggérait de reconnaître tous les gouvernements établis pour mieux défendre l’autorité religieuse, mais le faisait avec une ambiguïté qui mécontenta Lavigerie. Quoi qu’il en soit, jamais Léon XIII ne désavouera le cardinal, qui avait bien agi selon la mission qu’il lui avait confiée. Lavigerie reprit son projet d’Union catholique, parti conservateur qui réunirait catholiques, monarchistes et républicains modérés.
Il demanda au député Émile Keller (cf ci-dessus) de prendre la présidence de cette Union.
Keller, fermement, déclina la proposition par cet avertissement :

obliger en conscience les catholiques à adhérer à la République c’était, en pratique non pas les unir mais les désunir, puisque c’était faire à leurs convictions une violence qu’ils n’admettaient pas ; puisque c’était transformer cette union religieuse existante en un parti politique qui aurait fatalement des dissidents30.

Relancé par Lavigerie, Émile Keller lui répondit par une fin de non recevoir aux accents visionnaires, évoquant :

l’hostilité systématique et implacable de la plupart des républicains contre la religion catholique (…) lors même que nous changerions d’attitude, ils sont bien résolus à nous combattre toujours comme des ennemis qu’il faut non seulement écarter du pouvoir, mais opprimer, détruire et faire disparaître31.

Et de conclure en dénonçant la « mollesse » des catholiques « trop disposés à courber la tête devant l’orage23 ».

Naissance d’un parti conservateur constitué de ralliés

La rupture entre Keller et Lavigerie fut ainsi consommée. Ce dernier demanda à un chef de file catholique plus « souple », Jacques Piou, de prendre la tête des « ralliés ».
Piou fut reçu par Léon XIII qui l’encouragea à former un parti conservateur non officiellement catholique… pour ne pas susciter l’anticléricalisme !

La résistance monarchiste

Une résistance se manifestait cependant. MgrFreppel tenta d’expliquer au pape la nature intrinsèquement maçonnique de la République, et la quasi inexistence de catholiques républicains. Un temps abasourdis, les monarchistes émettaient de vives critiques envers ce revirement, jusqu’au comte de Paris qui prônait bien sûr les idées libérales propres aux orléanistes mais combattait l’initiative papale selon le point de vue gallican.
C’est envers le comte de Chambord toutefois que Léon XIII exprimait une véritable haine. Sans toutefois que son témoignage soit corroboré par un tiers, l’historien et journaliste Paul Pradel de Lamase — qui avait été reçu en audience par le Pape le 8 septembre 1891—, rapporte que :

le nom du comte de Chambord ayant été prononcé, Léon XIII se leva, comme mû par un ressort, le visage enflammé de colère, et proféra cette terrible sentence : « votre comte de Chambord était une canaille… une affreuse canaille »32.

Le cardinal archevêque de Paris, François Richard de La Vergne, approuvé par beaucoup d’évêques, annonça la création de l’Union de la France Chrétienne, dont le dessein serait la défense des intérêts religieux hors de toute considération institutionnelle.
Cependant c’est bien une majorité de monarchistes qui prit les rênes de cette association, à commencer par Émile Keller lui-même, au grand dam de Lavigerie, lequel était par ailleurs mécontent du nonce Rotelli.

Engagement républicain d’une partie de clergé

MgrRotelli fut justement remplacé par un nouveau nonce, MgrDominique Ferrata, arrivé le 7 juillet 1891 à Paris. Il était fermement décidé à appliquer les orientations favorables au Ralliement.
En janvier 1892, cinq cardinaux archevêques de France publièrent un manifeste répudiant toute hostilité envers la forme républicaine de l’État, mais faisant un procès au gouvernement républicain d’être depuis douze ans « la personnification d’une doctrine et d’un programme en opposition absolue à la foi catholique. »
Soixante quinze évêques adhérèrent à ce texte, qui déplût tant au nonce qu’à Rome, car jugé par eux trop hostile aux gouvernements républicains.
Peu après, le pape accorda une entrevue à un reporter du Petit Journal, dans laquelle il déclara : « la république est une forme de gouvernement aussi légitime que les autres », donnant en exemple les États-Unis d’Amérique (alors qu’il ne voulait pour la France ni rupture du concordat, ni séparation de l’Église et de l’État !). Il reçut en guise de réponse ces mots de Clémenceau, prononcés à la Chambre :

La lutte est engagée entre les Droits de l’homme et ce qu’on appelle les droits de Dieu. (…) L’alliance ne l’est pas. En tous cas la lutte est engagée, il faut qu’elle se poursuive33.

Plus Rome cherchait à réduire l’opposition des catholiques à la République, plus celle-ci affichait son hostilité envers l’Église.

L’encyclique du Ralliement : Au milieu des sollicitudes

L’obsession de Léon XIII : faire cesser les persécutions contre l’Église

Parue le 16 février 1892, en français car adressée au clergé et aux catholiques de France, la bulle Inter sollicitudines officialisait le Ralliement. Avec lucidité Léon XIII constatait « le vaste complot que certains hommes ont formé d’anéantir en France le christianisme », mais affirmait que toutes les formes de gouvernement étaient bonnes pourvu qu’elles visassent au bien commun.
Les catholiques devaient accepter la République (chaque régime est contingent, il ne faut « rien tenter pour le renverser ou pour en changer la forme »), même s’ils pouvaient en contester les lois.
Le pape faisait l’éloge du Concordat, et rejetait le principe de séparation de l’Église et de l’État.
Le pape fit suivre l’encyclique d’une lettre adressée à six cardinaux archevêques français, « Notre consolation a été grande » (3 mai 1892), qui eut un retentissement plus grand encore. Léon XIII y appelait à nouveau les catholiques à l’unité, et insistait :

Acceptez la République, c’est à dire le pouvoir constitué et existant parmi vous ; respectez la ; soyez lui soumis comme représentant le pouvoir venu de Dieu34.

Un siècle après la Révolution française l’Église se désolidarisait de la Monarchie, avec l’espoir d’une pacification religieuse bien illusoire.

L’Église et les formes de gouvernement

Il vaut la peine de citer in extenso Roberto Mattéi lorsqu’il commente le choix de Léon XIII de n’exprimer aucune préférence entre les formes de gouvernement légitimes — monarchie, aristocratie, démocratie selon la classification d’Aristote :

pourvu qu’elle cherche réellement l’utilité et le bien commun35.

Mais Roberto de Mattéi fait observer aussi que :

la position que la position de Léon XIII est pourtant incomplète. Il est vrai, qu’aucune forme constitutionnelle, monarchique, aristocratique, démocratique [n]’est, en soi, contraire à la loi divine ; mais cela ne signifie pas qu’un catholique puisse mettre sur le même plan les trois institutions. La doctrine de l’Église n’enseigne pas l’équivalence des formes institutionnelles, mais la licéité de chacune d’entre elles, à des conditions déterminées. Aucun régime n’est, en lui-même, inacceptable, s’il respecte la loi naturelle et divine, mais le fait que l’Église catholique admette toute forme de gouvernement ne signifie pas qu’elle les place sur le même plan (…) La forme la plus excellente est la monarchie qui, si elle ne peut toujours être appliquée concrètement, doit être malgré tout aimée et désirée comme la meilleure36.

Saint Thomas d’Aquin, dans le De Regimine Principum soutient lui aussi que la monarchie est préférable37 et le rappelle dans la Somme théologique.
Pie VI, dans une allocution du 17 juin 1793, avait lui aussi déclaré que la Révolution française avait aboli « la forme de gouvernement monarchique qui est la meilleure ».
En outre, et l’abbé Maignen le soulignera, accepter les « formes saines et régulières du pouvoir (monarchie, aristocratie, démocratie) » ne signifie pas, ce qui serait lui faire injure, que l’Église soit disposée à « bénir les formes perverties du pouvoir : tyrannie, oligarchie, démagogie38 ».

Les mirages républicains de Léon XIII

Léon XIII, négligeant ces principes, pensait qu’en acceptant la République les catholiques désamorceraient son laïcisme et son anticléricalisme. Roberto de Mattéi rappelle qu’en

réalité la République avait attaqué l’Église avant que les monarchistes n’attaquent la République et de nombreux catholiques étaient devenus monarchistes précisément parce que l’idéologie républicaine était entrée en conflit avec leur foi catholique39.

comme (Veuillot, Keller pour ne citer qu’eux). Inversement

les républicains étaient tels car anticatholiques : dans la monarchie, c’était l’Église qu’ils haïssaient, de même que les catholiques étaient antirépublicains parce que catholiques et qu’au travers de la monarchie, c’est l’Église qu’ils aimaient40.

Le pape confirma encore la portée de son action dans une lettre au président Émile Loubet (23 mars 1900) pour déplorer le projet du ministre Waldeck-Rousseau contre la liberté de l’enseignement :

Nous avons soigneusement inculqué aux catholiques de France, par des actes publics et réitérés, non seulement de ne pas combattre la forme de gouvernement établie dans leur pays, mais encore de lui prêter franche et loyale adhésion41.

Léon XIII répondait aux objections en distinguant les hommes et les institutions. Pour lui une monarchie pouvait être antichrétienne et une république soumise aux préceptes de l’Église.
Paul de Cassagnac n’eut pas de mal à lui répondre que :

la constitution et les lois et institutions athées sont liées de telle façon que la casuistique la mieux affilée ne saurait passer la lame entre elles de façon à les diviser. Et qu’on le veuille ou non, se rallier à la forme c’est se rallier au fond ; accepter le pouvoir légal c’est accepter ses lois42.

Historiquement enfin, la République en France demeurait marquée du sceau de ses origines : jacobine, centralisée, elle avait pour acte fondateur l’assassinat du roi Louis XVI par lequel on avait voulu toucher le représentant de la royauté catholique.
Et Roberto de Mattéi d’insister sur cette évidence rétrospective admise par les républicains eux-mêmes :

La monarchie représentait la conception chrétienne du pouvoir, selon lequel le roi était le lieutenant, le vicaire du vrai roi de France qui est dans les Cieux ; la République était l’élévation de la volonté du peuple au critère suprême de la vie politique et sociale. Il y avait d’une part la France de Saint Louis et de Sainte Jeanne d’Arc, d’autre part celle de Rousseau et de Robespierre43.

La maxime évangélique « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César », que rappelle Léon XIII dans son encyclique, ne signifie pas que l’Église doive délaisser les questions politiques, sociales ou morales de l’espace public. Elle est gardienne en effet de la loi naturelle et divine que l’État se doit de respecter :

La raison humaine a le pouvoir de découvrir en elle-même et de comprendre par ses propres forces les vérités de la loi naturelle et parmi ces vérités de s’élever jusqu’à une vraie connaissance d’un Dieu personnel. Toutefois le Concile Vatican I a défini que, même pour ces vérités de raison, la Révélation était moralement nécessaire… ainsi que l’enseignement authentique par l’Église. La Révélation confirme la loi naturelle. Elle la dépasse aussi, l’agrandit et l’approfondit44.

« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »(Actes 5, 29.) et la résistance aux lois injustes est légitime, comme l’enseignait Saint Thomas d’Aquin. La loi positive elle-même doit respecter la loi naturelle sous peine d’iniquité.

Les royalistes deviennent de mauvais chrétiens

L’invitation du pape aux catholiques français aurait pu être interprétée seulement comme une invitation à respecter les lois de la République, mais cela les monarchistes le faisaient déjà.
Non, Léon XIII, et ses directives aux nonces et aux évêques le prouvaient, demandait vraiment une acceptation pleine et entière du nouveau régime.
Le cardinal Ferrata, commentant la lettre Notre Consolation adressée le 3 mai 1892 par Léon XIII aux cardinaux français, résumait l’injonction pontificale qui

excluait désormais toute équivoque : il fallait l’accepter ou se déclarer rebelle à la parole du pape45.

Les catholiques se séparèrent en deux groupes, les « ralliés » et les « réfractaires » (mot que Léon XIII lui-même utilisera), comme à l’époque de la Constitution civile du clergé.
— Les catholiques libéraux qui avaient vingt ans plus tôt condamné la doctrine de l’infaillibilité pontificale de Pie IX devenaient désormais les plus farouches ultramontains.
A contrario les catholiques qui refusaient d’adhérer à la République devaient être considérés comme des rebelles à l’Église.
L’étiquette « royaliste » signifiait une mise à l’index. Des fidèles se virent refuser l’absolution pour « péché de monarchie46 ».
Le cardinal Masella ne pouvait que regretter dans ses Mémoires ce Ralliement à

la Maçonnerie dominante avec toute sa haine contre la religion et contre Dieu47.

Dans leur Histoire de la France religieuse les historiens Jean Pie Lapierre et Philippe Levillain48 évoquent cette exaspération :

Un Rampolla, chez les opposants au Ralliement, désigna désormais une canaille. Un jeune couple voyant le cardinal officier à Saint Pierre s’écria : « Allons nous en, c’est ce franc-maçon ! »

La gauche républicaine rejeta pourtant l’encyclique, ne tolérant l’expression d’aucune des réserves qui s’y exprimaient (« Voici la gratitude de ces sectaires » écrira le cardinal Masella23.
Le clergé, hormis quelques prélats enthousiastes, l’accueillit avec une profonde réticence.
Les républicains hostiles, les catholiques divisés, tel était le résultat du Ralliement, et l’on commençait à réclamer la séparation de l’Église et de l’État.

Les conséquences immédiates du Ralliement

Autodissolution de l’« Union de la France chrétienne »

Le 10 mai 1891 s’ouvrit le 21e congrès de l’Union de la France chrétienne (cf. supra), dont on a vu que la majorité des responsables était composée de monarchistes. À son ouverture la lecture du message de bénédiction du pape, par l’intermédiaire du Secrétaire d’État le cardinal Rampolla, dissipa toute ambiguïté : il fallait se soumettre aux indications de Léon XIII. Placé devant le choix du reniement ou de la rébellion, l’Union préféra s’auto-dissoudre.

Éclatement du journal « L’Univers » de Louis Veuillot

Peu après le journal l’Univers, fondé par Louis Veuillot, devenu trop obséquieux envers la politique vaticane, éclata. Un groupe de rédacteurs réservés à propos du Ralliement partit fonder La Vérité.
Le cardinal Rampolla fit connaître sa désapprobation au nouveau journal…

Éclatement du légitimisme

Le milieu monarchiste commença lui aussi à se désagréger.

  • Albert de Mun, Armand de Mackau (autre député légitimiste influent) adhérèrent à la République et au groupe de Piou.
  • Chesnelong, Keller, se retirèrent de la lutte.
  • Des « îlots royalistes » écrit René Rémond49 résistent dans l’Ouest et en Provence, et des velléités gallicanes se rallumèrent qui prépareront trente ans plus tard le combat de l’Action françaisecontre la condamnation romaine.

Division des catholiques

La politique des ralliés ne pouvait être que minimaliste, tissée du maximum de concessions.
Jacques Piou, était le véritable chef politique du Ralliement dont le programme se formulait par « République ouverte, tolérante et honnête50 ».
Le constat de faillite formulé par Roberto de Mattéi, pour être sévère, n’en est pas moins réaliste :

Alors qu’il était conçu dans le but de réaliser l’unité des catholiques, le ralliement mena à leur division radicale51.

On se souvient du futur maréchal Lyautey, catholique légitimiste, qui sortit d’une audience pontificale si désorienté qu’il abandonna ses convictions monarchistes et perdit la foi.
Le cardinal Lavigerie mourut le 26 novembre 1892.

Désastres électoraux

Au printemps 1893, les élections avaient été désastreuses pour les catholiques. Les conséquences pratiques du Ralliement créaient une situation inédite et paradoxale au parfum de scandale, comme le fait observer Roberto de Mattéi :

de notoires candidats catholiques furent exclus de l’appui des évêques parce que royalistes, tandis que le soutient fut donné à des députés non seulement républicains, mais liés à la Maçonnerie par idéologie et intérêts personnels52.

Le pape cependant ne souhaitait pas la formation d’un parti catholique, qui aurait compliqué ses relations avec le gouvernement français.
Aux élections, l’opposition catholique, en incluant les ralliés, régressa de 200 députés à moins de 100 : les ténors du Ralliement comme Albert de Mun et Jacques Piou ne furent même pas élus.
Ce désaveu indubitable se manifestait surtout par une très forte abstention (28,8%), comme si beaucoup d’électeurs catholiques s’étaient retirés sur leur Aventin.

La porte ouverte au modernisme

Une naïveté coupable qui propulse un clergé moderniste

Menacés d’un discrédit durable par l’affaire de Panama qui avait révélé une corruption de grande ampleur du personnel politique républicain, le gouvernement de Jean Casimir-Périer adopta la tactique de l’apparente conciliation. Le 3 mars 1894, le nouveau ministre des Cultes, le maçon Eugène Spüller, annonça « un esprit nouveau fondé sur le principe de tolérance53 » dans un discours lénifiant :

Il est temps de faire prévaloir dans les questions religieuses un véritable esprit de tolérance éclairée, humaire, supérieure, la tolérance qui a son principe non seulement dans la liberté de l’esprit mais aussi dans la charité du cœur. […] Il est temps de lutter contre tous les fanatismes, quels qu’ils soient : contre tous les sectaires [afin de]… réconcilier tous les citoyens54.

En contrepartie, l’Église devrait abandonner sa « forme ancienne pour s’adapter aux « temps nouveaux » », c’est-à-dire à la « démocratie… la forme désormais définitive de la société et que l’Église … ferait sienne55. »
Rassuré par ces dispositions conciliantes, le Vatican accepta alors que le gouvernement lui proposât ses candidats à l’épiscopat, choisis parmi les plus « ouverts » à l’idéologie républicaine du « progrès » par le directeur du ministère des Cultes, Charles Dumay, « franc-maçon très notoire56 ».
On vit donc l’élévation de prélats indignes, « dont certains ne méritaient pas même d’être prêtres57 » à la dignité épiscopale.
Bien sûr, le nouveau cours du temps enthousiasma une frange du catholicisme, qui avec l’abbé Pierre Dabry désignait l’année du Ralliement comme « une année d’aurore ». Emboîtant le pas de cet ecclésiastique démocrate, l’abbé Félix Klein prophétisait une « nouvelle Pentecôte » sur l’Église de France, avec des accents millénaristes annonciateurs d’un aggiornamento latent qu’il appelle de ses vœux :

tout semble annoncer, pour le siècle qui déjà se lève, la réconciliation entre l’Église et le monde moderne, entre la démocratie et la papauté58.

L’encyclique du ralliement encourage et semble approuver par avance l’apparition d’une floraison de journaux démocrates-chrétiens : tandis que La France Libre paraît à Lyon, l’abbé Naudet lance La Justice sociale à Bordeaux et l’abbé Garnier crée le Peuple français. Si ces abbés chrétiens-démocrates prêtaient de façon exagérée à Léon XIII l’intention de réaliser le projet de Lamennais, le pape leur donnait raison dans les faits, c’était :

tout simplement le christianisme social de 1848, un renouvellement des thèses de l’Ère Nouvelle de l’abbé Maret, qui elles-mêmes se rattachent, par celles de Buchez, aux théories de Lamennais et aux utopies du saint-simonisme : l’alliance naturelle de l’Église avec la démocratie … la Révolution fille du christianisme et de l’Église59.

observait avec pertinence l’abbé Barbier.
En 1893 l’abbé Jules Lemire, ancien partisan du comte de Chambord, fut élu député du Nord, le premier prêtre « démocrate chrétien » ou « socialiste chrétien », « incarnant l’itinéraire d’un certain nombre de représentant du clergé et du laïcat catholique qui, après la ralliement, avaient abandonné le contre-révolution catholique pour adhérer au « néochristianisme »60 ».
Ces abbés démocrates, qui voulaient réformer le vieux clergé, trouvèrent en la personne du cardinal Rampolla un constant défenseur.
Pour éviter le cléricalisme la démocratie-chrétienne devait rassembler au-delà du catholicisme, et demeurer laïque et a-confessionnelle, selon le vœu supposé de Léon XIII.

Catholiques, francs-maçons et socialistes pourraient se retrouver, selon les abbés démocrates, sur un terrain politique et social commun, et pour que cela se produise, il fallait nécessairement mettre de côté toute référence à la foi catholique.

conclut Roberto de Mattéi61.
Le pape finit cependant par réagir, bien tardivement, au moyen de l’encyclique Graves de communi du 18 janvier 1901 pour recentrer la « démocratie chrétienne » au seul domaine des œuvres sociales, hors de tout sens politique.

L’américanisme

Par une coïncidence qui ne doit sans doute rien au hasard, c’est le 18 juin 1892 que MgrJohn Ireland, archevêque catholique de Saint-Paul (Minnesota, États-Unis), donna une conférence à Paris pour faire l’apologie de la démocratie américaine et la proposer comme modèle car ce grand pays « est cause que la République fut canonisée par Léon XIII62. »
L’abbé républicain Félix Klein s’empressa de publier en France ses principaux discours, appelant au mariage non de raison mais de conviction entre L’Église et le siècle, selon le titre du recueil.
Le doctrinaire de ce ralliement général connu ensuite sous le nom d’« américanisme », était le père Isaac Thomas Hecker. Ce new-yorkais protestant converti, ordonné chez les Rédemptoristes, puis expulsé par la congrégation, devait fonder la Société des prêtres missionnaires de Saint Paul (les « Paolistes »), « avec pour mission de proposer une nouvelle conception de l’Église ». L’Église devait être largement ouverte à tous, mais pour ce faire « tempérer son enseignement traditionnel » et renoncer à « la mortification, l’obéissance et l’humilité » au profit des vertus naturelles typiquement américaines : « l’honnêteté, l’esprit d’entreprise, l’amour du prochain ». L’ex-rédemptoriste expliquait la « décadence de la race latine » par « le primat que l’Europe avait donné aux « vertus passives », qui formaient des âmes faibles et viles, et non fortes et viriles comme aux États-Unis ».
L’effusion de l’Esprit-Saint devait constituer la règle suprême ; en cas de conflit avec le magistère de l’Église, c’est la liberté de conscience du fidèle qui devait prévaloir. Telle est, brièvement exposée par Roberto de Mattéi, la doctrine « américaniste »63.
C’est encore l’abbé Klein qui se fit le promoteur des idées américanistes en France, donnant une préface à la Vie du père Hecker écrite par son disciple le père Walter Elliot traduite en français en 1897, où son héros est qualifié de « plus grand mystique du XIXe siècle » ou de « grand et universel pionnier de l’Église64 ».
« Le « Parlement des religions » qui eut lieu en 1893, à l’occasion de la Grande Exposition de Chicago, fut l’expression la plus éclatante et la plus significative de l’ »américanisme » ». Des « prêtres catholiques, pasteurs protestants, popes orthodoxes, mufti islamiques, bonzes bouddhistes s’étaient rencontrés pour célébrer le rôle de la collaboration ieter-religieuse dans la société moderne » résume Roberto de Mattéi65.
À l’instar de leurs homologues américains, les « abbés démocrates » disciples du père Hecker envisagèrent d’organiser un tel congrès à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Le Cardinal Masella commente dans ses Memorie :

Un mal encore plus grave que la démocratie, bien qu’il y soit lié, avait envahi la France : il s’agit de l’Américanisme66.

Rapidement, le pape réagit à cette « religion sans dogmes dans un monde sans frontières ». Par l’encyclique Testem benevolentiæ en date du 22 janvier 1899, il condamna l’américanisme qui selon lui voulait, non seulement adapter la discipline au monde moderne, souhait selon lui légitime, mais étendre ce principe à la doctrine elle-même, ce qu’il ne pouvait accepter.

Naissance du modernisme

Si le terme de « modernisme » a été employé par Pie X qui condamna cette somme d’erreurs, l’origine du mouvement date de la décennie 1890-1900, sous le pontificat de Léon XIII.
Même si le Ralliement n’est pas lié directement à l’américanisme et au modernisme, ces derniers résultent bien d’une tentative d’une partie du catholicisme d’interpréter la politique ecclésiastique de Léon XIII comme une « ouverture » au monde moderne.
Henri Béranger, l’un de ces « néos-chrétiens », affirme que par son action

Léon XIII parlant au siècle le langage du siècle, se détourna des rois pour se tourner vers les républiques […] Mais surtout par ses encycliques à la nation française, quand il eut ordonné l’adhésion efficace du clergé à la république et à la démocratie, il modifia profondément l’état des consciences dans notre génération67.

« Ce fut dans cet humus que fermenta le modernisme » constate Roberto de Mattéi68. Aux disciplines traditionnelles des universités catholiques (philosophie, théologie et droit canon),

les libéraux réclamaient qu’on ajoutât une place pour la science, pour la nouvelle méthode critique, l’histoire et l’exégèse devant prendre le pas sur une théologie immobiliste et « fixiste » (…)
Les novateurs étendirent le concept de « progrès « du domaine scientifique et social au domaine religieux et moral. Ils rêvaient d’un nouveau christianisme fondé sur la « charité » qui aurait aboli les frontières et unifié les différentes religions69.

L’Institut Catholique de Paris se révéla sous le pontificat de Léon XIII un laboratoire des nouvelles tendances. C’est là que se forma, sous la conduite de MgrLouis Duchesne (et tous deux protégés par le recteur, Mgrd’Hulst), Alfred Loisy, professeur d’exégèse. Duchesne appliquait la méthode « historico-critique », tandis que l’abbé Marcel Hébert traduisait leurs idées dans le domaine philosophique.
La méthode historique appliquée au domaine de la foi, dans le sillage des aspirations d’Ernest Renan dont la Vie de Jésus (1863) avait fait grand bruit, conduisait à la dissolution des principales vérités de la foi. MgrDuchesne avouait dans une lettre à Friedrich von Hügel :

hésiter devant le Dieu personnel et créateur70.

Loisy, à l’esprit cinglant, haïssait l’Église traditionnelle et sa critique biblique désacralisait Ancien et Nouveau Testaments. Loisy ne sera condamné et mis à l’index par Rome que sous le pontificat de Pie X (le cardinal Rampolla défendit Loisy, qui, exclu de l’Institut Catholique, fut élu au Collège de France sous les acclamations du monde laïciste).
Hébert et lui apostasièrent, tandis que beaucoup de jeunes prêtres qu’ils avaient formés à l’Institut Catholique, imbus de libéralisme religieux, perdirent la foi.
Ce « néochristianisme « se répandit hors de l’Institut, par exemple en Sorbonne grâce à l’œuvre d’un jeune universitaire, Maurice Blondel et sa « philosophie de l’immanence de l’action ».
Ces thèses rejoignaient l’américanisme, ainsi que les travaux de divers théologiens protestants.
Léon XIII comprit cependant le danger, et publia plusieurs mises en garde — comme l’encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1894 — qui demandaient que l’on revînt à la théologie thomiste et à l’obéissance au Magistère de l’Église.

La politique républicaine de l’après-Ralliement

Une politique maçonnique

Un premier Cabinet de la République entièrement radical fut formé par Léon Bourgeois (1895-1896). Sur dix membres, huit étaient francs-maçons, dont le ministre des Cultes Émile Combes, qui affirmait sans ambages :

à l’époque où les vieilles croyances plus ou moins absurdes et en tout cas erronées, tendent à disparaître, c’est dans les loges que se réfugient les principes de la vie morale71

Le Grand Orient se mua en « laboratoire législatif ». Les divers « cercles », « sociétés » ou « fédérations » républicains étaient tous liés à la franc-maçonnerie, de même que la « Ligue des droits de l’homme » crée à l’occasion du procès d’Alfred Dreyfus. Le président de cette dernière, le protestant libéral Ferdinand Buisson affirmait ainsi :

après avoir laissé passer, au XVIe siècle, l’occasion de se détacher violemment de Rome, la France, deux siècles et demi plus tard, a entrepris de faire plus et mieux que la Réforme. La Révolution n’est pas protestante, elle est laïque72.

Le Pape opte pour la soumission au Gouvernement

Après l’approbation de l’imposition des biens des congrégations (16 avril 1895), la question de la résistance ou de la soumission se posa, et divisa les catholiques.
Léon XIII, qui penchait pour la soumission, laissa leur liberté de conduite aux supérieurs religieux. Ceux-ci se divisèrent en deux groupes, selon qu’ils adoptassent une position de refus ou un choix de collaboration. Quant au nonce, MgrFerrata, il prônait l’obéissance à la loi, craignant autant une remise en cause du Concordat que du Ralliement.
Le père Ange Le Doré, supérieur des Eudistes et âme de la résistance écrivit :

C’est la liberté, les droits de l’Église notre mère, qu’on veut ravir. Et nous irions agenouiller l’Église en nos personnes aux pieds d’un César pour en recevoir des ores ! Nous ne le ferons pas ! 73

Le 21 juillet 1896 le pape nomma MgrEugenio Clari nonce à Paris, en remplacement de MgrFerrata.
À la mort de Mgrd’Hulst, député monarchiste de Brest, l’élection dans cette circonscription d’un abbé républicain (Gayraud) créa une nouvelle polémique. Léon XIII en profita pour réaffirmer (par un article dans l’Osservatore Romano) son interdiction de combattre le gouvernement.
L’abbé Emmanuel Barbier, déplorant cette nouvelle temporisation, observe justement que :

cette capitulation nouvelle ne pouvait être qu’un encouragement à des nouvelles agressions de la part d’ennemis irréconciliables74.

Une résistance à la République désavouée

Les supérieurs « résistants » se trouvaient désavoués, et le père Doré se plaignait amèrement au cardinal Rampolla des funestes conséquences de ce revirement :

Modifier en ce moment notre attitude, c’est assumer notre ruine […] c’est jeter le désarroi et le découragement le plus profond dans le cœur de tous les catholiques français ; c’est nous couvrir de ridicule ; c’est paralyser pour l’avenir toute action catholique et nous enlever même l’espérance d’essayer […] Nous pourrons encore prier et pleurer, mais agir et lutter désormais sera impossible75.

À Rome…

on continuait à espérer rendre ce gouvernement maçonnique moins hostile à l’Église, ce qui revenait à vouloir réconcilier le diable avec l’au bénite76.

Dom Sébastien Wyart, supérieur général des cisterciens hostiles à la soumission, fut convoqué par le pape et, au nom de l’obéissance, envoyé par ce dernier avec le père Picard, des Assomptionnistes, pour visiter secrètement les diocèses et y faire connaître les intentions du pontife.
Le programme de cette officieuse mission pontificale est synthétisé par l’abbé Barbier :

Loyalisme à l’égard des institutions politiques poussé jusqu’au reniement des catholiques qui ne la professent pas, constitution d’un parti se plaçant sur le terrain commun à toutes les honnêtes gens, c’est-à-dire en définitive d’un parti libéral77.

Le résultat de cette politique ne se fit pas attendre. Aux élections de 1898, les ralliés subirent un échec cuisant (32 élus, contre 44 monarchistes, 432 députés de gauche et 5 socialistes).

La loi de suppression des congrégations

Après la mort, dans des circonstances scabreuses, du président Félix Faure (18 février 1899), Émile Loubet fut élu pour lui succéder.
Pierre Waldeck-Rousseau — protestant nantais — fut chargé de former le gouvernement, bien décidé à s’inspirer des directives du Grand Orient.
Le 14 novembre 1899 il déposa un projet de loi pour supprimer les congrégations « coupable à son avis d’inculquer à la jeunesse française un esprit contre-révolutionnaire78. »
Par l’intermédiaire du nouveau nonce, MgrLorenzelli (MgrClari son prédécesseur était mort le 8 mars), Rampolla protesta contre le projet de loi, faisant savoir qu’en échange de son retrait, le pape était prêt à châtier les « réfractaires »79. Le directeur de La Croix fut ainsi appelé à Rome et tancé pour le ton de son journal23.
Malgré cela, le gouvernement frappa d’abord les Assomptionnistes, dont la Maison Mère fut perquisitionnée en janvier 1900. Peu après, aux vœux du Corps diplomatique au Président Loubet, le nonce tut ses outrages et souligna que la France marchait toujours à la tête des nations chrétiennes, ainsi que l’observa avec consternation le cardinal Masella :

dire cela après tant d’outrages qui venaient d’être commis et se préparaient à l’encontre de l’Église du Christ, c’était donner l’impression de vivre sur la lune80.

Les Assomptionnistes furent dissous, et la visite de consolation que leur rendit le cardinal Richard fut condamnée par le Saint-Siège. Le nonce Lorenzelli aurait été bien avisé d’écouter l’avertissement que le père Picard, assomptioniste, lui avait lancé :

Si vous nous laissez attaquer toutes les congrégation y passeront après nous. Quand nous aurons disparu, Waldeck-Rousseau … présentera la loi d’association qui sera pour tous les religieux une loi de proscription, et cette loi sera votée et elle sera exécutée81.

La République est fondée sur les principes de la Révolution

Le 23 mars 1900, Léon XIII écrivit au président Loubet pour protester contre le projet de loi sur les associations, se targuant d’avoir enjoint aux catholiques français d’adhérer à la République et attendant pour cela la modération du gouvernement.
Loubet répondit au pape, tardivement, par une fin de non-recevoir presque cynique, écrivant que :

l’action de l’épiscopat aidant, on pourrait constater bientôt le respect le plus complet des lois de la République et du Gouvernement82.

Au banquet géant organisé pour célébrer l’anniversaire de la fondation de la République (12 septembre 1900, pendant l’Exposition universelle), devant 22000 maires Émile Loubet réaffirma que la République était fondée sur les principes de la Révolution, et qu’elle les ferait respecter fermement.
Peu après, Waldeck-Rousseau promit de récupérer le fameux « milliard des Congrégations ».
Dans sa lettre au cardinal Richard, Au milieu des consolations, le pape déplora à nouveau les menaces qui pesaient sur les congrégations, ce qui réconforta un peu les catholiques mais déplut aux évêques républicains tels que MgrArmand à Luçon ou MgrLe Nordez à Dijon.

Une loi sur les associations destinée à exterminer les associations religieuses

La loi sur les associations, votée à de larges majorités à la Chambre et au Sénat, fut promulguée le 1er juillet 1901. C’était selon Ferdinand Buisson :

le premier acte public engageant à fond la République dans cette lutte avec l’Église jusque-là semée de tant d’armistices, de traités de paix et de compromis tacites83.

Libérale envers les associations laïques, elle soumettait les congrégations religieuses à un régime tyrannique destiné à les supprimer purement et simplement.
Les 158 000 religieux de France, hommes et femmes, n’eurent de choix qu’entre la sécularisation ou l’exil.
Peu instruite par l’enchaînement des déroutes électorales, la nonciature de Paris confie à Jacques Piou le soin de constituer un nouveau parti. L’Action libérale, « expression ultime du ralliement84 », mène une nouvelle fois les catholiques à la débâcle aux élections du printemps 1902 : 35 députés ralliés seulement étaient impuissants à conjurer l’agressivité idéologique des 330 députés gouvernementaux.

Dissolution des congrégations et fermeture des écoles libres

Il fallait boire le calice jusqu’à la lie. Les élections de 1902 donnèrent la présidence du Conseil à Émile Combes, ancien séminariste, qui avait été tonsuré et avait reçu les ordres mineurs avant de se voir refuser l’accès au sous-diaconat, de se marier et d’entrer en politique dans les rangs républicains.
Évidemment affilié au Grand Orient, il voulait la « décatholicisation » totale de la France85. Il avouait n’avoir pris le pouvoir que dans ce but.
Sans que le pape ne réagisse significativement, Combes ordonna la fermeture de 135 congrégations et de 2800 écoles libres (sous huit jours !).
Les incidents les plus graves eurent lieu à la Grande Chartreuse (le colonel en charge de l’expulsion démissionna pour ne pas exécuter l’ordre reçu), où les chartreux, trouvés chantant l’office à la chapelle, furent traînés dehors l’un après l’autre tandis que la troupe contenait les milliers de paysans armés de bâtons venus défendre les moines.
Le Grand Orient félicita Combes, l’apostat :

Sa guerre aux moines fut d’extermination86.

La Franc-maçonnerie appliquait sa feuille de route :

substituer à l’autorité spirituelle de l’Église, éducatrice traditionnelle de la France, le magistère de la France révolutionnaire87.

L’échec consommé du Ralliement

Fin du pontificat de Léon XIII

Parvenu au soir de sa vie, il avait fêté ses 90 ans en 1900 mais restait lucide, Léon XIII dressait un bilan de son pontificat par l’encyclique Annum Ingressi (19 mars 1900). Il y déplorait l’influence maléfique de la secte franc-maçonne en écho àHumanum Genus, ainsi que la perte de ses États pontificaux. Force lui était de constater que le ralliement, destiné à récupérer ces derniers, était un échec cuisant :
« Il m’ont trompé » répétait le pape à son entourage88. À aucun moment pourtant, Léon XIII ne douta du bien fondé de sa politique ; il confiait en juin 1903 lors d’une audience à l’ancien président du Conseil Jules Méline

Je me suis rattaché sincèrement à la République89.

Le pape continuait aussi de soutenir les abbés-démocrates. L’abbé Naudet, reçu au Vatican, pouvait rapporter ces paroles d’approbation léonines :

c’est bien, mon fils, continuez, je suis content de vous90

Après une brève maladie, le pape s’éteignit le 20 juillet 1903. L’ambassadeur austro-hongrois auprès du Saint-Siège reçut presque aussitôt de son gouvernement l’ordre d’opposer son veto à l’élection éventuelle du cardinal Rampolla au siège de Saint Pierre.

Échec de la politique pour s’attirer les grâces de la République

Un an après la mort de Léon XIII la France rompait ses relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Le Vendredi Saint 1904 les crucifix avaient été retirés des écoles et des tribunaux. LaLoi concernant la Séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, dite « loi Combes », scella le Ralliement. Le Concordat de 1801 était aboli.

Échec et compromissions internationaux

Au plan international aussi le Ralliement était un échec. Le Vatican, qui s’était détourné de la Triple Alliance germanique avait été souffleté par la France et se retrouvait isolé. Les catholiques italiens ne comprenaient pas que ce qui avait été préconisé en France ne pouvait l’être dans leur pays et demandaient une ouverture envers le régime d’Umberto Ier, tout aussi laïque que son voisin transalpin.
La critique la plus dure vint d’un article anonyme intitulé « The policy of the Pope » publié dans la « Contemporary Review » : Léon XIII s’était compromis avec Bismarck, avec la maçonnerie française et avec la Russie schismatique, sacrifiant le Zentrum allemand, les monarchistes français et la Pologne catholique.

De Léon XIII à saint Pie X

Volte-face de la politique vaticane

Élu pape le 4 août 1903 sous le nom de Pie X, Giuseppe Sarto choisit pour le seconder comme Secrétaire d’État le jeune Rafæl Merry del Val. Pie X prit aussitôt le contre-pied de son prédécesseur :

La Maçonnerie ne craint pas une opposition républicaine, elle ne craint qu’une opposition monarchique91.

Il remplaça le Ralliement par la résistance, comme en témoigne l’encyclique Vehementer nos du 11 février 1906, encourageant les catholiques à s’opposer par tous les moyens légaux au lois laïcistes.
Face à la spoliation de l’Église de France — qui perdit un patrimoine de 450 millions de francs et toute couverture juridique — Pie X ne plia pas :

Si la paix des consciences est rompue en France, ce n’est pas du fait de l’Église, mais du fait de ses ennemis92.

… écrit-il dans l’encyclique Une fois encore (1907).
La même année il publia l’encyclique Pascendi contre le modernisme.
En 1908 il consacra dans la basilique Saint Pierre 14 évêques « nés pour la guerre93 », les premiers nommés sans accord du pouvoir civil.
Après la cérémonie il leur tint en privé un discours poignant, les appelant au martyre tout en enviant leur sort.
Devant cette fermeté la Troisième République n’osa pas mettre en œuvre jusqu’au bout la persécution, pour éviter de créer des martyrs, et renonça à fermer les églises et emprisonner les prêtres.

La politique sans concessions de Pie X, jugée hasardeuse par de nombreux modérés, se révéla visionnaire94.

écrit Roberto de Mattéi. Aristide Briand lui-même le reconnaîtra :

Le pape ? (i. e. Pie X), c’est le seul qui ait vu clair ! 95

Du Ralliement à l’« Action française »

Après la mort du duc de Chambord « le parti royaliste qui avait à sa tête le duc d’Orléans, s’achemina vers une rapide extinction. Ses comités cependant finirent par ne plus exister que de nom » remarque Roberto de Mattéi96 « Le gallicanisme… réaffleurait en France, non pas tant comme courant idéologique, que comme attitude psychologique de défiance envers l’ »ingérence » du pape dans les questions politiques françaises97. »
Une disposition d’esprit suscitée par le ralliement et qui aura de lourdes conséquences par la suite. Mais il est une autre conséquence bien plus grave relevée par Roberto de Mattéi :

les royalistes abandonnèrent le fondement religieux de leurs convictions pour fonder leurs sentiments sur des raisons politiques, économiques, sociales97.

La politique léonine a provoqué la sécularisation du mouvement royaliste qui va trouver sa justification hors de sa propre tradition.
En 1899 naquit l’Action française, qui fondait son choix monarchique, non sur la vision métaphysique de la société, mais sur la méthode positiviste, baptisée « empirisme organisateur ».
Aucun des fondateurs de l’Action française, Henri Vaugeois, Charles Maurras, ne provenaient des rangs catholiques et monarchistes. Les contre-révolutionnaires considérèrent dès lors Maurras comme un allié plutôt que comme un maître.
L’alternative, regrettable, entre le « positivisme monarchique » de l’Action française et le « christianisme social » du Sillon de Marc Sangnier (cf infra) fut une conséquence du Ralliement.

Du Ralliement au « Sillon »

Il existe une continuité entre l’Action libérale populaire, dirigée par le « rallié » Jacques Piou, et le Sillon de Marc Sangnier, avatars de la Démocratie-chrétienne. Jacques Piou écrivit ainsi dans la Revue des Deux Mondes un article intitulé « Les conservateurs et la démocratie » où il exprime non seulement son ralliement à la forme institutionnelle, mais encore à l’idéologie républicaine elle-même qu’il présenta comme éminemment catholique :

Les idées de liberté, d’égalité, de fraternité que les révolutions appellent leur conquête, n’ont pas été apportées par elles dans le monde. […] Jamais société civile ne réalisera mieux l’idéal démocratique que le société religieuse fondée par le Christ98.

Marc Sangnier, ne dit pas autre chose quand il affirme du Christ que :

Lui seul maintient le principe démocratique ; il ne saurait donc y avoir de démocratie contre le christianisme99.

Léon XIII et le cardinal Rampolla avaient encouragé Sangnier. Ce dernier avait écrit au fondateur du Sillon après le premier congrès du mouvement en décembre 1902 que :

le but et les tendances du Sillon ont beaucoup plu à Sa Sainteté100.

En revanche, le cardinal Merry del Val invita, lui, l’association à se conformer à l’enseignement de l’Église dès le Congrès sillonniste de 1905.
L’abbé Emmanuel Barbier s’était montré particulièrement clairvoyant sur le Sillon :

En vertu de l’affinité entre le modernisme et la démocratie, l’immanence vitale, qui est le cœur de la thèse moderniste, passe de l’ordre religieux à l’ordre social, et ensuite passe de l’ordre social à l’ordre religieux101.

Finalement Pie X condamna le mouvement (lettre Notre Charge Apostolique du 25 août 1910). Il soulignait l’affinité entre modernisme et démocratie :

On ne travaille pas pour l’Église, on travaille pour l’humanité102.

Les critiques du Ralliement

Soladitium pianum

Le Ralliement eut des conséquences désastreuses sur la cause monarchique dans l’Europe entière, et il favorisa le modernisme qui transposait au domaine théologique et philosophique ses orientations au plan politique.
A contrario il suscita le développement d’une école contre-révolutionnaire qualifiée d’« intégriste » par ses adversaires. Celle-ci connut son plein essor sous le pontificat de Pie X, qui lui était favorable.
On connaît notamment le fameux Soladitium pianum (la « Sapinière ») de MgrUmberto Benigni, dont firent partie l’abbé Emmanuel Barbier, MgrHenri Delassus et le père Charles Maignen.

L’abbé Barbier

L’abbé Barbier — qui avait quitté la Compagnie de Jésus pour mieux combattre le Ralliement —, publia d’abord deux ouvrages pour dénoncer les erreurs du Sillon (Les idées du Sillon. Étude critique (1905), Les erreurs du Sillon (1906), puis critiqua directement le Ralliement : Cas de conscience : les catholiques français et la République(1906).
Même si son ouvrage suivant, Le progrès du libéralisme catholique en France sous le pape Léon XIII : étude documentaire (1907) fut mis à l’index en raison de passages un peu durs contre l’ancien pontife, Pie X encouragea toujours l’abbé Barbier dans son combat.
Le professeur De Mattéi, dont l’ouvrage sert de base à cet article qui en est le résumé, reconnaît lui-même avoir puisé largement dans le maître opus de Barbier, son Histoire du catholicisme libéral et social en France du Concile du Vatican à l’avènement de SS. Benoît XV (1870-1914).

Dom Besse

Dom Jean-Martial Besse, bénédictin de Solesmes, prêtre, chercheur, écrivain et conférencier, publia sur le Ralliement sous le pseudonyme de Léon de Chayssac, dans une ligne contre-révolutionnaire et pénétrante (on citera Le ralliement, Église et monarchie, L’Église et les libertés modernes, Les religions laïques).

Monseigneur Delassus

MgrHenri Delassus, prêtre à Lille puis directeur et propriétaire de la Semaine religieuse du diocèse de Cambrai (qui deviendra : du diocèse de Lille), fit de celui-ci un bastion contre le libéralisme et le modernisme.
Malgré les attaques des prêtres démocrates, MgrDelassus fut soutenu par le pape Pie X, jusqu’à recevoir de lui une lettre d’éloges à l’occasion de son jubilé sacerdotal en 1912.
Ses écrits publiés sous le titre de La conjuration antichrétienne lui vaudraient, écrit son biographe Louis Medler, d’être considéré comme :

le légataire universel, au seuil du XXe siècle, de l’héritage contre-révolutionnaire du XIXe103.

Le père Charles Maignen

On peut aussi évoquer, parmi les penseurs dressés contre le Ralliement politique à la République et aux idées du siècle, la figure du père Charles Maignen, neveu de Maurice Maignen le catholique social cofondateur de l’Institut des frères de Saint-Vincent de Paul en 1845. Charles Maignen participa dans un esprit « intransigeant » à la fondation de l’ACJF (Association catholique de la jeunesse française). En 1894, dans La libre Parole, le journal d’Édouard Drumont, il publia un article retentissant qui défendait les « réfractaires » contre les « ralliés », et s’attaquait au revirement d’Albert de Mun. Il fut aussitôt sanctionné par son supérieur. Il continua néanmoins son combat, notamment contre le père Hecker et l’américanisme (voir supra), question qui agitait alors autant le monde religieux que l’affaire Dreyfus passionnait le monde politique et militaire. C’est grâce à lui que Léon XIII condamna l’américanisme (encyclique Testem benevolentiæ du 22 janvier 1899, déjà évoquée).
Sous le pontificat de Pie X, le père Maignen, par l’intermédiaire du cardinal Merry del Val, entra en contact avec MgrBenigni et devint l’une des chevilles ouvrières du Sodalitium pianum. L’Association Notre-Dame de Nazareth, groupe de religieux et laïcs « intégristes », se réunit quant à elle de 1891 à 1894. Elle se proposait notamment

[d’] agir sur le prochain conclave et obtenir qu’il ne soit pas donné au pape actuel un successeur qui continue ses errements libéraux et politiques, si funestes pour l’Église104.

Le 26 juillet 1892 Maignen donna à ses pairs lecture d’un texte dans lequel il disqualifiait les consignes du pape au sujet de l’attitude des catholiques français vis à vis de la République :

L’autorité du pape existe pour édifier et non pour détruire, et les ordres de Léon XIII détruiraient l’Église de Dieu, si l’Église pouvait être détruite. Il ne nous est donc pas permis d’accepter sans arrière-pensée la République Française et d’user envers les ennemis de l’Église des ménagements que l’on veut nous imposer. Nous ne pourrions le faire sans charger nos consciences d’un crime dont Dieu nous punirait105.

On notera parmi les études critiques du père Maignen envers Léon XIII, jamais publiées, le texte intitulé « Un pape légitime peut-il cesser d’être pape ? », dans laquelle il aborde le problème du pape hérétique. Par la suite cependant le père Maignen nuancera ses propos et considérera que le libéralisme de Léon XIII avait été pratique et non doctrinal.

Charles Périn de l’Université catholique de Louvain

Parmi les noms à retenir de ce mouvement antilibéral, on peut enfin citer celui de Charles Périn, mort en 1905. Juriste et économiste, professeur à l’Université catholique de Louvain, il opposa à la conception libérale de l’État une conception « intégrale » du rôle de l’Église sur la société. L’ordre matériel est subordonné à l’ordre moral, fondé sur le principe évangélique du renoncement (Les lois de la Société chrétienne, 1875).

Conclusion

Le professeur Mattéi établit bien la distinction entre le libéralisme, condamné par Léon XIII comme par ses prédécesseurs, et « l’esprit libéral », que le pape fit sien :

  • Les libéraux acceptaient les principes de la Révolution française,
  • les catholiques libéraux cherchaient à mettre de côté leur opposition aux précédents pour se placer sur le plan des faits. Ces catholiques libéraux privilégiaient « l’hypothèse », aux dépens de la « thèse », état idéal pour le chrétien mais devenu selon eux chimérique.

On comprend mieux ainsi la contradiction entre les grands textes de Léon XIII que nous avons cités, et qui condamnent le caractère antichrétien des sociétés modernes, et sa politique de ralliement à un État apostat qui en est comme la figure emblématique.
Force est de considérer le Ralliement comme une débâcle. Non seulement l’anticléricalisme ne cessa pas, mais il se déchaîna de plus belle. Le Ralliement porta un coup fatal à l’alliance du Trône et de l’Autel qui depuis un siècle constituait un rempart contre le processus révolutionnaire dont le but est d’arracher les racines chrétiennes de la société.
Sur les ruines du courant monarchiste vont naître une droite nationaliste et positiviste, l’Action française — même si elle compta beaucoup de catholiques en son sein —, et un parti chrétien-démocrate a-confessionnel.
Ces deux mouvements niaient tous deux la Royauté sociale de Jésus-Christ et acceptaient la sécularisation comme processus irréversible de l’histoire106. Dans le vide ainsi créé se lovèrent d’infâmes systèmes, communisme, fascisme, nazisme, tous étrangers et hostiles à la Cité catholique. La désacralisation de la société engendrée par le Ralliement, la perte de la métaphysique sociale, favorisèrent la pénétration de l’esprit du monde au sein de l’Église. À la mort de Léon XIII l’Église de France avait perdu tous ses biens et privilèges.
Dans L’Église et le Ralliement. Histoire d’une crise (1892-2000) Philippe Prévost observe toutefois que :

le pire était la disparition du courage et le ramollissement des consciences, même chez les évêques107.

L’idée était de triompher par le compromis, en échappant aux luttes et souffrances qui accompagnent la vie de l’Église sur terre. Le Ralliement encouragea les catholiques tièdes et modérés, justifia chez les théologiens, philosophes et exégètes du « tiers-parti » qui ne voulaient pas passer pour « rétrogrades » les concessions à des thèses de plus en plus hétérodoxes. On a vu quels effets funestes avait provoqués le Ralliement au strict plan diplomatique, alors que la récupération de ses États italiens avait été une des motivations premières de Léon XIII.
À la mort de Benoît XV, en 1922, deux lignes s’affrontèrent, celle des héritiers de Pie IX et de Pie X, derrière le cardinal Merry del Val, et d’autre part les « rampolliens » représentés par le cardinal Gasparri. MgrGasparri, bloqué par les antilibéraux pour être lui même élu, poussa à l’élection du cardinal Achille Ratti devenu Pie XI, lequel reprit la politique léonine envers les États modernes. Ainsi ne soutint-il guère les Cristeros du Mexique, appuya-t-il les républicains en Espagne, pratiqua-t-il une « Ostpolitik » vaticane avant la lettre avec la Russie108, retira-t-il son appui au Parti Populaire Italien et au Zentrum allemand, excommunia-t-il l’Action Française109. Ce ne fut qu’en 1937, sans doute trop tard, qu’il condamna communisme et nazisme. La « réconciliation de l’Église et du monde moderne », projet pastoral de Léon XIII, se réalisa pleinement par le concile Vatican II. C’est là une « autre » histoire, mais c’est finalement la même histoire.

  1. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 8.[]
  2. Le Ralliement, op.cit., p. 11.[]
  3. cité par le card. Masella. Memorie inedite, II, p. 1084.[]
  4. Gambetta par Gambetta, Lettres intimes et souvenirs de famille, publiés par P.B Ghevsi, Paul Ollendorff, Paris 1909, p. VII-VIII.[]
  5. PII IX SP, Positio Super Introductione Causæ, vol.1 : Tabella testium et summarium, Tip. Guerra e Belli, Roma, 1954, p. 731.[]
  6. H. des Houx, Souvenirs d’un journaliste français à Rome, Paul Ollendorff éditeur, Paris 1866, p. 72-73.[]
  7. R. de Mattéi, op.cit., p. 28.[]
  8. Selon les termes des chartes de Louis XVIII de 1814 et de Louis-Philippe de 1830, qui reprennent l’expression de « religion de la majorité des citoyens » suggérée par Talleyrand pour la rédaction du concordat de 1801.[]
  9. Librairie De Belin-Mandar et Devaux, Paris 1829.[]
  10. C. de Montalembert, « L’Église libre dans l’État libre », discours prononcé au Congrès catholique de Malines, Douniol et Didier, Paris 1863, p. 75-80.[]
  11. Daniel de Montplaisir, Le Comte de Chambord, dernier roi de France, Perrin, 2008, p. 432.[]
  12. Manifeste du 25 janvier 1872, cité par Jean-Paul Garnier, Le drapeau blanc, Perrin, Paris, 1971, p. 451-452.[]
  13. Allusion à la longue lettre de MgrDupanloup au comte de Chambord (23 juillet 1873)[]
  14. Cf. Mattéi, Le Ralliement, p. 63-65.[]
  15. Roberto de Mattéi, Le Ralliement de Léon XIII. Echec d’un projet pastoral, Le Cerf, 2016, p. 71.[]
  16. A. Mellor, La vie quotidienne de la franc-maçonnerie française du XVIIIe siècle à nos jours, Hachette, Paris, 1973, p. 143-144.[]
  17. Discours du 4 mai 1877 devant la Chambre des députés.[]
  18. Chanoine Louis Capéran, Histoire contemporaine de la laïcité, Paris, Rivière, 1957, p. 12.[]
  19. Ferdinand Buisson reste toujours le maître à penser de nombre de républicains à l’instar de Vincent Peillon, ministre socialiste de l’Éducation nationale dans le gouvernement Ayrauit (2012-2014).[]
  20. V. Peillon, La révolution française n’est pas terminée, Le Seuil, Paris, 2008, p. 18.[]
  21. Cardinal Masella, Mémoires inédites, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 86.[]
  22. Ives Marchasson, La diplomatie romaine et la république française, Brauschesne, Paris, 1974, p. 90.[]
  23. Ibid.[][][][]
  24. Joseph Burnichon, s.j., La Compagnie de Jésus en France. Histoire d’un siècle. 1814-1914, Beauchesne, Paris, 1922, IV, p. 654-655.[]
  25. Édouard Lecanuet, L’Église en France sous la troisième République, Librairie Félix Alcan, Paris, 1930-1932, II, p. 66, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 92.[]
  26. Xavier de Montclos, Le toast d’Alger, Éditions E. de Boccard, Paris, 1966, p. 37, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 95.[]
  27. Lettre de Lavigerie à Sadi Carnot du 18 novembre 1889 dans François Renault, Le cardinal Lavigerie,1825-1892. L’Église, l’Afrique et la France, Fayard, Paris, 1992, p. 386, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 96.[]
  28. Marchasson, La diplomatie romaine, op.cit., p. 465, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 98.[]
  29. R. Mattéi, op.cit., p. 125.[]
  30. Gustave Gautherot, Emile Keller, Plon, 1922, p. 314, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 134.[]
  31. Ibid, p. 319-321, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 135.[]
  32. Propos rapportés par Paul Pradel de Lamase (1849-1936), ancien zouave pontifical ayant combattu les Prussiens en 1870, historien et journaliste. On lui doit Légitimisme et papauté. La dernière presse légitimiste. Le ralliement, Mercure de France, Paris, 1942, dont est extrait ce témoignage (p. 195).[]
  33. Cité dans Alec Mellor, Histoire de l’anticléricalisme français, in Revue d’histoire de l’Église de France, tome 53, n°151, 1967, p. 325.[]
  34. Notre consolation, dans ASS, 24, p. 1154, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 153.[]
  35. Encyclique Immortale Dei, 1885, dans EE Enchiridion delle Encicliche, édition bilingue, EDB, Bologna, 1995-1999, p. 334-335.[]
  36. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 154-155.[]
  37. « Communément, le gouvernement naturel est celui d’un seul »[]
  38. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 155.[]
  39. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 157.[]
  40. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 158, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 158.[]
  41. E. Barbier, Cas de conscience. Les catholiques français et la République, Lethieulleux, Paris, 1906, II, p. 341, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 158.[]
  42. Mémoires du cardinal Domenico Ferrata, Rome, 1920, II, p. 215, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 159.[]
  43. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 160.[]
  44. MgrGuerry, La doctrine sociale de l’Église, p. 12.[]
  45. Cité par Roberto de Matéi, Le Ralliement, p. 170.[]
  46. Léon de Cheyssac, en religion Dom Martial Besse, Le ralliement, Librairie des Saints-Pères, Paris, 1906, p. 72.[]
  47. Aloisi Masella, Memorie inedite, VI, p. 3233-3240, cité par Roberto de Matéi, Le Ralliement, p. 169.[]
  48. Seuil, 1992.[]
  49. La droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique, Aubier, Paris 1954, p. 162.[]
  50. E.Barbier, op.cit., p. 398, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 179.[]
  51. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 179.[]
  52. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 180.[]
  53. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 182.[]
  54. Eugène Spüller, L’évolution politique et sociale de l’Église, Alcan, Paris, 1896.[]
  55. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 182-183.[]
  56. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 183.[]
  57. cardinal Masella, Memorie inedite, VII, p. 3534, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 183.[]
  58. Abbé Félix Klein, Nouvelles tendances en religion et littérature, Librairie Victor Lecoffre, Paris, 1892, p. 77 et 110, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 184.[]
  59. E. Barbier, op.cit., p. 78, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 185.[]
  60. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 186.[]
  61. Le Ralliement, p. 187.[]
  62. Cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 189.[]
  63. Le Ralliement, p. 191.[]
  64. cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 191.[]
  65. Le Ralliement, p. 192.[]
  66. Cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 196.[]
  67. Cité par E. Barbier, III, op.cit., p. 224, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 198.[]
  68. Le Ralliement, p. 198.[]
  69. R. de Mattéi, op.cit., p. 198-199.[]
  70. cité par Émile Poulat, Modernistica. Horizons, Physionomies, Débats, Nouvelles Éditions Latines, Paris 1982, p. 143-144.[]
  71. Adrien Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine, Flammarion, Paris, 1965, p. 435, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 203.[]
  72. P. Cabanel, « Le débat sur la liberté dans la France du combisme », in 1901, Les congrégations hors la loi ? , p. 148, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 204.[]
  73. Cité dans J.B Rovolt, Vie du Très Révérend Père Doré, Imprimerie Jacques § Demontrond, Besançon, 1925, p. 94.[]
  74. Cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 209.[]
  75. J.B. Rovolt, op.cit., p. 122-123, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 209.[]
  76. A.Masella, Memorie inedite, VIII, p. 4436-4437.[]
  77. E. Barbier, op.cit., II, p. 466-467, qui reprend le témoignage de Dom Wyart, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 210.[]
  78. Le Ralliement, p. 211.[]
  79. Edoardo Soderini, Il pontificato di Leone XIII, Mondadori, Milano, 1933, II, p. 505-507.[]
  80. Aloisi Masella, Memorie inedite, IX, p. 5043, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 213.[]
  81. Rovolt, Vie du T.R.P. Le Doré, p. 139-140, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 212.[]
  82. Cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 215.[]
  83. Capéran, L’invasion laïque. De l’avènement de Combes au vote de la séparation, Desclée de Brouwer p. 14, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 216.[]
  84. Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 218.[]
  85. E. Barbier, op.cit., III, p. 84.[]
  86. Capéran, L’invasion laïque, op.cit., p. 444.[]
  87. Capéran, L’invasion laïque. De l’avènement de Combes au vote de la séparation, Desclée de Brouwer p. 452, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 220.[]
  88. T’sarclaès, Le pape Léon XIII, p. 676, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 223.[]
  89. Lecanuet, op. cit., p. 486, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 223.[]
  90. Barbier, op. cit., t.III, p. 443, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 223.[]
  91. Voir Charles Maurras, Le bienheureux Pie X, Sauveur de la France, Plon, Paris 1953, p. 6-7, qui rapporte le compte-rendu de l’audience accordée au journaliste monarchiste Louis Dimier paru dans L’Action Française du 1er mai 1904, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 231.[]
  92. S. Pie X, Enc. Une fois encore sur l’Église catholique de France, du 6 janvier 1907, dans Pii P.X Acta, IV, p. 7-17, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 232.[]
  93. Dansette, Histoire religieuse, op.cit., p. 43, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 233.[]
  94. Le Ralliement, op.cit., p. 234.[]
  95. Cité par Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors la loi, Perrin, Paris, 2005, p. 265, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 234.[]
  96. in Le Ralliement, p. 235.[]
  97. Ibid.[][]
  98. Barbier, op.cit., III, p. 81, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 237.[]
  99. Barbier, op.cit., III, p. 84, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 237.[]
  100. Cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 237.[]
  101. Barbier, Les démocrates chrétiens, p. 367, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 238.[]
  102. Pie X, Lettre Notre Charge Apostolique, du 25 août 1910, dans AAS, 2 (1910), p. 607-633, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 238.[]
  103. Louis Medler, MgrDelassus (1836-1921), Éditions Le Sel de la Terre, 2005, p. 6.[]
  104. Archivio dei Religiosi di San Vincenzo de Paoli (ARSV), dossier Louise Lateau, Procès-Verbal de la séance du 20 février 1894, cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 24.[]
  105. ARSV, op.cit., cité par Roberto de Mattéi, Le Ralliement, p. 248-249.[]
  106. R.de Mattéi, Le Ralliement, p. 261.[]
  107. in L’Église et le Ralliement. Histoire d’une crise (1892-2000), Paris, Centre d’études contemporaines, 2001.[]
  108. Cf. Antoine Wenger, Catholiques en Russie d’après les archives du KGB,1921-1960, Desclée de Brouwer, Paris, 1988.[]
  109. Cf. le volume sous la direction de Massimo de Leonardis, Fede e diplomazia. Le relazioni internazionali della Santa Sede nell’età contemporeana, EDUCatt, Milano 2014, ainsi que la communication de R. de Mattéi « La solitudine ecclesiale di Pio XI. Alla luce delle nuove fonti archivistiche del Vaticano ». Atti del Convegno internazionale di Studio, 26-28 febbraio 2009, sous la direction de Cosimo Semeraro Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 2010, p. 437-440.[]
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