Société de pensée
L’objet de la Société [de pensée] n’est pas limité ni d’ordre pratique, elle ne vise que l’opinion. Il s’agit : d’« éclairer les citoyens », de faire avancer le « progrès des lumières », d’éveiller l’esprit public, d’« intéresser les gens au bien public », c’est-à-dire à la politique.
Augustin Cochin, La Révolution et la libre-pensée, « Canevas d’une conférence 1907 », Plon, Paris, 1924, p. 255.
Qu’est-ce qu’une société de pensée ? C’est une forme de socialisation dont le principe est que ses membres doivent, pour tenir leur rôle, se dépouiller de toute particularité concrète, et de leur existence sociale réelle, le contraire de ce qu’on appelait sous l’Ancien Régime les corps, définis par une communauté d’intérêts professionnels ou sociaux vécus comme tels.
La société de pensée est caractérisée, pour chacun de ses membres, par le seul rapport aux idées, et c’est en quoi elle préfigure le fonctionnement de la démocratie. […]
Le but des sociétés de pensée n’est ni d’agir, ni de déléguer, ni de « représenter » : c’est d’opiner ; c’est de dégager d’entre ses membres, et de la discussion, une opinion commune, un consensus, qui sera exprimé, proposé, défendu.
Une société de pensée n’a pas d’autorité à déléguer, de représentants à élire, sur la base du partage des idées et des votes ; c’est un instrument qui sert à fabriquer de l’opinion unanime, indépendamment du contenu de cette unanimité. […]
L’originalité de ce qui se passe dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle tient à ce que le consensus des sociétés de pensée, qu’on appelle « philosophie », tend à gagner l’ensemble du tissu social.
François Furet, Penser la Révolution française, Folio-Histoire, Paris, 2005, p. 271-272.